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SOURCE : Usbek & Rica
Une proposition de loi portée par deux élus républicains du Texas vise à « empêcher » les géants du numérique « d’interdire » certaines publications sur leurs plateformes. Elle pourrait pourtant contrevenir au premier amendement de la Constitution américaine.
C’est sans doute l’un des slogans les plus célèbres associés à mai 68 (bien qu’il ne figure, comme le rappelle sagement Wikipédia, sur aucune des affiches ou photos de ces événements). Depuis quelques années, c’est également le titre d’une émission débat présentée sur la chaîne pro-russe RT France par le journaliste Frédéric Taddeï. Et c’est désormais l’ambition de l’actuel gouverneur du Texas, aux États-Unis, dont la dernière proposition de loi peut, elle aussi, se résumer ainsi : « Il est interdit d’interdire ». Du moins sur les réseaux sociaux.
« Censure politique »
Greg Abbott, figure historique du Parti républicain au Texas dont il est le gouverneur depuis 2015, a en effet tenu une conférence de presse le 5 mars dernier dans la ville de Tyler, en compagnie de son collègue sénateur Bryan Hughes. Ensemble, les deux élus ont annoncé leur volonté de porter une proposition de loi devant le Sénat qui « interdirait » aux réseaux sociaux de « censurer » les Texans en fonction de leurs publications. Concrètement, Abbott et Hughes souhaitent empêcher les GAFA de proscrire certains types de discours postés en ligne, en permettant aux citoyens du Texas d’intenter « une action en justice » chaque fois qu’ils verraient leurs discours « indûment supprimés ou limités ».
« Les réseaux sociaux sont devenus nos places publiques modernes. L’information devrait pouvoir y circuler librement, mais ces sociétés agissent désormais comme des juges et des jurys pour déterminer quels points de vue sont valables », estime notamment Greg Abbott. Avec sa proposition, le républicain entend, selon ses propres termes, « prendre position contre la censure politique de la Big Tech ». « Les efforts des GAFA pour censurer les points de vue conservateurs ne font pas partie de l’identité américaine et, ça, nous n’allons pas le permettre dans le “Lone Star State” », promet-il, reprenant à son compte l’idée selon laquelle les grandes entreprises du numérique chercheraient à « faire taire les points de vue conservateurs ».
Il faut dire que cette hypothèse est particulièrement populaire depuis quelques semaines aux États-Unis, où Twitter, Facebook ou encore YouTube ont multiplié les suppressions de certains comptes et de certaines publications pour « incitation à la haine » et/ou « incitation à la violence » à l’encontre de nombreux militants pro-Trump ou QAnon. Depuis, nombre d’internautes proches de l’extrême droite américaine se reportent d’ailleurs vers des applications, des médias et des sites « alternatifs » où ils estiment pouvoir jouir d’une plus grande « liberté d’expression ».
Obstacles constitutionnels
À l’image de plusieurs études de grande ampleur aboutissant aux mêmes résultats, un récent rapport de l’école de commerce de l’université de New York indique pourtant que la viralité des points de vue conservateurs ne faiblit pas sur les réseaux sociaux : « Dire qu’il existe une censure anti-conservatrice sur les réseaux sociaux relève de la désinformation. Aucune étude fiable à grande échelle n’a déterminé que les contenus conservateurs étaient en cours d’éradication pour des raisons idéologiques, ou que les recherches seraient manipulées pour favoriser intérêts libéraux », rapporte, entre autres, cette étude.
Par ailleurs, comme le rappelait la professeure de droit Florence G’sell au moment de la suppression définitive du compte Twitter de Donald Trump, c’est aux plateformes elles-mêmes qu’il revient, dans le contexte américain, « d’agir contre les contenus répréhensibles sur les réseaux sociaux » : « Le premier amendement de la Constitution empêche précisément une réglementation trop poussée, surtout sur des contenus relevant du débat public. Disons que l’on peut encadrer les discours les plus répréhensibles (terrorisme, pédophilie, etc.) mais que c’est le “marché des idées” qui prévaut pour le reste. Il revient donc aux plateformes d’être responsables et d’intervenir face aux propos les plus contestables. »
Même si cette loi était adoptée au niveau de l’État du Texas, tout laisse donc à penser qu’elle serait retoquée à l’échelle fédérale. « Les entreprises technologiques sont des acteurs privés et ne sont pas soumises au premier amendement [qui interdit au Congrès des États-Unis d’adopter des lois limitant la liberté de religion et d’expression], juge par exemple Scot Powe, professeur de droit à l’université du Texas, dans les colonnes du Texas Tribune. Ils peuvent être aussi biaisés qu’ils le souhaitent dans leurs processus de décision. » Malgré cette contradiction juridique, selon le média américain CBS News, des projets de loi similaires ont été présentés par des élus républicains « dans plus d’une douzaine d’États ».