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SOURCE : Bastamag
Les médecins étrangers non-européens sont un maillon essentiel de l’hôpital public, notamment en cas de crise sanitaire. Ils assument les mêmes missions que les médecins français tout en percevant le salaire d’un interne. Et doivent faire face à un long parcours pour arriver à être inscrit à l’Ordre des médecins.
Rayan [1], 31 ans, est radiologue dans un hôpital de l’ouest francilien. Après 14 ans d’études en Tunisie, il a d’abord exercé dans un Centre hospitalier universitaire (CHU) de son pays d’origine. Son hôpital a ensuite signé une convention avec un hôpital français pour le mettre à disposition pour un poste dit de « stagiaire associé ». Ici, en Île-de-France, il a les mêmes fonctions que ses collègues français. Il fait les gardes de nuit comme eux, et assume toutes les responsabilités d’un radiologue… Mais il n’a pas du tout le même salaire que ses collègues. Rayan touche, en tant que médecin étranger ayant obtenu son diplôme hors de l’Union européenne, le salaire d’un interne de première année. Soit 1550 euros bruts, 1270 euros net, sans les gardes.
« Comment peut-on payer un médecin qui a fait 14 ans d’études ce salaire »
Le trentenaire est révolté par cette situation. « Comment peut-on payer un médecin qui a fait 14 ans d’études ce salaire, sachant qu’un radiologue en France gagne en début de carrière trois à quatre fois plus ? » Pour lui, cette si grande différence de rémunération pour le même travail, c’est une « hypocrisie totale ». En plus, pour les médecins étrangers, le salaire ne progresse même pas au fil des années contrairement à celui des internes. Amin, médecin urgentiste, également tunisien, explique que, dans son cas, les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées ni récupérées. « Il n’y a qu’un seul mot, c’est de l’exploitation », dit-il.
Ils seraient 4000 médecins étrangers, titulaires d’un diplôme obtenu hors de l’Union européenne, à exercer dans les hôpitaux français. Ils sont soit « stagiaires associés faisant fonction d’interne », soit « praticiens attachés associés », un statut un peu plus avantageux, qui signifie cependant qu’ils ne sont pas encore inscrits à l’Ordre des médecins. Ils sont essentiels pour de nombreux services hospitaliers comme les urgences, la radiologie, l’oncologie ou la psychiatrie, et attendent la reconnaissance de leurs compétences. Ces médecins stagiaires ne devraient, dans les textes, jamais se retrouver seuls à l’hôpital dans leur service. Il sont normalement « associés » à un médecin de plein exercice, qui doit vérifier et signer les comptes rendus. Ce n’est pas le cas dans la réalité pour Rayan et Amin qui, lors des gardes, se retrouvent complètement seuls.
Faire le travail de médecin sans être reconnu comme tel
Une autre « hypocrisie » dénoncée par Rayan : la loi limite à deux ans la durée maximum des contrats des stagiaires associés (six mois renouvelables trois fois). Mais le médecin étranger qui arrive au terme des deux ans peut obtenir une dérogation. Il lui suffit pour cela de changer d’hôpital pour repartir sur un nouveau cycle de deux ans. Il peut rester dans cette situation de nombreuses années. Ce système permet ainsi à l’hôpital public de faire appel en continu à des médecins étrangers sous-payés par rapport à leur collègues, donc de réaliser de substantielles économies budgétaires tout en palliant le manque de médecins hospitaliers.
Le service des urgences à l’hôpital de Mantes-la-Jolie (Yvelines), fait par exemple travailler dix médecins étrangers embauchés avec ce statut de stagiaire associé. Sans eux, le service ferme. Pendant le premier pic épidémique, le service a été divisé en deux : un secteur pour le traitement des patients Covid, un secteur pour les autres. Les médecins étrangers ont été affectés d’office dans la partie Covid. Les médecins français sont prioritaires dans les choix d’affectation, les étrangers comblent les trous.
Sonia est tunisienne. Elle travaille depuis un an aux urgences d’un grand hôpital de la banlieue parisienne populaire, sous le statut de stagiaire associé. En Tunisie, elle était généraliste. Elle confirme le fait qu’elle ne dépend concrètement d’aucun médecin senior. Karima est algérienne et officie en gériatrie, elle se doit de travailler plusieurs années en tant que stagiaire associé, avant de décrocher le statut de praticien attaché. Pour elle, l’expérience « fait mal » : faire le travail de médecin sans être reconnu comme tel à part entière, surtout quand vous êtes appréciée de votre hiérarchie.
Mal payés, mal logés, et sur un siège éjectable
Pour ces médecins étrangers, au travail précaire s’ajoutent les difficultés de titres de séjour. Le contrat de médecin stagiaire associé a une durée initiale de six mois. Le titre de séjour des médecins doit donc lui être renouvelé tous les six mois, sans aucune procédure simplifiée pour ces professionnels dont l’hôpital public ne peut pourtant pas se passer. Noor est guinéenne, elle est arrivée en France pour terminer son troisième cycle en neurologie. Elle y est restée pour travailler comme médecin stagiaire associé. Pour renouveler son titre de séjour tous les six mois, elle doit, comme tous les citoyens étrangers, se rendre très tôt à la préfecture, parfois dès minuit pour être sûre d’être reçue et ne pas se retrouver avec un titre périmé.
Le faible salaire de ces médecins ne leur permet souvent pas de louer un véritable appartement, puisque les propriétaires demandent en général un salaire s’élevant à trois fois le montant du loyer. Des hôpitaux mettent donc à disposition des médecins étrangers de petites chambres gratuites, dans des foyers ou des résidences pour les internes. En cas de contrat non renouvelé, ils se retrouvent sans toit.
Mal payés, mal logés, elles et ils sont surtout sur un siège éjectable. « Ils nous recrutent parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. Mon directeur médical le répète à chaque réunion : “Si un médecin français se présente à moi, il sera pris et vous ne serez pas renouvelée. Si quelqu’un déjà ’inscrit au conseil de l’Ordre se présente, je le prends” », rapporte Amal, psychiatre algérienne dans une clinique de la région parisienne.
« Tous les moyens sont bons pour nous payer moins cher »
Pour améliorer leur situation, ces médecins doivent obtenir le statut de praticien attaché associé, en passant par une procédure dite « d’autorisation d’exercer ». Celle-ci englobe plusieurs étapes, la principale est un concours, par spécialité. Les places sont chères. L’année passée, en radiologie, il y avait 75 places pour 500 postulants. Il ne suffit donc pas d’obtenir une bonne note, il faut être dans les premiers du classement. Les médecins étrangers exerçant dans les hôpitaux ont moins de temps et d’énergie pour réviser, donc mécaniquement moins de chance de le réussir. Pour Rayan, ce concours ne permet pas d’évaluer efficacement les compétences d’un médecin. Il a passé l’examen l’année passée, avec 15 de moyenne, mais n’a pas obtenu l’une des places ouvertes au concours.
Depuis le milieu des années 2000, des décrets sont venus améliorer certaines injustices administratives, mais de manière temporaire. Un texte prévoyait d’accorder le statut de praticien attaché à des médecins étrangers sous certaines conditions, comme le nombre d’heures d’exercice validées. C’est grâce à cette mesure qu’Amel, la psychiatre algérienne, a pu décrocher son autorisation d’exercer. Puis, en 2016, la procédure dérogatoire a été abandonnée… Le Syndicat national des praticiens à diplôme hors Union européenne (SNPADHUE) vient d’en obtenir la réouverture. « Nous allons être attentifs maintenant à l’application de ce nouveau décret. La phase d’application sera compliquée. C’est toujours compliqué. Il y aura la question des refus des dossiers alors qu’ils correspondent aux critères, explique Salem Ould Zein, président du syndicat. Il y a aussi la question des délais… »
Les délais s’étendent aussi sur de longs mois pour décrocher son inscription à l’ordre des médecins, le sésame pour enfin être payé au même niveau que les médecins français et européens. Pour cela, il faut, suite à la réussite au concours, exercer deux ans comme praticien attaché puis déposer un dossier auprès de son Agence régionale de santé (ARS). La réponse peut prendre un an et demi. Ce fut le cas pour Amal. En tout, il s’est écoulé six ans entre le moment où elle a débuté en faisant fonction d’interne et l’acceptation de son inscription à l’Ordre. En plus, l’accord de l’ARS n’est pas automatique. La réponse peut être négative. « Tous les moyens sont bons pour nous payer moins cher », résume la psychiatre algérienne.
Zaouia Meriem-Benziane