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SOURCE : Bastamag
La Poste a sa propre assurance chômage, censée indemniser les postiers en fin de contrat. Mais les ex-postiers attendent souvent plus de six mois avant de recevoir une allocation. Ce qui les laisse sans aucun revenu, et en grande détresse. Enquête.
Dans le groupe WhatsApp « Litige La Poste chômage », elle s’appelle « Ninou ». De juillet 2017 au 23 avril 2020, Ingrid Roppelt, 24 ans, a été factrice à vélo. « C’est vraiment ce que je voulais faire », assure-t-elle. Mais une réorganisation « impressionnante » provoque un gros surcroît de travail et des congés « toujours décalés ». La jeune femme porte des charges « toujours un peu trop lourdes ». Un mal de dos se déclenche au point qu’elle se retrouve en arrêt maladie, « assise sur (son) canapé » sans même pouvoir aller faire ses courses. Lorsque son mal de dos devient invalidant au point qu’elle ne puisse plus faire ses tournées à vélo, elle décide de demander une rupture conventionnelle de son contrat, rapidement acceptée par son employeur. Elle sait qu’elle doit s’inscrire à Pôle emploi pour pouvoir recevoir des indemnités de chômage, ce qu’elle fait le lendemain de la fin de son contrat, le 24 avril.
Pôle emploi lui notifie alors qu’elle doit s’adresser au service chômage de La Poste. Elle découvre que La Poste fonctionne selon un mécanisme d’« auto-assurance » : l’entreprise assure elle-même la gestion et le financement de l’indemnisation du chômage de ses agents. Ce mode de gestion interne date du temps où La Poste était une administration puis une entreprise publique, mais il détonne pour la société anonyme qu’elle est devenue depuis 2010. Dans la liste des employeurs ayant le droit de gérer eux-mêmes le chômage de leurs ex-salariés, on trouve notamment l’État et les collectivités territoriales mais pas les sociétés anonymes, même celles à capitaux publics, comme c’est, encore, le cas de La Poste.
Au mois de mai, Ingrid Roppelt reçoit un courrier du service chômage de La Poste, le CSRH, situé à Nancy, lui indiquant le dossier à constituer. Ce service gère les dossiers des ex-salariés de toutes les filiales de l’entreprise. L’ancienne factrice envoie son dossier complet. Le mois suivant, le service chômage lui indique qu’il manque un document. « J’ai fait des navettes pendant des mois entre Pôle emploi et La Poste parce qu’il manquait toujours un papier », témoigne-t-elle. Le 14 septembre, elle trouve dans sa boîte aux lettres un courrier lui indiquant qu’elle va enfin pouvoir être indemnisée. Elle se réjouit… avant de trouver le même jour dans sa boîte mail un courriel l’informant que son dossier est encore incomplet.
« Heureusement que j’avais un peu d’argent de côté »
Elle devrait envoyer un document de Pôle Emploi attestant de son affiliation en 2019, date à laquelle elle travaillait encore pour La Poste. « Depuis ce jour-là, c’est comme si je parlais une autre langue. Mes indemnités sont “bloquées” à cause de ce papier ! »Elle tente régulièrement de contacter le service chômage par téléphone. Au 0 800 004 108, le choix 1 est censé mettre en contact avec le service chômage, le choix 2 avec le service retraite. Problème : le choix 1 semble sonner dans le vide puis raccroche. Elle tente donc le choix 2. « Ils font passer les informations à leurs collègues par mail mais ne peuvent pas répondre concrètement. Ça met bien une semaine à chaque fois. »
Ingrid se met alors à chercher des informations sur Internet. Connectée à deux groupes Facebook regroupant des postiers, elle y entre en contact avec un membre du groupe WhatsApp « Litige La Poste chômage ». Fin novembre, après l’intervention d’une assistante sociale de l’entreprise, son dossier se débloque. Plus de sept mois après son départ, elle touche en décembre la totalité des indemnités chômage restées en souffrance jusque là. « Heureusement que j’avais un peu d’argent de côté, que mon copain a un salaire et que je n’ai pas d’enfants. Mais on ne peut pas laisser les gens sans revenu comme ça ! » En janvier, ses indemnités lui ont été versées normalement. Mais elle vient maintenant de recevoir un courrier lui demandant de refaire son dossier !
Dans ce même groupe WhatsApp, il y a aussi « Clé », alias Clélia Guerfi, ex-postière de 21 ans. Clélia effectue un BTS en alternance à La Poste jusqu’en juillet 2019, comme chargée de clientèle au guichet. En 2019, La Poste a été classée parmi les entreprises qui recrutent le plus d’alternants, 17 600 entre 2016 et 2019 selon Le Figaro. Quand le contrat de Clélia Guerfi s’achève, elle essaie de toucher les indemnités chômage auxquelles elle a droit. Mais le service « est injoignable », rapporte-t-elle. Elle finit par « abandonner » et retravailler à La Poste, mais cette fois en intérim, entre octobre 2019 et juin 2020. En mars 2020, huit mois après la fin de sa période d’alternance, elle apprend que ses droits au chômage sont enfin ouverts.
La situation se corse en septembre 2020 lorsqu’elle déménage à Lille pour commencer une formation d’éducatrice spécialisée. Là, elle a vraiment besoin d’avoir des indemnités chômage car, entre les périodes de formation et les périodes de stage, elle n’a pas le temps de travailler pour financer ses études. Elle se retrouve seule dans une nouvelle ville qu’elle ne connaît pas. « C’était compliqué, j’étais à deux doigts de me retrouver à la rue, confie-t-elle. Depuis mes 17 ans, je me gère toute seule. Là, ma mère m’a aidé comme elle a pu, en m’avançant mes deux premiers loyers, mais elle aussi, ça l’a mise en difficulté. » En dépression lorsqu’elle commence son premier stage, Clélia ressent les effets de sa situation précaire sur sa « posture professionnelle ». Car « éducatrice spécialisée, c’est un métier qui demande d’être à 100 %. Sur mon bilan de stage, il est écrit que je me suis laissée emporter par mes émotions. Je ne nie pas… Mais j’ai encore un peu de mal à l’avaler. »
« J’appelle le service chômage jusqu’à 15 fois par jour »
Elle ne décolère pas contre La Poste. Le service chômage est « déplorable », dit-elle. « Quand j’arrive à avoir quelqu’un, on me dit “je fais remonter l’info, je mets un mot sur votre dossier, on vous rappellera.” » Clélia intègre le groupe WhatsApp en octobre. « J’ai découvert que d’autres personnes étaient dans la même situation que moi. Avant, je me disais que c’est moi qui avais un problème, que je m’y prenais mal. »C’est seulement le 21 novembre qu’elle finit par percevoir ses indemnités chômage. Début décembre, elle reçoit « une quinzaine d’enveloppes affranchies de cette semaine-là mais dont les courriers sont datés de début 2020. C’était en fait tous les courriers du traitement de mon dossier qui n’avaient jamais été envoyés. »
Il reste encore un problème : ses droits n’ont pas été recalculés depuis sa période d’alternance à La Poste. Elle touche aujourd’hui 800 euros par mois, moins que ce qu’elle toucherait si sa période de travail plus récente en intérim était prise en compte. Elle sait qu’elle pourrait demander que ses droits soient recalculés en sa faveur. C’est le « droit d’option » : l’ex-salarié de La Poste dont des droits au chômage sont ouverts auprès de l’entreprise peut opter pour une nouvelle ouverture de droits à Pôle emploi, eu égard à une période de travail ailleurs qu’à La Poste. Par la suite, il ne dépend plus de La Poste. Mais échaudée par les précédents épisodes, Clélia Guerfi n’a pas entamé cette procédure : « Car pour le faire, il faudrait encore en faire la demande à La Poste. 800 euros, c’est mieux que rien »
Des témoignages de ce type affluent par dizaines dans les groupes Facebook ou WhatsApp dédiés, mais aussi auprès des syndicats. Lauren Bobo, 31 ans, a passé trois ans en alternance à La Poste au service des ressources humaines. Après la fin de son contrat, elle a dû emprunter 5000 euros en attendant que ses indemnités lui soient versées, avec trois mois de retard. Après une période de travail « dans le privé », elle se retrouve à nouveau au chômage en juillet 2020 et met six mois à obtenir le paiement d’indemnités d’un montant de 800 euros par mois. Ce montant a été calculé sur sa période d’alternance à La Poste, alors qu’elle pourrait prétendre à une indemnisation de 1300 euros si sa période de travail ultérieure était prise en compte. Elle décide, elle, de faire valoir son droit d’option pour passer à Pôle emploi. Mais encore faut-il réussir à joindre La Poste pour le faire. « J’appelle le service chômage jusqu’à 15 fois par jour, explique-t-elle. Entre le 21 septembre et le mois de décembre, je n’ai jamais réussi à avoir quelqu’un au téléphone. »
« Les gens voient le facteur mais ils ne savent pas la misère dans laquelle La Poste nous met »
Majed Rezgui, 40 ans, s’est lui aussi retrouvé au chômage à deux reprises depuis 2017, après une formation de chauffeur livreur en alternance à La Poste, puis en 2020, au début de la crise du Covid-19, après deux ans de contrat chez Amazon. La première fois, il a mis six mois à toucher des indemnités de La Poste. La seconde, il a découvert qu’il dépendait toujours de son service chômage car il lui restait encore des droits issus de son précédent contrat. Du coup, là encore, il a dû attendre pour toucher ses indemnités : cinq mois. « On touche zéro. Tout s’arrête : le loyer, l’électricité, l’assurance. Mon bailleur ne comprenait pas quand je lui disais que j’attendais mon chômage car Pôle emploi ne fait pas attendre des mois. Six mois, ça donne des idées noires. Je me suis même embrouillé avec ma femme. » Un huissier est même venu lui réclamer 250 euros de frais bancaires impayés pour son compte… à la Banque postale.
Aline, factrice entrée à La Poste en 2002 et licenciée en décembre 2019, a dû demander de l’aide au Secours catholique et le RSA avant que l’intervention d’une assistante sociale de La Poste ne débloque son dossier. « La Poste est une énorme boîte, qui pèse très lourd en chiffre d’affaire. Les gens voient le facteur tous les jours mais ils ne savent pas la misère dans laquelle La Poste nous met », commente-t-elle, amère.
Plus de 13 000 salariés en CDD travaillent en moyenne tout au long de l’année à La Poste, soit 7 à 8 % de l’effectif. À la fin de leurs contrats, les ex-postiers chômeurs, démunis face à un service avec lequel il est presque impossible d’établir un contact, se tournent souvent vers Internet. Ils tapent « la poste chômage » dans un moteur de recherche et tombent sur un article rédigé par le syndicat Sud-PTT Isère Savoie. François Marchive, son secrétaire, explique : « Pendant la pandémie, La Poste n’a pas renouvelé la plupart des CDD. Il y a eu un afflux très important de personnes qui demandaient leurs indemnités au service chômage, souligne le syndicaliste. Depuis le mois d’août, on a cinq ou six coups de fil par jour de personnes qui ne touchent pas leurs indemnités. Toute la France est touchée, du Nord à la Guadeloupe. Les gens sont à bout. Ce n’est pas facile d’avoir au bout du fil des gens dans des situations catastrophiques. »
Le syndicat a mis en place un questionnaire qu’il demande aux personnes concernées de remplir avant de les transmettre à la fédération, pour un règlement au cas par cas. « En ce moment, estime François Marchive, on a 150 à 200 questionnaires remplis. Il s’agit soit de personnes qui n’arrivent par à faire démarrer leur indemnisation, soit de gens dont l’indemnisation s’arrête du jour au lendemain. »
« La moitié des agents du service chômage sont des précaires »
La fédération Sud-PTT a elle aussi mis en place une adresse mail pour les chômeurs de La Poste. « On s’est retrouvés débordés, explique Yann Le Merrer, qui fait partie des personnes en charge de ce dossier à la fédération. 50 personnes nous contactaient chaque jour. Des gens ont divorcé, perdu leur logement… On se dit que ce n’est pas possible qu’une boîte qui a un chiffre d’affaire de 26 milliards laisse crever les gens. »
Lorsqu’un syndicat, une assistante sociale ou un avocat intervient, le dossier en souffrance est traité rapidement. Une « cotisation solidaire » d’un euro par mois a été mise en place par Sud-PTT Isère-Savoie pour permettre aux ex-postiers dans les situations les plus délicates de pouvoir bénéficier des services d’une avocate conventionnée avec le syndicat. « Le problème, complète Yann Le Merrer, c’est que ça ne règle rien au fond de l’affaire. On est face à un service contraint par le manque de personnel. » La direction de La Poste dit avoir renforcé l’équipe de son service chômage d’un tiers. Le syndicaliste indique les chiffres suivants : « 36 personnes gèrent le service. Face à l’afflux de cas, 30 intérimaires ont été embauchés cet automne, mais leurs contrats arrivent à échéance en février. Et ce ne sont pas les quatre personnes supplémentaires embauchées en CDI qui suffiront. »
Sylvain Leroux, de la CGT-FAPT confirme que « la moitié des agents du service chômage sont des précaires. Quand il y a des flux trop importants, La Poste prend des intérimaires. » Pour son syndicat, « le problème c’est la politique de recrutement de La Poste. La meilleure façon que les dossiers soient mieux traités, c’est qu’il y ait moins de turn-over. » Donc plus de recrutements stables.
Lucie Tourette