Coralie Delaume, de la combattante à l’intellectuelle engagée

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SOURCE : Marianne (David Cayla)

Coralie était d’abord une combattante acharnée, en lutte contre la bêtise. Elle détestait la pensée paresseuse, les mythes et les faux-semblants, les discours politiques et médiatiques qui se résument à quelques slogans creux tels que « l’Europe c’est la paix », puisque « l’avenir est à la mondialisation heureuse » et qu’il faut « plus de régulation supranationale » et moins « d’égoïsmes nationaux ». Et si les Français ne comprennent pas que « le destin de leur pays est de disparaître au profit d’entités continentales » c’est qu’il  « faut faire de la pédagogie ». Jusqu’à ce que ça entre. De gré ou de force.

CONTRE LE DÉFAITISME

Ce combat contre le défaitisme, le démantèlement de l’histoire, la négation du peuple, elle l’a mené jusqu’au bout. Elle affirmait son attachement absolu à la démocratie, c’est-à-dire à la souveraineté du peuple. La question, disait-elle, n’est pas de savoir si le peuple a raison ou tort, mais d’affirmer qu’il gouverne. La question n’est pas de savoir si les institutions sont bonnes ou mauvaises, mais qu’elles puissent s’adapter à la volonté populaire, qui est la seule boussole qui vaille.

Or, remarquait-elle, c’est justement le péché originel de l’Union européenne : des institutions qui sont faites pour contourner les peuples. Car de qui les trois « Indépendantes » que sont la Commission européenne, la Banque centrale européenne et la Cour de justice de l’Union européenne sont-elles indépendantes si ce n’est des peuples ? Quelle est la nature de cette architecture juridique qui met hors d’atteinte du suffrage populaire et des représentants élus les institutions qui gèrent la vie de millions de citoyens ? Pourquoi cette architecture a-t-elle été imposée malgré les référendums français et néerlandais de 2005. N’y a-t-il pas là une dramatique forfaiture ?

L’ÉPISODE GREC

Telles sont les questions que Coralie Delaume se posait. C’était loin d’être des questions abstraites et théoriques. Toute l’histoire de ces dernières années raconte à quel point cette « théorie » pouvait devenir très concrète et violente dès qu’elle trouvait à s’appliquer. Tel fut le destin tragique de la Grèce en 2015, victime des foudres de deux indépendantes coalisées, la Commission et la BCE. Coralie raconte cette histoire en détail dans le chapitre 2 de La Fin de l’Union européenne. D’abord, ce fut la Commission qui envoya ses fonctionnaires encravatés rédiger des plans d’austérité sans le moindre respect pour les procédures démocratiques et parlementaires du pays. Puis ce fut la Banque centrale européenne qui décida d’exclure les banques grecques de ses mécanismes de refinancement, prétextant d’un désaccord avec ses créanciers… dont elle faisait elle-même partie

Mise sous tutelle austéritaire par la Troïka, puis privée de sa propre monnaie, l’économie grecque fut lentement asphyxiée, jusqu’à la capitulation d’Alexis Tsipras. C’est le prix qu’il fallait faire payer pour qu’un peuple récalcitrant retourne dans le rang ; un peuple qui avait eu l’audace de « mal » voter et de mettre à la tête de son pays un gouvernement fermement opposé aux politiques d’austérités. Il s’agit, là aussi, de choses très concrètes. Le démantèlement des hôpitaux et des structures de santé, la baisse des salaires et des pensions, jusqu’au licenciement, en 2013, des 600 femmes de ménages qui nettoyaient le ministère des Finances, jusqu’à la fermeture la même année de l’ensemble des chaînes de la télévision publique et ses 2700 salariés.

SÉPARATISME ÉLITAIRE

Mais ce drame que la Grèce a vécu ne fut pas le simple produit d’institutions mal fagotées impropres à la démocratie. Il aura fallu des hommes pour mettre en place ces institutions et une idéologie pour les motiver. Cette idéologie, c’est celle des élites qui s’autonomisent de leurs responsabilités et de leurs devoirs, le « séparatisme élitaire », comme elle l’appelait. Car nos dirigeants explique-t-elle, « n’assument plus que de mauvaise grâce les charges et responsabilités qui devraient leur incomber, et préfèrent le service de leur intérêt bien compris à celui d’un ‘‘intérêt général’’, dont ils ne conçoivent même plus qu’il pût exister ».

Quoi de mieux pour illustrer cette trahison des élites à la française que de regarder la manière dont l’industrie et les services publics ont été sacrifiés sur l’autel des intérêts privés ?

L’industrie d’abord. Le démantèlement d’Alstom mais aussi de Latécoère et de Photonis, tous bradés et vendus à des entreprises américaines la révoltait, comme en témoigne cette vidéo tournée en février dernier pour Marianne TV. Et les gouvernements français, qu’ils soient sous l’autorité de François Hollande ou d’Emmanuel Macron, étaient alors prompts à courber l’échine et à oublier le bien commun, ceux des salariés de ces entreprises, mais aussi ceux de l’ensemble des Français dont les usines constituent le patrimoine hérité des générations passées. Car ces ventes ne sont bien souvent qu’une première étape vers la dépossession. Après son rachat de la branche énergie d’Alstom, General Electric n’a évidemment pas tenu ses engagements. Non seulement les 1.000 emplois promis n’ont pas été créés, mais les plans sociaux se succèdent, y compris dans le secteur des énergies renouvelables, censées être l’avenir de l’industrie française.

Les services publics ensuite. Comment voir autrement que comme une trahison le projet de privatisation d’ADP qui fut l’un de ses derniers grands combats ? De la pétition que nous avons lancée en février 2019 à la campagne de signatures pour la mise en œuvre du RIP, l’engagement de Coralie pour ADP fut total. Cette privatisation était le symbole de cette dépossession. Comme elle l’expliquait très bien, le refus de ce projet de privatisation allait bien plus loin que la simple question de l’organisation d’un service public aéroportuaire. Il exprimait avant tout « le refus de voir se poursuivre le désengagement de l’État, le désir d’en finir avec l’extension continue du domaine du marché, la volonté que l’économie repasse sous tutelle du politique »affirmait-elle en faisant référence à Karl Polanyi.

COMBATTANTE ACHARNÉE

Quand on tire le fil de la démocratie, on en vient à s’intéresser à l’économie et au social, qui est souvent la matrice où tout se joue. Coralie Delaume en était arrivée à beaucoup s’intéresser à l’économie. Elle partageait régulièrement les analyses des Économistes atterrés. L’affaiblissement économique de la France l’inquiétait, les inégalités la révoltaient. Aussi porta-t-elle le gilet jaune avec fierté durant les journées de mobilisation. Elle ne s’est jamais prétendue leader de quoi que ce soit, mais elle était de toutes les manifestations. Car c’était pour elle le juste retour de balancier, la révolte nécessaire d’un peuple qu’on avait trop méprisé. La revanche du réel, en quelque sorte.

Coralie était un esprit libre, une personnalité attachante, une femme ancrée à des valeurs simples fondées sur la justice et le respect de la dignité de l’autre. Elle était « l’innocence guerrière »comme l’a très bien écrit Gérald Andrieu. En menant son combat contre la bêtise et la corruption de la pensée, elle finit par se transformer en intellectuelle engagée, capable de disserter sur le droit européen, la laïcité, le système politique allemand ou la désindustrialisation. Son itinéraire intellectuel l’a amenée à beaucoup apprendre, beaucoup lire, beaucoup comprendre. Son travail et ses textes furent au service d’une démocratie remise à l’endroit, une démocratie où le peuple gouvernerait et où ceux qui le représentent en seraient les servants. Il reste encore du travail pour terminer son œuvre. Mais nous sommes nombreux à la poursuivre.

David Cayla et Coralie Delaume en 2016 

 

 

 

 


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