La crise mondiale et la lutte des classes

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SOURCE : Tendance marxiste internationale

La propagation du coronavirus a provoqué une chute des grandes places boursières. Entre le 24 et le 28 février, 5000 milliards de dollars s’y sont volatilisés.

« Tous les éléments d’une crise majeure à l’échelle planétaire sont là », soulignait LeFigaro du 28 février. Effectivement, tous les éléments d’une nouvelle récession mondiale se sont accumulés depuis la crise de 2008 : d’énormes dettes publiques et privées, des bulles spéculatives insondables, des banques au bord du gouffre, la saturation de nombreux marchés, le développement de tendances protectionnistes… Et nous l’avons souvent expliqué : la fragilité de l’économie mondiale est telle que n’importe quel accident– le Brexit, la faillite d’une banque, etc. – peut précipiter une nouvelle récession.

On ne peut pas affirmer que l’épidémie de coronavirus sera cet accident. Cela dépendra notamment de l’évolution de la situation sanitaire au cours des prochaines semaines. Mais les pressions qu’elle exerce sur la structure de l’économie mondiale sont déjà importantes. Du fait du poids de la Chine et de son rôle clé dans la division internationale du travail, sa paralysie partielle a d’importantes répercussions aux quatre coins du monde. En France, par exemple, l’entreprise Seb évalue à 250 millions d’euros sa perte de chiffres d’affaires : ses sept usines chinoises sont à l’arrêt. Danone annonce 100 millions d’euros de perte, Schneider 300 millions. Des composants produits en Chine n’arrivent plus, ou en nombre insuffisant. Moody’s prévoit une chute de 2,5 % des ventes mondiales d’automobiles, cette année. Le tourisme et le transport aérien sont frappés de plein fouet. Et ainsi de suite.

Partout, les perspectives de croissance sont revues à la baisse. Le FMI table désormais sur 5,6 % de croissance en Chine (et non plus 6 %), mais beaucoup d’économistes sont encore plus pessimistes. L’économie américaine ralentit. Le Japon s’enfonce dans la récession. Bank of America a ramené ses prévisions de croissance de la zone euro de 1,1 % à 0,6 %, pour 2020. L’Allemagne, qui était menacée de récession, ne pourra plus y échapper, tout comme l’Italie.

La Banque de France, qui jusqu’alors prévoyait 1,1 % de croissance en 2020, dans l’hexagone, va réviser à la baisse ce chiffre misérable. Naturellement, ceci n’empêche pas Macron et ses ministres de se réjouir publiquement des glorieux effets de leur politique économique. C’est un exercice de communication classique ; ils ne sont pas bêtes au point de croire à leurs propres déclarations. Mais le spectacle demeure grotesque : voilà un gouvernement qui chante l’avenir radieux de l’économie française au moment où, de toute évidence, elle fonce vers le précipice.

Les leçons d’une grande lutte

En attendant, Macron se félicite du reflux de la mobilisation – dans la rue et dans la grève – contre la casse de nos retraites. Il ne perd rien pour attendre. Son parti le payera cher aux élections municipales. Plus généralement, le gouvernement sort de ce conflit social encore plus fragile, discrédité et détesté qu’il ne l’était déjà. La « réforme » des retraites est toujours rejetée par une très grande majorité des jeunes et des travailleurs. Loin d’être démoralisés par la victoire – toute provisoire – du gouvernement, des millions d’entre eux vont s’efforcer d’en comprendre les raisons et les leçons. Ils en tireront des conclusions radicales. Les prochaines luttes en porteront la marque.

Normalement, c’est aux dirigeants du mouvement ouvrier que revient la tâche d’aider les travailleurs à tirer les bonnes conclusions des différentes étapes de la lutte des classes, de ses victoires comme de ses défaites. Au lieu de cela, le 20 février dernier, l’intersyndicale publiait un communiqué nous appelant à une nouvelle journée de mobilisation pour le 31 mars. En quoi celle-ci pourrait-elle différer, dans ses effets, de la dizaine de journées d’action organisées depuis le 5 décembre ? L’intersyndicale ne nous le dit pas. Quelle perspective ouvre la journée du 31 mars ? Quels sont ses objectifs ? Il s’agit de « faire échec à ce projet de loi » sur les retraites, affirme platement l’intersyndicale.

C’est se moquer du monde. Si le gouvernement n’a pas cédé face aux grèves reconductibles de décembre et janvier derniers, il ne reculera pas face à une douzième manifestation interprofessionnelle. Les dirigeants syndicaux qui ont signé ce communiqué le savent bien eux-mêmes, d’ailleurs. S’ils n’en disent rien, c’est parce qu’ils ne veulent pas aborder la question de leur responsabilité dans l’issue de ce combat.

Nous l’avons écrit avant le 5 décembre et l’avons répété depuis : seul un mouvement de grèves reconductibles embrassant un nombre croissant de secteurs peut faire reculer le gouvernement. Il ne cèdera que si le développement de la lutte le menace d’une grève générale illimitée. Voilà le rapport de force nécessaire pour faire plier un gouvernement réactionnaire dans la France de 2020, face à une classe capitaliste qui, pour défendre et accroître ses profits, doit détruire toutes nos conquêtes sociales.

Or, un mouvement de grèves de cette envergure pouvait difficilement se développer sur la base du seul mot d’ordre de « retrait de la réforme des retraites ». A lui seul, ce mot d’ordre ne pouvait pas convaincre la masse des travailleurs de se lancer dans une forme de lutte aussi radicale (et coûteuse) que la grève reconductible. Il fallait donc élargir le programme du mouvement à d’autres revendications, passer de la défensive à l’offensive, avancer des mesures progressistes – et ouvrir la perspective de renverser le gouvernement Macron, car aucune politique progressiste ne sera mise en œuvre par le gouvernement des riches. Sur cette base programmatique, en amont du mouvement de grèves, il fallait mener une vaste et longue campagne d’agitation dans l’ensemble du salariat, identifier les secteurs les plus disponibles au combat, intensifier l’agitation dans les autres secteurs – bref, étudier le terrain et préparer la lutte de façon sérieuse, systématique, planifiée.

Nous ne disons pas que ce programme et cette méthode nous garantissaient la victoire ; nous disons qu’ils étaient nécessaires pour espérer vaincre. Mais rien de tel n’a été tenté par les directions confédérales qui dirigeaient le mouvement (sans parler de celles qui soutenaient le gouvernement). Or ce problème n’est pas nouveau et continuera de se poser, à l’avenir, tant que les bases syndicales ne l’auront pas réglé.

La FI et le PCF

Ce qui précède vaut également pour les directions de la France insoumise (FI) et du PCF. Au lieu d’ouvrir à la lutte des perspectives politiques générales, elles se sont entièrement alignées sur les mots d’ordre et la stratégie des directions syndicales. Il n’y avait pas l’épaisseur d’un papier de cigarette entre leur position et celle de Philippe Martinez (CGT). Sur les revendications : « le retrait de la réforme » – et rien de plus. Sur la stratégie : « confiance totale dans les directions syndicales ! »

L’alignement des dirigeants du PCF sur la direction de la CGT n’est pas une nouveauté. De la part de Mélenchon, par contre, c’est un net recul par rapport aux critiques des directions syndicales qu’il avait formulées en 2017 et 2018. Mélenchon dénonçait alors – à juste titre – la stratégie des « journées d’action » sans lendemain et sans effets, mais aussi le refus des directions syndicales de participer à des mobilisations politiques de masse contre le gouvernement Macron (sous couvert, comme toujours, d’« indépendance syndicale »).

Les dirigeants de la FI n’ont pas tiré les bonnes conclusions de leur revers aux élections européennes de juin dernier (6,3 %). Ils pensent qu’ils étaient trop radicaux, alors qu’en réalité ils ne l’étaient pas assez. Dès lors, pour ne plus s’exposer et ne fâcher personne, ils font profil bas aux élections municipales – et renoncent à leurs critiques des directions syndicales, qui n’ont pourtant rien fait pour le mériter. Si cette orientation droitière de la FI devait se poursuivre, ce mouvement ne pourra pas jouer le rôle qu’il revendiquait au lendemain des présidentielles de 2017 : celui d’une opposition de gauche offensive, radicale, et qui se prépare à la conquête du pouvoir pour mettre fin à toutes les politiques d’austérité.


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