AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Blog de mediapart
De nombreux camarades m’adressent des textes qui prolifèrent sur les réseaux sociaux consacrés à Claude Chisserey et Charles Berg. Ayant bien connu les deux, je veux apporter mon témoignage. Ces prétendues « biographies » mêlent erreurs, contre-vérités, bêtises politiques, témoignages bidons, dates fantaisistes…
Voilà des années que, sollicité par des journalistes, je refuse de m’exprimer. Le producteur des « Nouveaux Chiens de Garde » connait –trop – la chanson médiatique.
Mais le capital-temps de notre génération s’épuise, il est temps de témoigner.
Je mets en garde le lecteur : l’âge provoque des trous de mémoires. Souvent, les archives font défaut. Je me bornerai donc à évoquer ce dont j’ai le souvenir précis en souhaitant que d’autres apportent leur pierre à l’histoire d’un collectif militant.
J’ai rejoint le groupe Lambert début 1962. Je venais du PSU, plus précisément des Jeunesses socialistes Unifiés dont j’étais un responsable. Auparavant, j’ai eu la chance d’être membre des « Faucons Rouges », les jeunes du Bund, le parti socialiste juif.
Au PSU, j’avais croisé « le » Lambertiste officiel Jean Garabuau, un militant solide, sérieux, patient. Nous avions sympathisé ; mais surtout j’ai rencontré Pierre Naville, fondateur du mouvement surréaliste avec Maurice Nadeau, dirigeant de la IVème avant la seconde guerre mondiale. Un puits de culture historique, politique, artistique, d’une grande humanité. Il m’avait ouvert son immense bibliothèque, près de la maison de la radio. Directeur du CNRS, ses travaux sur l’automation, l’aliénation dans la production, ses écrits sur le Nouveau Leviathan, l’histoire du surréalisme, Léon Trotsky m’impressionnaient. Pierre a joué un rôle déterminant dans ma formation. Jusqu’au bout, il aura tout fait pour me convaincre de ne pas rejoindre le groupe « La Vérité ». Plus tard, je l’ai revu. Il évoquait avec une touchante simplicité ses rapports avec le « Vieux » qu’il avait connu…
Je travaillais dans une banque pour payer mes études. En 1962, en arrivant devant le siège du CNEP sur les grands boulevards, j’aperçois un homme agressé par des gros bras alors qu’il diffuse un tract. Je ramasse un tract Information ouvrières / Voix Ouvrière[1]consacré à l’anniversaire de l’Octobre hongrois et polonais ! La bagarre s’intensifie. Je le défends. Quelques autres employés également et nous faisons reculer les permanents du PCF. Louis Eemans – c’était son nom – me joignait dans l’après-midi au téléphone aux « Archives », le service le plus pourri de la banque. À la sortie, j’acceptais de faire un GER.[2]
J’en ai fait deux.
Le premier de grande qualité avec François de Massot, rue Fleurus. Il y avait là Claude Chisserey, Bertin, les frères Serfati et peut-être Sarda. Je ne suis pas sûr. Nous fûmes tous cooptés ; jugé trop jeune, j’avais 15 ans, on me demanda de faire un second… GER. Xavier le responsable de ce groupe de formation me proposa en fait de le diriger puis je fus intégré comme stagiaire.
Claude Chisseray avait activement participé à la crise de l’UEC. Avec quelques autres, il avait rejoint le groupe trotskyste.
En 1963, nous étions une poignée.
Les étudiants réunis autour de Claude Chisserey avec Joelle, Nicole Bernard, Lilianne et Jacques Lombard, Christian De Bresson, Georges, Brony, Yves Dorey (déjà ingénieur je crois), sa femme, Baptiste, Chesnais, Georges Sarda, Jean Puyade, Frankin mais aussi Bakouche Herbeth, Froment… quelques autres dont j’ai oublié le nom. À Georges et Jean de compléter s’ils le veulent.
Ils ont créé le CLER.
Il y avait un garçon formidable que les « historiens » à la petite semaine ont négligé. Christian de Bresson. Un grand maigre d’origine canadienne, un lutteur théoriquement affuté, audacieux, bon vivant comme un forban, formidable compagnon. Je ne jouais aucun rôle chez les étudiants. Claude et Christian animaient le CLER. Plus qu’une organisation c’était une bande que parfois je rejoignais.
Le groupe Lambert était vraiment un petit groupe. Les militants se retrouvaient autour de lui au café de la Bourse. Tout passait par lui. Il aidait, excellait. Les jeunes grimpaient 5 rue de Charonne au dernier étage d’un local désaffecté assez grand, jamais chauffé qui disposait d’un trésor, une ronéo.
Le travail jeune était dirigé par Xavier M.
Parfait pour appliquer l’orientation ; en retrait, quand il fallait l’élaborer. Bienveillant, il était apprécié ; toujours vivant, il devrait témoigner. La commission jeune élaborait, fixait les tâches. En fait, tout était très souple, nous agissions librement, nous réunissant le samedi matin au premier étage d’un café près de la Comédie Française.
Il n’y avait pas de discipline, les ambitions personnelles absentes, on inventait, multipliait les expériences. Les égos s’exprimaient dans l’action. Et Dieu sait que nous agissions ! Claude et ses camarades à l’université. Moi, dans la jeunesse ouvrière ; pas devant les usines, dans les arrondissements, les localités.
Quelques militants venaient des auberges de jeunesse (FUAJ), plutôt âgé, G. Bloch, sa femme, Maurice Sedé également, je crois Roy ( ?), Hélène, Dumoulins animaient une petite publication imprimée « Révoltes ».
Entre écologie, nature, poésie, naturisme et une once de politique.
Nous avons récupéré le titre, créé un journal politique offensif pour construire l’Internationale Révolutionnaire de la jeunesse et sa section… française !
L’objectif était simple : construire une organisation révolutionnaire indépendante de la jeunesse.
Gerard Bloch fit contre mauvaise fortune bon cœur et nous nous mîmes au travail. Nous étions beaucoup moins qu’en fac. Avec un militant remarquable Mathieu – J’espère encore vivant et un jeune typographe libertaire – nous avons créé le premier groupe Révoltes à Aulnay. Au moment de la grève des mineurs, nous étions déjà une trentaine, filles et garçons, réunissant plusieurs dizaines dans les réunions publiques et des centaines dans les bals que nous organisions. Nous intervenions comme si nous étions deux fois plus nombreux. La mairie dirigée par le PCF ne voulait pas de nous, les affrontements physiques se sont multipliés mais nous avons imposé notre présence pour vendre « Révoltes » sur les marchés.
À partir de cette expérience, il y en aura d’autres… Dans le 19ème, à Ivry, Nogent, Sevran, Boulogne etc… Une dizaine dans la région parisienne et un peu moins en province. C’est à cette époque qu’ont été recruté Mathe, Lanson, Bonin, Gerard, Dupont, Landron, Michel Panthou etc. Grâce à Boris Frankel nous avons percé dans les Écoles Normales. Des animateurs de la revue surréaliste « Rupture » nous ont rejoint. Quelques enseignants dont G. Bonhome intervenaient dans « l’école Émancipée ». Grâce au travail de Raoul, des metteurs en scène de cinéma, de théâtre, des comédiens se regroupent : Alain Courneau, William Gleen, Alex Metayer, Juliette Bertho, Bernard Murat… À partir de 1966, nous existions vraiment et « Révoltes » est transformé de bulletin ronéotypé en mensuel imprimé, paraissait… irrégulièrement. Claude écrivait l’éditorial. Je m’occupais du sommaire. De nombreux rédacteurs s’affirmaient. La création d’une organisation révolutionnaire de la jeunesse indépendante rassemblant étudiants, jeunes ouvriers prenait forme avec quelques points d’appuis en province à Clermont-Ferrand, Dijon, Lyon, Grenoble, Toulouse et Nantes.
Nantes. Cette ville était « autonome », dirigée par un militant… qui n’était pas trotskystes : Alexandre Hébert mais siégeait secrètement au Bureau Politique ! Lambert a toujours imposé aux militants locaux d’agir sous l’autorité du secrétaire de l’Union départementale de FO ! En somme, les trotskystes qui défendaient l’orientation nationale étaient souvent désavoués car Hebert n’était pas d’accord ! N’empêche : les nantais avaient recrutés des jeunes ouvriers notamment à Sud Aviation. Exclu de la CGT, ils ont créé une section FO.
Grenoble mérite une attention particulière.
J’ai toujours eu avec Pierre Broué des rapports difficiles. L’homme détestait les débats politiques au profit de règlements de compte. C’est ainsi. Mais outre son travail d’historien, Pierre était un constructeur, un formidable organisateur. À Grenoble, dans toute la région Valence, Chamberry etc…, il avait recruté, formé plusieurs dizaines d’étudiants, d’enseignants. Son influence était très importante à la faculté.
À Clermont-Ferrand, il y avait Christian Nenny, à Dijon Yannick Bonny, à Lyon personne, à Toulouse Michel Eliard… des talents. Des combattants qui multipliaient les initiatives.
En somme, l’affirmation selon laquelle le CLER et les groupes Revoltes c’était Claude Chisseray et Charles Berg est une fumisterie. Nous n’étions pas des « chefs » mais avec d’autres, les animateurs d’une aventure collective. Ajoutons que quelques jeunes enseignants comme J. Jacques Marie, des anciens comme Duthel etc. prenaient leur part du travail. Non seulement JJ Marie fasait paraitre avec Georges Haupt « Les bolcheviks par eux-mêmes » mais il menait un travail essentiel en direction de l’URSS et de la Pologne. J’en sais quelque chose.
Nous avions atteint un seuil critique. Le recrutement avait changé de nature : d’un recrutement individuel à un travail plus large. Nous tenions des réunions publiques. Nos journaux se diffusaient relativement largement. Le Cercle d’étude Marxiste central réunissait plusieurs centaines de participants. Nous expliquions, polémiquions avec d’autres courants. Probablement trop mais nous avions la certitude des conquérants. Et, tous les groupes faisaient la paix chez Maspéro dont le travail d’édition, la librairie, a contribué à former toute une génération.
Ce progrès quantitatif était indiscutable.
À la veille de 1968, nous étions quatre, cinq cents et préparions une réunion pour juin : « 3500 jeunes à la Mutualité ! ».
Rendez-vous national que nous organisions en liaison avec les mobilisations de la jeunesse : la participation de jeunes ouvriers dans des nombreuses grèves violentes, manifestations étudiantes affrontant la police… indiquant que quelque chose se préparait…
« Révoltes » était devenu un véritable mensuel. La lute pour le Socialisme était notre quotidien.
Il n’y avait pas vraiment « d’objectifs » mais de véritables résultats.
La Fédération des Etudiants Révolutionnaires fut proclamée quelques semaines avant l’explosion de Mai, salle du Renard. Christian de Bresson élu secrétaire national. À la tribune, une banderole signée Karl Liebnecht affirmait : la jeunesse est la flamme de la révolution prolétarienne !
Nous avions la pêche, militions 24h sur 24. C’est à peine une exagération. Que de fois après une longue AG de l’UNEF se terminant à l’aube, nous allions finir la nuit dans des restaurants ouverts jusqu’au matin dans le quartier des Halles. Ensuite, j’embauchais… Claude était un meneur, jouait un rôle majeur dans la formation des cadres. Nous étions heureux de militer mêlant vie politique et amoureuse. De fait, nous nous sommes tant aimés…
Nous allions refaire le monde. Fissa !
L’époque était joyeuse, insouciante : le groupe Lambert disposait alors d’un demi-permanent, un libraire, le magnifique Raoul. Et ça suffisait.
1968 a tout vérifié.
Vérifié l’analyse car nous étions engagés dans la lutte pour la victoire de la révolution mondiale, le socialisme, nous avions la chance de participer à une crise révolutionnaire internationale ! En partie, nous l’avions anticipé. Je me souviens d’un tract que Claude et Bertin avaient rédigé : à Prague, Varsovie, Berlin, Paris, la jeunesse se mobilise, la révolution s’avance etc… Révolution prolétarienne à l’ouest, révolution politique à l’est.
Nous militions pour lier le combat à l’université et… à l’usine. Étudiants, ouvriers unis contre De Gaulle. Dès le 3 Mai, en participant activement aux mobilisations, nous avons ouvert la perspective de la grève générale.
Puis, il y eu le 10 Mai.
L’appel public à quitter la manifestation alors qu’en masse, les étudiants affrontaient l’appareil d’État, la dénonciation par nous des manifestants a été plus qu’une erreur. Plus qu’une faute. Une catastrophe qui pour n’avoir jamais été discuté, n’a jamais été surmonté.
L’anecdote est connue. Claude est membre du BP, comme Xavier, Stéphane Just et François de Massot. Jacques Lombard et moi sommes au CC. Nous sommes opposé à la décision imposée par les dirigeants du Bureau Politique de quitter la manifestation. Centralisme démocratique exige, nous avons appliqué. C’est Claude qui a pris la parole pour appeler à quitter le quartier latin, à militer pour la grève générale. Nos adversaires n’ont pas manqué de stigmatiser cette « trahison ». Ils avaient raison.
Nous ne nous en sommes politiquement jamais remis. Claude en a souffert, plus que les autres. Jusqu’au 10 Mai, la FER jouait un rôle vraiment important. Sans exagérer, notre influence était réelle. Ainsi, nous avions contribué avec Jacques Sauvageot à rédiger un appel à la population pour la grève générale. Il n’y avait pas de manipulation : le vice-président de l’UNEF nous appréciait. Si nous n’avions pas quitté les barricades, la force de la FER, des groupes « Révoltes » se seraient déployés… Nous aurions joué un rôle majeur d’autant que la grève générale débute à Sud Aviation à Nantes grâce en partie aux trotskystes. Nous aurions convaincus, limité la déferlante gauchiste.
Une erreur débattue est en grande partie surmontée.
C’était notre volonté.
Lambert nous a réuni : Claude, Jacques et moi – Christian, blessé dans les affrontements était à l’hôpital – pour en substance nous expliquer : si vous ouvrez cette discussion, Stéphane, François, Xavier seront dénoncés, l’organisation n’y survivra pas. Il faut sortir de cette crise par le haut. Plus tard, nous en parlerons.
Nous avons accepté d’autant que nous avions confiance en Lambert. Encore que… amer, Claude est parti au service militaire sans digérer cet arrangement. Christian de Bresson est reparti au Canada avec le même ressentiment. Jacques et moi nous sommes investis dans l’activisme. Il faut dire que les succès étaient au rendez. Le 10 Mai s’est apparemment estompé. Sans jamais disparaitre. Lors d’un déjeuner avec Lambert, nous avons inventé l’AJS. Le sigle signifiait Alliance des Jeunes pour le Socialisme. Pas pour le syndicalisme…
Lorsque Claude est revenu du service militaire, le tableau politique avait changé : l’AJS était devenu une vivante organisation de jeunesse. On discutait librement. L’enthousiasme était réel, la formation assurée. Lorsque je rencontre d’anciens militants, la plupart évoquent les camps d’été de formation comme un de leur meilleur souvenir. Malade, Claude s’occupe du travail en direction des militants critiques du PC et de la LCR ; c’était un agitateur de premier ordre et… un infatigable propagandiste. Il pouvait consacrer plusieurs heures à convaincre. J’avais, à mon corps défendant, été désigné responsable du travail de fraction en direction du parti socialiste.
Après Pierre Lambert, j’avais essayé de convaincre Lionel Jospin d’entrer dans le parti de François Mitterrand. Ce fut non. Claude y parvint : souvenirs souvenirs…
Et puis, il y avait l’UNEF.
Lors du dernier congrès de l’organisation syndicale à Orléans rassemblant encore tous les courants, électron libre indiscipliné, j’ai fait tout mon possible… dans les couloirs pour convaincre les dirigeants du PSU… de rester, de conserver la direction ! En vain.
Nous sommes donc restés face à face avec le PC. La bataille pour la direction était inévitable. Je n’étais pas inquiet sur l’issue.
L’AJS disposait d’une réelle force politique. Le 1er février 1970, nous avons rassemblé quelques 8000 jeunes au Bourget. C’est un véritable succès que la presse doit reconnaître avec regret et étonnement. Fort de cette réussite, l’AJS va amplifier sa présence à l’université, dans les lycées, commencer à recruter des jeunes ouvriers, inaugurer un travail systématique dans les foyers de jeunes travailleurs avec une organisation dédiée. Quelle énergie ! En province, l’implantation se renforce. Quelques temps plus tard, un rassemblement de milliers de jeunes à Essen donne corps à l’orientation internationaliste de l’IRJ. L’alliance des étudiants révolutionnaire éditait une revue de qualité, les Nouvelles Études Marxistes. Nous avions acquis, financé, construit un grand local. Nous nous sentions invincibles et dans les fêtes de notre journal, Jeune Révolutionnaire, des milliers de jeunes applaudissaient notre chorale entonnant des chants révolutionnaires.
L’action antistalinienne faisait parti de notre ADN. À l’initiative de Gilles Perrault, nous avions mené une campagne nationale pour que Leopold Trepper, le « grand chef » de l’Orchestre Rouge puisse, comme il le souhaitait, quitter la Pologne antisémite pour Tel Aviv. Le gouvernement polonais avait cédé. Les Samizdat traduits par JJ Marie popularisés par G. Bloch nous fournissaient de précieuses munitions d’autant qu’à Prague, la normalisation, à l’ombre de l’armée soviétique battait son plein.
Bref, nous l’avons emporté.
Cette bataille menée par Serac, Schapira, Boudine, Nestor, Cambadelis, Yannick Bonny, JL Mélenchon, Christian, Lanson, Bonin, Jacky, Nicole, Sonia, Léa, Josette, Elisabeth etc propulsa l’influence de l’OCI dans le mouvement syndical…
Hélas nous dirigions l’UNEF, seul. Il fallait reconstruire, tout faire. Les militants de l’OCI, de l’AJS devinrent les soutiers de l’organisation étudiante. Harassant.
Évidemment je m’étais félicité de la victoire, inquiété de ses conséquences, d’autant que le syndicalisme m’a toujours ennuyé. Rapidement, nous sommes devenus réalistes, avons tourné casaque en appelant… à voter aux élections universitaires. Or, nous avions toujours combattu la participation… gaulliste ! Les principes étaient bafoués, les militants interloqués.
Les principes, disait Napoléon, sont comme les baïonnettes on peut tout faire avec, sauf s’asseoir dessus…
Nous commencions à avoir mal aux fesses.
Le cocktail activisme syndical, opportunisme politique m’affligeait. Je manifestais mon inquiétude au BP sans être entendu. J’avais quitté le travail jeune, dirigeais la province de l’OCI, constatais l’épuisement physique et politique des militants étudiants véritables bonnes à tout faire de l’UNEF. Tout naturellement, l’action politique passait au second plan, le secteur étudiant s’autonomisait… avec la bénédiction de Lambert qui multipliait les manœuvres syndicales.
L’AJS agonisait. En réalité, notre orientation stratégique dans la jeunesse était battue en brèche. Progressivement, l’UNEF est devenu le partenaire à l’université de la FEN, surtout de FO. Tout cela allait se payer au prix fort.
Claude était lucide. Les discussions qu’il menait avec les militants de la LCR soulignaient la dépolitisation de nos militants dans l’UNEF.
Il était malade, parfois désespéré mais d’une rare lucidité ; inlassable théoricien, le cours de l’OCI l’interpellait, Lambert avec qui il avait des rapports amour-haine… le fréquentait de moins en moins : il en souffrait. La dernière fois que je l’ai vu en Novembre 79, il s’inquiétait de la syndicalisation de notre travail jeune. Il avait raison. Nous étions maintenant hyper organisés avec des responsables à tous les niveaux répétant les mêmes formules : la sclérose menaçait. J’y ai pris ma part. Quelques années plus tard, les étudiants de l’OCI, dirigeants en tête ont rejoint le PS ; sous l’autorité de Lambert, ils avaient pris l’habitude de la « négociation », des manœuvres sans principe, de la collaboration de classe : ils étaient devenus « responsables », bons pour le service dans la social-démocratie…
La mort de Claude en Février 1981 m’a stupéfait. « Veilleur où en est la nuit ? » s’interroge Job. Nul ne peut percer le mystère d’une mort – apparemment – choisie.
Sa disparition symbolise la fin du travail jeune et le début de la fin pour l’OCI.
Après mon exclusion, en 1978, je suis resté trotskyste jusqu’en 1981 : l’appel à voter Mitterrand au premier tour, le refus de présenter un candidat porteur d’une alternative révolutionnaire avec l’union de la gauche m’a éloigné ; au-delà, l’échec international de la IVème Internationale m’interpellait. Et puis la machine à exclure installé dans la cour du 87 rue du faubourg Saint Denis fonctionnait à plein temps. Un appareil de permanents[3] considérable, interdisait les discussions internes, autant d’éléments qui plaidaient pour une réflexion globale sur la prétendue construction d’un parti révolutionnaire. Quant à l’analyse de la situation politique, elle était tout simplement folle.
Lisez ou relisez la « Vérité », revue théorique de l’OCI des années 70. Chaque éditorial annonce la fin rapide de la Vème République, l’ouverture prochaine et certaine de la crise révolutionnaire ; c’était « l’imminence de la révolution » au moment où Reagan et Thatcher organisaient la stratégie néo-libérale… Cherchez l’erreur.
Répétons-le, une organisation peut faire fausse route, se tromper. Il faut alors en discuter, tout miser sur la démocratie. Sur cette question et bien d’autres, Rosa Luxembourg a dit l’essentiel.
À l’OCI rien de tel. Objectif-résultat tel était le crédo puisque la « ligne » était évidemment – toujours – juste.
Les objectifs n’ont jamais été tenus. Les résultats catastrophiques…
Ce témoignage a ses limites. Sa part de subjectivité. À d’autres de dire leur vérité. Pierre Salvaing a commencé à rassembler les matériaux, textes, résolution pour réfléchir à cette époque. Viendront d’autres témoignages[4], des initiatives.
Nous avons essayé avec ardeur. Nous avons échoué.
Ni nostalgie, ni regret. À la fin de sa vie, Marx, le géant, répétait « Je doute ».
Je doute. Sans renoncer.
JK
[1] Les deux groupes s’étaient associés pour éditer en commun leurs publications dans certaines entreprises.
[2] GER : Groupe d’Étude Révolutionnaire. Stage de 3 ou 4 mois consacré à l’étude des textes de Marx, Hegel, Lénine, Trotsky etc… À la fin, les participants étaient ou non cooptés dans l’organisation.
[3] Certains le sont restés… jusqu’à aujourd’hui. Sincèrement, je les plains : des « professionnels » sans révolution.
[4] Le camarade Mathe propose d’organiser un site consacré à Claude Chisserey avec témoignages, photos, textes… Espérons que l’idée se concrétisera.