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SOURCE : Le Monde
(Le Monde) Ce courant, né à la fin du XIXe siècle, se caractérise par son attachement à la grève générale et à l’action directe. La CNT en est un exemple, mais on le retrouve aussi à FO et au sein de l’UNSA, premier syndicat de la RATP.
Analyse. Dans le conflit qui secoue la France depuis plus de deux mois contre la réforme des retraites, il y a un parfum d’anarcho-syndicalisme. Léger mais vivace.
A Force ouvrière (FO), les quatre unions départementales (UD) de Bretagne se réclament de ce courant qui se caractérise par son attachement à la grève générale et à l’action directe. Sur le site de l’UD-FO d’Ille-et-Vilaine, un texte en date du 24 janvier dénonce « le bal des hypocrites », en qualifiant le projet d’Emmanuel Macron de « retraite des morts ». Il dénonce « les [Laurent] Berger (CFDT) et [Laurent] Escure (UNSA) qui nous font le coup de : on a gagné sur l’âge “pipeau” (…). Mais en face, des salariés du privé et du public, des retraités, des étudiants se battent dans l’unité pour bloquer ces assassins des “jours heureux” [du nom du programme du Conseil national de la Résistance] et arracher le retrait du projet de loi qui n’est ni amendable ni négociable. (…) Indéfectiblement, FO est et sera toujours aux côtés des “derniers de corvée” et dans le camp de la résistance ». L’UD prône une « grève interprofessionnelle jusqu’au retrait du projet Macron-Delevoye-Berger ».
L’anarcho-syndicalisme est né en même temps que le syndicalisme à la fin du XIXe siècle. Pour abolir conjointement l’Etat et le capitalisme et bâtir une société communiste libertaire, il préconise la grève générale expropriatrice et l’action directe. En France, cette idéologie est portée dans le champ syndical par le journaliste Fernand Pelloutier (1867-1901). Très réservé vis-à-vis de la création de la CGT, Pelloutier n’assiste pas au congrès fondateur de Limoges en 1895.
Auteur avec Aristide Briand d’une brochure intitulée De la révolution par la grève générale (1892), il est à l’origine du développement des Bourses du travail. Pour lui, la grève générale est « un mouvement, sinon violent, du moins actif, tendant à annihiler la résistance du capitalisme et de ses moyens de coercition : pour cela, il évitera de prendre la forme d’une insurrection, trop facilement réductible militairement, ou d’une épreuve de force financière qui verrait nécessairement la défaite du prolétariat. Elle ne débouchera pas sur un pouvoir socialiste, mais sur une société de type absolument nouveau, reposant sur la libre association de producteurs ».
Recours à l’action directe
Jusqu’en 1914, l’anarcho-syndicalisme est influent au sein de la CGT, notamment en 1906 lors de l’adoption de la Charte d’Amiens qui rejette la sujétion du syndicat au Parti socialiste. Jusqu’en 1902, un comité d’organisation de la grève générale se réunit fréquemment. Emile Pouget, avec une verve inimitable, s’en fait le chantre dans son hebdomadaire Le Père peinard : « Oui, nom de Dieu, écrit-il, y a plus que ça aujourd’hui : la grève générale. (…) Du coup, le populo presque tout entier se reposerait. Ça lui donnerait le temps de réfléchir, il comprendrait qu’il est salement volé par les patrons, et dam, il se pourrait bien qu’il leur secoue les puces dare-dare. »
En 1926, des militants anarchistes créent une éphémère CGT-SR (Syndicaliste révolutionnaire). Aujourd’hui, la Confédération nationale du travail (CNT) se réfère au syndicalisme révolutionnaire et à l’anarcho-syndicalisme. Née en 1946 et revendiquant 5 000 membres, elle recourt à l’action directe, une lutte non violente à coups de grèves, de boycotts, de piquets de grève, d’occupations d’entreprises et de manifestations. Autogestionnaire et anti-hiérarchique, elle pratique, avec comme emblème un chat noir, la démocratie directe et refuse de se doter de permanents syndicaux.
De même que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, les « gilets jaunes », en développant l’action directe et en prônant la grève générale, ont réhabilité l’anarcho-syndicalisme sans s’y reconnaître. Au sein de la RATP, plusieurs dizaines d’activistes, voire plus, constituent ce que Laurent Escure, secrétaire général de l’Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), appelle « des gilets jaunes syndicaux ».
Un « OSNI, objet syndical non identifié »
S’opposant aux syndicats historiques, deux organisations non représentatives, qui rappellent les coordinations apparues dans la grève de 1986 à la SNCF et disparues rapidement, défendent des positions jusqu’au-boutistes. Héritier en 2014 du Syndicat antiprécarité, le Rassemblement syndical campe sur une ligne radicale. Prompt à dénoncer les « trahisons » des directions des centrales syndicales, il n’a pas de permanents et est surtout implanté chez les conducteurs de bus. Née en 2018, la Base – un « OSNI, objet syndical non identifié », selon M. Escure –, qui se veut le porte-parole « sans filtre » des salariés, revendique 200 adhérents chez les conducteurs du métro et du RER.
Au sein de l’UNSA, premier syndicat de la RATP, le pôle traction défend farouchement son autonomie et fait entendre sa propre musique. Selon FO, il est sous l’emprise de l’extrême gauche. Le 6 février, Laurent Djebali, secrétaire général du pôle traction de l’UNSA-RATP, a appelé à faire du 17 février un « lundi noir dans les transports ». Pour ce représentant des conducteurs de métro (12 % des adhérents du syndicat), il faut continuer « la lutte contre cette réforme des retraites inique ». « L’appel d’une composante de l’UNSA-RATP à une journée d’action le 17 février, a réagi M. Escure, est le fruit des errements de la direction de l’entreprise dans le dialogue social depuis plusieurs semaines. »
Il reste que M. Djebali, qui préconise « une grève générale, avec tous les secteurs, pendant sept ou huit jours », incarne une ligne radicale éloignée du réformisme de la direction de l’UNSA. Si ce parfum anarcho-syndicaliste n’est pas dominant, il risque, au lendemain du conflit, de nourrir la défiance vis-à-vis des appareils syndicaux et les procès sur leurs « trahisons ».