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SOURCE : Marianne
Plusieurs intellectuels ou simples citoyens algériens, comme Boualem Sansal, Sophia Hocini, Mohamed Kacimi ou encore Djemila Benhabib, publient dans “Marianne” un manifeste en faveur d’une Algérie enfin démocratique, et libérée de la tutelle de l’islam.
Le mouvement citoyen du 22 février 2019 a marqué un grand tournant dans l’histoire de notre pays. Grâce à cette mobilisation historique, notre dignité collective a été retrouvée. Notre parole s’est libérée à nouveau. Nous nous sommes remis en mouvement. À rêver et à espérer des jours meilleurs pour nos enfants. Cette nouvelle dynamique populaire a précipité la chute du président Bouteflika et de son entourage immédiat. Malgré cette accélération de l’histoire, l’essentiel reste encore à accomplir.
La crise qui frappe notre pays est sans précédent. Le blocage que nous vivons n’est pas conjoncturel mais structurel. Remplacer une équipe par une autre ne garantit en rien l’émergence d’un horizon fécond. Le pouvoir actuel a beau faire semblant de se renouveler, il ne représente qu’un vestige du passé. En effet, l’État tel qu’il a été créé dans la foulée du mouvement de libération nationale a épuisé toutes ses possibilités et atteint ses limites. Il s’agit, dès lors, de redéfinir les fondements d’un nouveau contrat social. Tel est le principal défi à relever. Quel État voulons-nous pour quelle société ?
Certes, depuis le 22 février 2019, de grands pas ont été franchis. L’espoir du changement court sur toutes les lèvres et notre unité nationale s’est consolidée sur l’ensemble du territoire autour de la volonté de rupture radicale avec le système et le rejet de la violence. L’emblème amazigh a acquis une légitimité nationale, ressoudant ainsi notre nation dans sa pluralité culturelle et linguistique. Dans une synergie exceptionnelle, le mouvement citoyen a agrégé plusieurs générations et compte dans ses rangs aussi bien des femmes que des jeunes. La mobilisation a déferlé dans les diasporas, en Europe et dans les Amériques, donnant au mouvement une dimension internationale.
Si le mouvement donne l’impression aujourd’hui de faire du surplace c’est en raison d’un écueil majeur. Évidemment, la pandémie freine momentanément le cours du mouvement mais le problème est ailleurs. L’islam politique n’a pas renoncé à son projet d’islamisation de l’État et de la société. Il a simplement changé de stratégie. Face à ses ambitions inavouées, les démocrates sont divisés. Certains d’entre eux souhaitent sa banalisation et ont pris l’initiative de créer les conditions de sa participation à la transition. Or, l’existence même de cette mouvance, loin d’être “normale”, représente une menace permanente pour la stabilité et le bien-être de notre nation
Si l’islamisme n’a jamais demandé pardon pour les crimes dont il s’est rendu coupable durant les dernières décennies, c’est parce qu’il considère que “sa ” violence est une violence légitime dès lors qu’elle revêt un habillage religieux. Dans ces conditions, envisager une transition démocratique et pacifique passe nécessairement par une double rupture : rupture avec le système rentier et rupture avec l’islam politique. Nous, citoyennes et citoyens laïques, militant pour la double rupture, partageons dans ce Manifeste, sept propositions pour créer les conditions d’une transition pacifique et démocratique. Nous appelons nos concitoyennes et concitoyens à se mobiliser en faveur d’une Algérie laïque, démocratique et républicaine.
1. PROCLAMER LE CARACTÈRE LAÏQUE DE L’ÉTAT : SÉPARER LES SPHÈRES POLITIQUE ET RELIGIEUSE
Nous, citoyennes et citoyens laïques, militant pour la double rupture, réaffirmons avec force notre attachement à la laïcité : principe humaniste de séparation du temporel et du spirituel. Le politique et le religieux appartiennent à des sphères distinctes, qui répondent chacune à des impératifs différents. Leur dissociation et la reconnaissance de leur autonomie sont une donnée fondamentale de la modernité qui permet l’émancipation de l’individu, l’émergence de la citoyenneté et la reconnaissance de la souveraineté populaire. Le caractère laïque de l’État algérien doit être clairement défini dans la Constitution.
Par conséquent, la disposition qui stipule que “L’Islam est la religion de l’État.” doit être abrogée dans la constitution. Il convient de préciser que la laïcité n’est pas une guerre contre les religions mais un principe humaniste qui garantit le respect absolu de la personne humaine, affirme l’égalité de toutes et tous devant la loi et assure à chacun la liberté d’adhérer aux idées, convictions ou croyances de son choix. Dans un État laïque, les religions sont une affaire privée. Les partis politiques fondés sur cette base sont voués à disparaître puisque la religion n’a pas vocation à servir les desseins politique et idéologique d’une mouvance singulière quelle qu’elle soit.
2. ABROGER LE CODE DE LA FAMILLE ET GARANTIR L’INDÉPENDANCE DE LA JUSTICE
Nous, citoyennes et citoyens laïques, militant pour la double rupture, exigeons l’abrogation du code de la famille et l’instauration de lois égalitaires entre les femmes et les hommes. La promulgation en 1984 de ce code, gage du pouvoir aux islamistes, s’est faite en violation de la Constitution qui prône l’égalité entre les hommes et les femmes. L’Algérie, qui a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) en 1996, doit adhérer pleinement à ce traité international et lever toutes ses réserves. Dans un État laïque et démocratique, la seule source du droit est la loi positive et non les canons religieux, la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) est consacrée et l’indépendance de la justice est respectée.
3. GARANTIR LA PRIMAUTÉ DU POLITIQUE SUR LE MILITAIRE
Nous, citoyennes et citoyens laïques, militant pour la double rupture, dans la continuité de l’esprit de la Soummam, faisons nôtre le principe de la primauté du politique sur le militaire. Le militaire n’a pas vocation de se substituer au politique, ni d’interférer dans la gestion des affaires de l’État. Si l’ANP ne peut se mettre au service d’un groupe particulier, sa mission essentielle est de protéger le pays, de veiller à son unité, et de préserver le caractère républicain de l’État.
4. ÉMANCIPER L’INDIVIDU PAR LE BIAIS DE L’ÉDUCATION ET DE LA CULTURE
Nous, citoyennes et citoyens laïques, militant pour la double rupture, célébrons la raison, la pensée critique, la science ainsi que la culture. L’école est la fabrication du futur. C’est pourquoi, l’Algérie doit œuvrer pour une école du savoir et de la rationalité, une école émancipatrice, creuset du citoyen, qui refuse les tutelles autoritaires et l’endoctrinement par l’épanouissement de la pensée critique. Elle doit assumer aussi le caractère pluriel et plurimillénaire de l’identité algérienne. L’Histoire doit être repensée sur une base scientifique pour lui permettre de jouer pleinement son rôle dans le cadre du débat démocratique. La place accordée aux langues populaires mérite une reconsidération totale.
Dans un monde de plus en plus complexe, le meilleur gage de réussite est une éducation de qualité et une intégration de la culture dans les apprentissages. Or, l’école algérienne est sinistrée. Si toutes les tentatives de réformes ont échoué c’est en raison de son instrumentalisation éhontée par les islamo-conservateurs. Nos enfants ne doivent plus être les otages de ces luttes stériles. L’école tout comme l’université doivent préparer l’individu à distinguer entre ce qui relève de la croyance et ce qui est de l’ordre du savoir.
5. RESPECTER LA LIBERTÉ D’EXPRESSION, LA LIBERTÉ DE LA PRESSE ET L’UNIVERSALITÉ DES DROITS HUMAINS
Nous, citoyennes et citoyens laïques, militant pour la double rupture, sommes convaincus que la libre expression des idées est nécessaire tout autant que la liberté de la presse et la liberté d’association. Ces libertés chèrement acquises grâce aux luttes menées par notre peuple depuis l’indépendance doivent être protégées et consolidées. Or, aujourd’hui, une terrible menace pèse à l’endroit des militantes et militants engagés dans le mouvement citoyen et des journalistes sont emprisonnés pour le simple fait d’avoir exercé leur métier. Nous exigeons la libération immédiate des journalistes et de tous les détenus d’opinion.
6. INSCRIRE L’ÉCONOMIE DANS UNE PERSPECTIVE PRODUCTIVE EN CASSANT LES CIRCUITS DE LA RENTE, EN COMBATTANT LA CORRUPTION ET EN CONSOLIDANT LE SERVICE PUBLIC
L’usage quasi exclusif des revenus des hydrocarbures à des fins de consommation a dévitalisé le pays et hypothéqué son avenir. Ce qui, conjugué aux effets du terrorisme islamiste, a conduit de nombreux diplômés à l’exil et poussé les jeunes à la harga. Nous, citoyennes et citoyens laïques, militant pour la double rupture, considérons qu’il est impératif de refonder l’économie sur une base radicalement nouvelle pour en faire un véritable levier de développement du pays par la production de richesses matérielles, pour résorber la plaie du chômage et œuvrer à la justice sociale. Un système articulé de façon aussi suicidaire à la rente pétrolière et dont le point aveugle est l’économie productive, ne peut pas libérer les énergies nécessaires pour assurer l’essor du pays.
7. CONSOLIDER LA PLACE DE L’ALGÉRIE DANS LE MONDE
Le contexte international dans lequel évolue l’Algérie est délétère. Les agressions militaires des États Unis, de certains pays européens contre la Syrie et l’Irak et celles dirigées contre la Libye ont fragilisé gravement les assises des États nations du Moyen-Orient et d’Afrique du nord. À cela s’ajoutent les rivalités et les interférences de la Turquie, de l’Arabie saoudite, du Qatar, des Émirats arabes unis et de l’Iran. Par ailleurs, les manœuvres turques en Méditerranée, l’instabilité politique en Tunisie, l’effondrement de l’état libyen et la crise au Mali rendent difficiles la gestion des frontières de notre pays, surtout, qu’il demeure une cible privilégiée du terrorisme islamiste international.
Face à une telle situation géopolitique, nous, citoyennes et citoyens laïques, militant pour la double rupture, plaidons pour la souveraineté politique et économique de notre pays et exhortons notre peuple à demeurer vigilant et mobilisé pour déjouer toute tentative d’immixtion étrangère dans les affaires intérieures de l’Algérie et toute visée de mainmise ou de démembrement de son territoire national.
Premiers signataires :
Kamel Amari, enseignant et journaliste ;
Mohand Abdelli. Ingénieur retraité ;
Ait-Tahar Rachida, enseignante ;
Kamel Bencheikh, poète, romancier et chroniqueur ;
Djemila Benhabib, politologue et écrivaine ;
Miloud Bouchenafa, militant laïque ;
Mansour Brouri, professeur de médecine,
Jeanine Caraguel, universitaire,
Ferid R. Chikhi, conférencier et formateur ;
Lalia Ducos, militante associative ;
Féve Amel, ingénieure ;
Marieme Hélie-Lucas, sociologue ;
Sophia Hocini, autrice et militante pour les droits humains ;
Mohamed Kacimi, écrivain et dramaturge ;
Yasmina Kebir, militante laïque,
Redouane Khriss, ingénieur retraité ;
Lazhari Labter, écrivain et poète ;
Leila Lesbet, enseignante ;
Boualem Sansal, écrivain,
Abdellatif Tadjeddine, enseignant ;
Hamid Zanaz, essayiste ;
Ali Kaidi, docteur en philosophie,
Rabah Rabah, professeur de mathématiques ;
Slimani Hassan, informaticien ;
Nacera Zergane, conseillère financière.