Article initialement publié sur le site du NPA.
La lutte des travailleurs.ses du nettoyage de Sorbonne Université à Jussieu est une belle victoire sur leurs revendications initiales qui montre que la lutte paye même si la force du mouvement aurait peut-être permis d’aller encore plus loin en étendant les revendications ! Ce mouvement aura fait sortir de l’ombre les petites mains invisibles de l’université en gagnant publiquement leur dignité et une amélioration de leurs conditions de travail.
Des revendications initiales globalement satisfaites
Après une semaine de grève un protocole de fin de conflit a été établi entre l’entreprise de sous-traitance Arc-En-Ciel et les syndicats. Les grévistes ont estimé que ce protocole était satisfaisant et qu’ils pouvaient ainsi reprendre le travail vendredi 24 septembre. En effet, ce texte donne satisfaction aux grévistes sur la plupart de leurs revendications initiales et acte les points suivants :
– Pas de changement et de fractionnement des horaires ni de changement de poste,
– Pas de mutations forcés hors de Jussieu, la société Arc-En-Ciel renonce à appliquer la clause de mobilité,
– Paiement des heures non payées et régularisation des autres entorses au droit du travail,
– Départ du responsable d’exploitation,
– Produits de nettoyage changés pour les personnes allergiques,
– Paiement de 50% des jours de grève.
La seule revendication initiale (importante !) non satisfaite demeure l’embauche des 8 CDD qui n’ont pas été reconduits et dont les grévistes souhaitaient l’embauche pour diminuer leur charge de travail. De plus un certain nombre de mesures du protocole sont renvoyées à une question individuelle. Cela nécessitera la vigilance et le maintien d’un rapport de force des salarié.e.s et des syndicats face au patron pour que ces mesures soient effectivement appliquées. Sur la question de l’augmentation de la charge de travail, la disposition reste également trés floue: la direction s’engage simplement à présenter aux délégués du personnel un plan d’organisation du travail.
La question de l’augmentation des salaires et d’un treizième mois n’était pas à l’ordre du jour des négociations, qui se sont cantonnées à ces revendications minimales.
Comme dans de nombreux mouvements, une des plus belles victoires est impalpable mais bien réelle. C’est la fierté d’avoir relevé la tête, de s’être battu pour ses droits et sa dignité au sein d’un collectif uni et déterminé. Une telle lutte se retranscrit dans les relations humaines et créé un réel empowerment individuel et collectif. Gageons que cette lutte donnera confiance aux salarié.e.s pour la suite pour défendre leurs droits mais aussi qu’elle contribuera à faire tache d’huile dans d’autres universités et plus généralement dans le secteur du nettoyage.
Un mouvement aux potentialités sous exploitées ?
Cette victoire rapide (la grève a duré huit jours) sur les revendications initiales montre la force d’un mouvement composé de grévistes déterminés qui ont relevé la tête. Le fait que 100% des salarié.e.s (130 au total !) se soient mis en grève, confère à ce mouvement local une force rare. La caisse de grève a eu un succès immédiat et a permis de collecter aux alentours de 30 000 euros (en comptant les dons en lignes, les dons en espèce et les dons d’organisations syndicales) ce qui permettait aux grévistes de ne pas perdre trop de salaire. Par ailleurs la grève était très populaire au sein de Sorbonne Université. Des chefs de départements avaient soutenu le mouvement et le syndicat « Réuni » (regroupement de personnels soutenant la direction de l’université et qui a fait élire l’ancien président de la fac) a même donné 1000 euros à la caisse de grève ! Les grévistes affichaient de plus une détermination forte pour ne rien lâcher et continuer ensemble jusqu’au bout. Dans ce contexte, la question d’une extension des revendications aurait pu se poser. Deux revendications sautent aux yeux.
– L’augmentation des salaires et le 13e mois. Certains grévistes ont d’ailleurs déjà manifesté en AG leur désir de revendiquer un 13e mois et la question des bas salaires revient évidemment régulièrement dans les discussions avec les grévistes. Mettre en avant la question de la prime panier et la question de la revalorisation des qualifications aurait aussi permis de se battre pour des augmentations de salaire.
– L’internalisation et la fin de la sous-traitance. Le personnel de ménage devrait être embauché directement par l’université. C’est en effet le donneur d’ordre qui est in fine responsable. La surexploitation découle des économies que cherche à faire l’université en sous-traitant le secteur du nettoyage. Tou.te.s les travailleurs.ses de l’université devraient d’ailleurs être fonctionnaires (comme c’était le cas il n’y a pas si longtemps !) des profs jusqu’au personnel de ménage.
Si la seconde revendication peut apparaitre hors de portée dans le contexte actuel, elle mérite tout de même de s’y attarder, ne serait-ce que pour faire réfléchir largement sur la politique menée dans les services publics depuis quelques dizaines d’années par les gouvernements successifs. Cette revendication permettrait aussi de poser les bases d’un mouvement plus large des travailleurs.ses du ménage dans toutes les universités de France et au-delà. La première revendication sur les questions salariales est-elle en revanche beaucoup plus atteignable au vu de la force du mouvement. Il faut de toute façon toujours demander le maximum pour obtenir un peu moins. L’énergie de cette lutte et sa caisse de grève aurait peut être rendu atteignable une revalorisation salariale.
Suite à cette expérience les grévistes seront désormais plus capables qu’avant de défendre leurs conditions de travail. Mais il est évident qu’une grève ne se rallume pas toujours facilement et encore moins pour des revendications offensives. La grève a connu un coup d’arrêt lorsque ses principales revendications défensives ont été satisfaites (à savoir pas de fractionnement des horaires et respect du droit du travail). Elle aurait aussi pu faire un grand saut en portant un combat offensif via des revendications salariales et la lutte contre la sous-traitance tout en cherchant l’extension sur d’autres facs. Cela n’aurait évidemment pas été une question anodine et aurait nécessité un véritable débat entre grévistes sur la possibilité et l’intérêt de continuer -ou non- la lutte au vue du rapport de force. La réponse à cette question n’a évidemment rien d’évident, mais le débat de l’extension des revendications aurait mérité d’être posé.
Stratégie, auto-organisation et émancipation
Si ce sont les grévistes qui décidaient et votaient en assemblée générale les décisions finales, c’est la CGT qui a globalement animé et dirigé le mouvement. Elle a ainsi permis d’apporter un soutien et une expérience décisive pour la victoire de la grève qu’on ne peut que saluer. Mais la politique menée dans ce mouvement comprend aussi quelques limites qui méritent d’être discutées.
– La CGT aurait pu faire le choix de discuter en assemblée générale d’une extension des revendications et notamment des revendications salariales. Mais elle a fait le choix de ne pas le faire, cela est même allé jusqu’à répondre en AG à des grévistes que la question du 13ème mois n’était pas à l’ordre du jour. Pourtant de nombreux.ses grévistes mentionnaient cette revendication d’eux-mêmes et son ajout à la liste officielle des revendications aurait dû se discuter en AG.
– La CGT a tenu la ligne juste et fondamentale que c’est aux grévistes de décider pour eux-mêmes en assemblée générale. Mais il a clairement manqué d’un comité de grève élu (comprenant des grévistes et des syndicalistes) qui aurait permis aux grévistes de mieux s’emparer des questions qui se posaient à eux pour diriger leur propre mouvement. A la place, les propositions stratégiques pour le mouvement étaient présentées et proposées rapidement en AG par les syndicats et les soutiens, ce qui posait souvent des questions de compréhension et ne permettait pas toujours aux grévistes de s’emparer pleinement des débats longs et complexes (surtout lorsqu’ils sont menés avec plus d’une cinquantaine de personnes qui ne parlent pas toujours tous la même langue). Un autre souci qui n’a pas pu être résolu était qu’il n’y avait pas d’AG réunissant tous les grévistes. Il y avait l’AG du matin avec les travailleurs.ses du matin et l’AG de l’après-midi avec les travailleurs.ses de l’après-midi. Il aurait pu être tenté de faire des AG sur le temps du midi pour permettre une discussion entre salarié.e.s du matin et de l’après-midi. Par ailleurs les syndicats à la solde de la direction, qui avaient été exclus des AG en début de mouvement ont réussi à revenir en AG au prétexte d’apporter des informations de la part du patron pour faire avancer les négociations. Si il était peut être légitime d’écouter une fois ce qu’ils proposaient, il aurait fallu ensuite les exclure de nouveau des assemblées générales où leur présence a pu susciter du trouble dans le mouvement et empêchait de débattre sereinement.
– Enfin la question complexe de favoriser la mise en avant et la prise de parole publique des grévistes (AG, rassemblements, tours d’amphi, médias…) est aussi une question politique centrale. Elle nécessite une attention permanente et une politique pro-active de la part des syndicats et des soutiens. Il s’agit d’un équilibre complexe à trouver entre soutenir et transmettre une expérience d’une part et laisser toute la place aux grévistes en favorisant notamment leurs paroles dans tous les cadres d’autre part.