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SOURCE : Usbek & Rica
Royaume-Uni, Afrique du Sud, Japon… Faut-il s’inquiéter des nouvelles souches variantes du Covid-19 repérées dans certains pays ? La communauté scientifique plaide en tout cas pour endiguer leur propagation au maximum. Sans quoi l’efficacité des vaccins pourrait notamment être remise en question.
12 000. C’est le nombre de mutations qu’aurait subi le Covid-19 au cours de sa propagation à travers la planète durant les six premiers mois de l’année 2020, d’après les estimations d’un groupe de chercheurs publiées dans la revue scientifique Nature le 25 novembre dernier. Inquiétant ? Pas forcément. Car les mutations de virus constituent un phénomène tout à fait naturel et bien connu des scientifiques : pour faire simple, leur matériel génétique (ADN ou ARN) sont sujets à des modifications lorsqu’ils se répliquent (mutations) ou par échanges entre virus (recombinaisons).
« Les virus se multipliant rapidement et en grand nombre, ils ont un plus grand potentiel que les organismes cellulaires à générer des mutations dans un laps de temps court », expliquait ainsi l’Agence France Presse (AFP) dès le mois de janvier 2020, à une époque où les premières zones d’ombre sur le nouveau coronavirus commençaient tout juste à être levées.
Un an plus tard, comment expliquer l’inquiétude croissante de la communauté scientifique vis-à-vis de certaines de ces mutations ? Précisons d’abord que seulement deux variants du virus font l’objet, pour l’instant, d’une attention sanitaire renforcée à l’échelle mondiale. On parle d’ailleurs de souches variantes du virus quand celles-ci ont connu plus d’une dizaine de mutations, au point de diverger des autres lignées du SARS-CoV-2. La première, baptisée 501V2, est devenue majoritaire en Afrique du Sud, où elle représente aujourd’hui près de 90 % des infections. La seconde, B117 ou VOC 202012/01, provoque en ce moment même la saturation complète du système de santé du Royaume-Uni, le pays où elle est apparue et qui s’est reconfiné en urgence, début janvier, pour endiguer sa propagation. À ces deux variants détectés à la fin de l’année 2020, il faut en ajouter un troisième recensé depuis le lundi 11 janvier au Japon, qui contiendrait, selon l’Institut de recherche sur les maladies infectieuses local, des mutations en partie similaires à celles des variants dits « britannique » et « sud-africain ».
Contagiosité plus importante
Si le nombre très limité de données sur le nouveau variant apparu au Japon ne permet pas d’affirmer quoi que ce soit quant à son niveau de contagiosité pour l’instant, il n’en va pas exactement de même pour les deux autres. Les variants 501V2 et B117 se caractérisent notamment par une mutation sur la protéine Spike, qui correspond à la « clé » permettant au virus de s’accrocher à nos cellules et d’y avoir accès plus facilement. Plus concrètement, les travaux préliminaires conduits par une équipe de la London School of Hygiene and Tropical Medicine (LSHTM) ont conclu que la déclinaison du virus présente au Royaume-Uni était environ de 50 à 74 % plus contagieuse que la majorité des SARS-CoV-2 en circulation depuis le début de la pandémie.
Même constat en Afrique du Sud, où, si les chercheurs n’ont pas constaté des formes plus graves directement liées à ce variant au niveau individuel, ils ont pu observer que les patients contaminés ont une charge virale plus élevée. Ils pourraient donc transmettre le virus plus facilement à leur entourage. « La variante 501V2 présente des prélèvements de diagnostic de charges virales plus élevées, ce qui peut la rendre plus transmissible via les aérosols produits pendant la respiration et la conversation », explique ainsi le docteur Julian Tang, virologue et chercheur à l’université de Leicester, à nos confrères de TV5 Monde.
Or, les épidémiologistes le savent bien, un virus très contagieux est nettement plus dangereux qu’un virus très létal. Calculs mathématiques à l’appui, le chercheur à la London School of Hygiene & Tropical Medicine Adam Kucharski a notamment pu démontrer sur son compte Twitter qu’une variante du SARS-CoV-2 « 50 % plus transmissible serait un problème beaucoup plus important qu’une variante 50 % plus mortelle » : là où la seconde hypothèse pourrait provoquer 193 décès sur une population de 10 000 personnes (avec un taux de létalité de 0,8 % et un taux de reproduction du virus de 1,1, soit des statistiques proches de celles actuellement observées dans de nombreux pays), ce chiffre pourrait monter à 978 avec la première. « [Mon calcul] n’est qu’un exemple illustratif, mais le message clé est qu’une augmentation d’un truc qui croît déjà de manière exponentielle (la transmission) peut avoir beaucoup plus d’effets que le même niveau d’augmentation appliqué à un truc échelonné (le taux de mortalité) », détaille-t-il.
Menace sur l’efficacité des vaccins
On comprend, dès lors, l’accélération des calendriers de vaccination décrétée dans certains pays– dont le Royaume-Uni, qui a carrément décidé d’espacer le délai entre deux doses pour vacciner davantage de personnes, au grand dam d’une partie de la communauté scientifique. Est-on pour autant certains que les vaccins BioNTech/Pfizer, Oxford/AstraZeneca ou encore Moderna seront tout aussi efficaces contre les souches variantes du coronavirus que contre sa souche « originale » ? « En l’état actuel de nos connaissances, on pense que les vaccins seront efficaces contre ces souches », a tenté de rassurer Henry Walke, des Centres américains de prévention et de lutte contre les maladies (CDC), le 30 décembre dernier, en indiquant notamment que les mutations d’un virus n’ont « en général (…) pas un grand impact sur l’immunité induite par les vaccins ».
De leur côté, BioNTech et Pfizer assurent que leur vaccin reste bel et bien efficace contre la mutation N501Y, commune aux variants britannique et sud-africain. Mais l’étude sur laquelle ils s’appuient ne porte pas sur l’ensemble des mutations présentes sur les deux variants concernés : « Elle ne suffit donc pas, pour l’heure, à conclure avec certitude que l’efficacité du vaccin sera la même que contre le virus classique », rappelle à juste titre l’AFP.
« La beauté de la technologie de l’ARNm messager est que nous pouvons fabriquer un nouveau vaccin en six semaines »Ugur Sahin, directeur général de BioNTech, interrogé par le Financial Times
L’inquiétude de la communauté scientifique ne concerne en fait pas tant l’utilité des vaccins que leur degré d’efficacité. Exemple cité par le média américain Vox : la mutation E484K présente sur la souche dite « sud-africaine » du virus, qui vise « la liaison entre le récepteur et le virus, où il se verrouille sur les cellules humaines ». Or, « il a été démontré que la mutation E484K réduisait la reconnaissance des anticorps », fait valoir François Balloux, professeur de biologie à l’University College London, dans un communiqué. Cela signifie que cette mutation pourrait, en théorie, aider le virus à « contourner la protection immunitaire fournie par une infection ou une vaccination antérieure ».
Plus rassurant, des premières analyses ont montré que, face au variant britannique, la réponse immunitaire produite par les vaccins semble suffisamment efficace, car ces derniers ciblent des régions variées de la protéine Spike (la « clé » permettant au virus de s’accrocher à nos cellules mentionnée plus haut). De même, des portes-paroles de BioNTech indiquent qu’une « mise à jour » de leurs vaccins pour mieux faire face à d’éventuelles mutations de plus grande ampleur serait assez facile à opérer. « La beauté de la technologie de l’ARNm messager [que nous utilisons] est que nous pouvons commencer à concevoir un vaccin qui se base complètement sur une nouvelle mutation et (…) en fabriquer un nouveau en six semaines », assure notamment au Financial Times Ugur Sahin, le directeur général de BioNTech. Des recherches complémentaires seront vraisemblablement nécessaires pour confirmer toutes ces hypothèses.
Le risque de nouvelles mutations renforcé
Une autre conséquence de ces nouveaux variants prend la forme d’une sordide mise en abyme puisqu’elle concerne le risque de nouvelles mutations qu’ils génèrent eux-mêmes, créant ainsi un cercle vicieux. « Il s’agit essentiellement d’un jeu de chiffres : plus le virus circule, plus les mutations ont de chances d’apparaître », expose auprès de la revue Science Jeremy Farrar, infectiologue à la tête de la fondation caritative Wellcome Trust. À cause du taux de contagiosité plus élevé des nouveaux variants, les risques de mutation augmentent donc proportionnellement avec ceux des transmissions. Dans ce contexte, réduire considérablement le nombre d’infections de tous les coronavirus SARS-CoV-2, variants ou pas, aurait donc le double avantage de réduire les chances que le virus ne se diffuse… et évolue encore plus.
« Plus le virus circule, plus il est probable que des mutations et des variants émergent »Devi Sridhar, professeure de santé publique
« Plus le virus circule, plus il est probable que des mutations et des variants émergent, ce qui rend la suppression plus difficile, estime la professeure de santé publique Devi Sridhar dans une tribune publiée sur le site de The Guardian. La responsabilité de cette nouvelle souche variante [britannique] peut en partie être attribuée à ceux qui se sont prononcés contre les restrictions, avançant que permettre au virus de sévir chez les jeunes tout en protégeant les personnes vulnérables permettrait de créer une immunité. Ce qu’ils n’avaient pas anticipé, c’est que les conditions sont désormais réunies pour que des nouveaux variants apparaissent. » À long terme, la spécialiste note que ce genre de mutations encore plus développées pourraient menacer l’efficacité des vaccins mais aussi augmenter les risques de réinfection.
Reste désormais à savoir à quel point ces nouveaux variants, notamment le B117, circulent sur le territoire français. C’est ici que le fameux séquençage de chaque test réalisé, qui consiste à observer la séquence du génome présent sur le virus pour savoir s’il correspond à tel ou tel variant, joue un rôle clé. Or les procédures de séquençage du virus demeurent particulièrement laborieuses dans l’Hexagone, où les tests effectués n’ont pendant longtemps pas été suffisamment détaillés. À titre d’exemple, d’après des données du projet Gisaid (Global Initiative on Sharing Avian Influenza Data) consultées le lundi 11 janvier, la France fournit seulement 0,98 séquence de génome pour 1000 cas positifs, contre 3,88 pour la Sierra Leone, 44,9 pour le Royaume-Uni et 341 pour la Nouvelle-Zélande.
Pour pallier ce retard, le ministre de la Santé Olivier Véran a mis en place en urgence une opération spéciale les jeudi 7 janvier et vendredi 8 janvier derniers, consistant à « faire séquencer tous les tests PCR douteux », c’est-à-dire susceptible de receler le variant dit anglais (voir cet excellent article du Huffington Post pour plus de détails sur l’opération et la procédure de lecture des tests en vigueur jusqu’ici en France). Résultat : il représenterait actuellement environ 1 % des tests positifs au Covid-19. Suffisant pour limiter sa propagation en France ? Les prochains jours devraient permettre de le savoir.