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SOURCE : Marianne
Régis Portalez, ingénieur et fondateur de X-Alternative, association de polytechniciens antilibéraux, revient sur le soutien “amical” de l’actuel ministre de l’Intérieur à l’ancien président après sa condamnation en justice.
Gérald Darmanin voulait « peser », ça y est, il pèse. Du haut de ses 9 592 voix à Tourcoing, soit 15 % du corps électoral, celui-ci demandait le 23 mai 2020 à peser dans le gouvernement d’Emmanuel Macron. Dès le 6 juillet, il sera nommé ministre de l’Intérieur. Depuis, on ne compte plus ses sorties. Celles-ci vont de propositions de loi (séparatisme, sécurité globale) aux accusations en mollesse à l’adresse du Rassemblement national. Tel un incendiaire, il allume des feux qui assurent sa notoriété, au prix possible de la prochaine campagne d’Emmanuel Macron, au prix probable de la concorde nationale.
Son dernier bon mot ? Tout en se gardant de commenter une décision de justice, il rappelle « l’affection, le respect », qu’il a pour Nicolas Sarkozy, qui a été « un grand président de la République » et qui a « évidemment son soutien amical ».
Gérald Darmanin a évidemment le droit, à titre individuel, d’être ami avec Nicolas Sarkozy. Il a aussi le droit de l’admirer et de penser qu’il a été un grand président, comme il a le droit de penser que la terre est plate. Il a même le droit de l’assurer de son soutien amical. Il peut donc à ce titre l’appeler, lui envoyer des cartes postales ou des bouquets de fleurs.
Mais Gérald Darmanin est ministre de l’Intérieur. Alors pourquoi tenir ces propos publiquement sinon pour en faire un geste politique ? Au-delà du scandale qui nous fait voir un ministre de l’Intérieur en exercice soutenir publiquement un condamné, quel est le sens de ce geste ?
On pourrait penser que Gérald Darmanin a agi sous le coup de l’émotion, pris par les questions d’un journaliste besogneux, comme cela pourrait arriver à chacun d’entre nous. Mais Gérald est un homme politique aguerri, entraîné à ces questions et obsédé, comme tous les politiques, par son image publique et les effets de celle-ci. Son discours est pesé, calculé, et c’est même probablement son activité principale que de préparer ses prises de paroles afin d’en maximiser l’impact. On ne peut pas lui accorder la naïveté.
On pourrait aussi penser qu’il s’agit de rassurer son camp (Les Républicains), quant à son allégeance réelle : s’il travaille pour Macron en mercenaire, il saura retrouver les siens quand il le faudra. Ses déclarations à propos des violences policières (il s’en « étouffe »), des rayons communautaires (quelques jours après la décapitation de Samuel Paty), de « l’ensauvagement d’une partie de la société », souvent à rebours de la parole présidentielle, le font même ressembler à un cheval de Troie. En droitisant le gouvernement jusqu’à l’outrance, il coupe Macron de l’électorat centriste (qui n’aime pas que les choses se voient trop) et rend son camp indispensable à l’orée de la campagne de 2022.
On peut encore penser qu’il envoie une claque aux juges ou au garde des Sceaux. En se le permettant, il montre son pouvoir et son impunité. Et effectivement Dupont-Moretti n’a pas relevé le gant. Macron non plus n’a pas réagi, et c’est d’ailleurs peut-être lui qui était visé. Si son ministre de l’Intérieur peut se permettre ça en plus de tout le reste, c’est que le maître des horloges ne tient plus la baraque. Le test est brillamment passé. Et quelle marque de faiblesse en haut de l’exécutif ! L’autre option, qui a ma faveur, c’est qu’à force de s’essuyer les pieds sur la fonction, sur les Français, sur la République, on en prend l’habitude.
Depuis le début du quinquennat c’est comme une litanie. Ils mentent, ouvertement et grossièrement, sans jamais avoir à en assumer les conséquences. Et personne ne répond. Personne n’a repris Christophe Castaner quand celui-ci affirmait qu’on avait « attaqué un hôpital ». Personne n’a repris Amélie de Montchalin ou Gabriel Attal quand ils affirmaient que l’immolation d’Anas, étudiant à Lyon, « n’était pas un geste politique ». Personne n’a repris Sibeth Ndiaye quand elle disait que « les masques ne servaient à rien » ou que la réforme des retraites était « une réponse au mouvement des Gilets jaunes ». Personne n’a repris Edouard Philippe quand il affirmait que la police n’avait « rien à voir avec la mort de Steve ». Personne n’a repris Emmanuel Macron quand il fallait « aller au théâtre », quand il parlait de « foule haineuse » ou quand il nous a promis le « retour des jours heureux ».
Enfin pas exactement personne, nous avons tous hurlé, dans notre coin, à chaque fois. Des députés ont harangué en tribune, quelques journalistes ont fait leur travail, on a manifesté, mais rien d’institutionnellement suffisant ne s’est opposé. Alors ils ont continué de mentir et de parler comme si on n’était pas là. À force ils ont pris le pli, naturellement. Ils se parlent entre eux et ne nous voient même plus.
Leur nouveau truc, c’est de préparer 2022 et les forces se mettent en place. Macron a besoin d’aller chercher les voix du Rassemblement national. Alors Darmanin fait le boulot, peut-être pour un tiers qui a les mêmes besoins, en disant que Marine est molle. Pour autant, il ne faut pas se couper totalement de l’électorat social-démocrate. Alors le lendemain on fait barrage aux « extrêmes ». Et le surlendemain on rappelle son amitié sincère à la droite sarkozyste. On n’en est plus à une incohérence près. Le socle électoral macroniste est si faible, l’abstention si forte qu’un soutien ou un autre peut faire basculer une élection.
Sans perdre tout à fait le nord, ils s’occupent, en s’accommodant de 400 morts par jour et d’hôpitaux en tension, de gérer à la fois 2022 et l’avancée des réformes néolibérales. Ça fait beaucoup et ça fait sans doute trop. Macron pense à tout. Tout en gardant le Covid au bain-marie du couvre-feu, il lit la littérature scientifique, réforme le chômage, parle aux médias, réforme le droit des faillites, parle aux Français, distribue les aides au CAC. Il fait tout ça tout seul et les journaux admirent. Les journaux nous enjoignent même à admirer. Et plus le climat en devient ridicule d’obséquiosité, plus on oublie qu’on a des universités, le CNRS, l’INSEE, les ministères, l’Assemblée, l’hôpital, le Sénat et tant d’institutions pensées pour tout ça. La démocratie ? À quoi bon ? Nous avons le Mozart de la finance. Plus il brille dans le JDD, et plus on voit le roi sombrer, jusqu’à ne pas tenir un jeune ministre trop ambitieux. Qu’il sombre ! doit penser une part de ceux qui l’ont amené là. Un autre (ou une autre) prendra le relais.
Et c’est finalement là-dedans que Darmanin joue comme un gamin. Au milieu d’institutions en ruines, coupées du peuple et massivement désavouées par lui, il pèse, enfin. En oubliant sa propre fonction, en giflant un président qui le mérite bien, en méprisant les Français, il mène son petit jeu au service d’on ne sait quoi. Ce que ça nous révèle, c’est évidemment sa propre indignité, mais surtout l’obsolescence des institutions. Élu par si peu, propulsé si haut, il n’a qu’à tenir ses féaux et honorer ses suzerains. La constitution, les Français, la France ? Dans cette nouvelle féodalité miteuse, plus personne ne s’en soucie. Au poids de Darmanin, on mesure le déshonneur de la France.