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SOURCE : Bastamag
Que s’est-il passé pendant six ans au sein des quatorze villes gérées par le RN/FN ? Le collectif Vigilance et initiatives syndicales antifascistes livre, avec les éditions Syllepses, son bilan de la gestion communale par l’extrême droite. En voici quelques illustrations.
Quatorze villes françaises sont aujourd’hui gérées par des maires d’extrême droite, ainsi que deux arrondissements de Marseille. Qu’y font-ils ? Quelle y est leur politique ? À l’approche des municipales, le collectif Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (Visa) [1] et les éditions Syllepses publient un nouveau bilan de la gestion municipales des villes gérées par des maires venus du Front national/Rassemblement national, le livre Lumière sur villes brunes. En voici des extraits au sujet de quatre villes : Mantes-la-Ville (Yvelines), Hayange (Moselle), Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), Orange (Vaucluse), Congolin et Luc (Var).
À Mantes-la-Ville, le maire RN s’augmente mais coupe drastiquement les budgets sociaux
C’est la seule ville d’Île-de-France administrée par le RN, mais les élections de 2017 y ont été très décevantes et montrent que son implantation n’est pas vraiment assurée [2]. Ces déboires n’empêchent pas le maire de veiller à la défense de ses intérêts propres. En juin 2017, il a augmenté son indemnité de maire de 7 %. Ce qui, ajouté à ses indemnités de conseiller régional et d’élu à la communauté urbaine, lui permet d’atteindre un confortable total mensuel brut de 7350 euros. L’opposition dénonce cette opération et rappelle que « le maire, en trois ans, a divisé les subventions aux associations par deux, baissé le nombre d’agents municipaux de près de 20 % […], supprimé au maximum tout ce qui a trait au social, en expliquant que les finances municipales vont mal et qu’il faut faire des économies… » !
Cyril Nauth, le maire Front/Rassemblement national de Mantes-la-Ville, continue discrètement de mettre en œuvre sa politique inégalitaire et discriminatoire. Comme dans toutes les municipalités d’extrême droite, c’est l’argument de la « bonne gestion » et de la diminution des impôts locaux qui sert à justifier la politique menée. Nauth affirme qu’il gère la ville en « bon père de famille » et dans ses vœux 2018 il s’est engagé « à continuer dans la voie du sérieux et de l’exemplarité en matière budgétaire ». Qu’en est-il réellement ?
Lorsqu’on regarde plus précisément les décisions prises, ces économies servent surtout à justifier la diminution, voire la suppression, des structures d’aides sociales (CVS, missions locales pour l’emploi…) et des subventions aux associations (FC-Mantois, LDH, le Comité des fêtes, l’école d’arts plastiques…) dont il aimerait réduire les activités. Elles servent aussi de prétexte pour réduire le nombre d’agents publics, donc des services à la population.
Mais ne sont pas citées les dépenses liées à son acharnement contre les demandes de permis de construire d’une mosquée et d’un centre culturel musulman (plus de 100 000 euros de frais de justice). Ni les frais d’un audit financier pour un bilan d’autosatisfaction à mi-mandat largement diffusé dans la ville. Ni encore le budget renforcé de la police municipale et de la vidéosurveillance…
À Hayange, Fabien Engelmann coupe l’électricité et le chauffage au Secours populaire
Depuis le 30 septembre 2016, la municipalité avait coupé le gaz et l’électricité à l’association du Secours populaire, lui demandant en même temps de quitter – sans préavis – les locaux appartenant à la ville qu’elle occupait depuis 2005. La mairie reprochait à l’association son caractère « politisée et pro-migrants », alors qu’elle vient en aide aux nécessiteux sans distinction d’origine. Le Secours populaire de Hayange compte environ 1000 bénéficiaires de ses aides.
Le 19 décembre 2017, le tribunal de grande instance de Thionville (Moselle) – saisi en référé, donc pour une procédure d’urgence, depuis octobre 2017 – a ordonné à la ville de rétablir le gaz et l’électricité avec effet immédiat. Cela sous la menace de devoir payer 1500 euros d’astreinte pour le premier jour de retard, puis 500 euros pour chaque jour de retard. La mairie devra aussi verser 1500 euros d’indemnités à l’association. La mairie a annoncé son intention de faire appel de cette décision et de saisir le tribunal pour lui demander l’expulsion du Secours populaire de ses locaux.
À Hénin-Beaumont, Steeve Briois installe des caméras partout
Dès 2016, la mairie FN d’Hénin-Beaumont avait prévu l’installation de 110 caméras de surveillance à travers la ville (de moins de 30 000 habitant·es) et d’un centre de supervision, pour un coût global budgété de 531 000 euros.
Or, l’installation effective du dispositif de vidéosurveillance a pris du retard, puisque la mairie d’extrême droite avait tablé sur une aide financière de l’État de 300 000 euros, via le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FPID). Or, au moins jusqu’ici, l’État a un peu traîné les pieds, face à l’enthousiasme de la mairie FN.
Alors que l’ex-FN devenu RN poursuit tranquillement sa politique d’implantation locale et de préparation des municipales de 2020, sa gestion locale a fait, ces derniers mois, peu de vagues publiquement. La volonté de certaines municipalités d’extrême droite d’afficher une « normalité » vers l’extérieur y contribue autant que le comportement des médias, dont l’attention s’est détournée de la gestion des mairies FN/RN à partir du moment où l’actualité n’y apparaissait pas « spectaculaire » ou sensationnelle.
Hénin-Beaumont, la seule municipalité que le FN a prise en 2014 avec une majorité absolue dès le premier tour des élections municipales, a toujours été le laboratoire de cette stratégie du « peu de vagues ». Le maire de la ville, Steeve Briois, étant aussi vice-président du FN, ex-secrétaire général ainsi que député européen, il occupe les hautes positions dans l’appareil du parti parmi les maires d’extrême droite en place.
Au cours du premier semestre 2018, l’attention publique et médiatique a surtout été attirée sur la municipalité d’Hénin-Beaumont à l’occasion de plusieurs procès qui impliquent des acteurs politiques locaux, à la fois de l’équipe municipale mais aussi de l’opposition. Du côté de la municipalité, des poursuites sont en cours depuis l’automne 2017 contre l’adjoint à la culture du maire, Christopher Sczcurek, pour diffamation. Une adresse IP avait été identifiée comme appartenant à cet élu et entre décembre 2015 et décembre 2016, plusieurs articles à caractère diffamatoire avaient été publiés à partir de cette adresse. Il s’agissait avant tout d’attaques contre le quotidien régional, La Voix du Nord : « La propagande gauchiste de la VDN continue », « La VDN est à la botte de l’opposition et certains journalistes se couchent » ; « La VDN aux ordres de la gauche ». L’élu est mis en examen, pour ces propos, depuis le 3 octobre 2017.
Le 6 février 2018,le Parlement européen a voté la levée de l’immunité parlementaire de Steeve Briois, sur la demande du parquet de Douai. Ceci afin de permettre des poursuites pour des propos qualifiés d’injures publiques, que le maire avait publié le 23 décembre 2015 sur sa page Facebook et qui visait l’élu d’opposition David Noël (PCF). Ce dernier était accusé, notamment, de « haine » contre la ville. Du côté de l’opposition, l’élue écologiste Marine Tondelier, l’une des plus actives à tenir tête à la municipalité FN/RN, a été à son tour mise en examen, comme l’a annoncé la VDN le 7 juillet 2018. En cause, plusieurs passages du livre qu’elle a publié en mars 2017 sous le titre Nouvelles du Front, où elle relate les intimidations et les pressions exercées par l’équipe municipale contre ses détracteurs locaux.
– La face cachée d’une ville gérée par le Front National : une élue écologiste raconte |
À Orange, Jacques Bompard muselle l’opposition
Depuis le début de ses mandats (en 1996), Jacques Bompard [ancien du FN, fondateur du parti Ligue du Sud, allié à divers groupes d’extrême-droite, mais concurrent local du FN/RN, ndlr] essaye de museler toute opposition. Cette politique s’amplifie au dernier trimestre 2017 : lors du conseil municipal du 29 octobre, la mairie ne fournit pas les documents nécessaires à la connaissance des dossiers, notamment le très épineux PLU (plan d’urbanisme). Lors du conseil municipal du 23 novembre, il suspend la séance dès que l’opposition prend « trop longtemps » ou de façon « intempestive » la parole et donne un blâme à l’une de ses représentantes…
Il préfère informer via les panneaux d’information électroniques municipaux (à côté de l’annonce du loto et du vide-greniers) : « Suite aux débordements aux conseils municipaux, le maire procédera directement au vote chaque fois que l’opposition lui déniera le droit de répondre. » Fin des débats et belle démonstration de démocratie.
M. Bompard a une vision bien particulière de la démocratie. Par exemple, son contournement de la loi sur le cumul des mandats. À la suite des élections législatives, M.Bompard en plus de son mandat obtient celui de député, ce qui n’est plus possible avec la nouvelle loi. Pas grave, ce grand défenseur de la démocratie a une stratégie pour garder tous les pouvoirs en mains : démissionner de son mandat de maire, pour être dans les clous dans un premier temps, puis se faire réélire par le conseil municipal (la dernière élection étant celle qui donne mandat) le 25 juillet, et en même temps, continuer à agir au sein de l’Assemblée nationale via sa suppléante.
À Congolin, le maire RN se vante d’être hors la loi
Le dévoilement de plusieurs heures d’enregistrements de conversations téléphoniques entre le maire, un notable bistrotier et son fils, en février 2017, est édifiant : menaces et chantages à peine voilés, mépris affiché des petits commerçants, cynisme vis-à-vis de sa propre majorité qualifiée de « liste de débiles que je trimbale » accusée de « demander des choses pour eux » dans leur « pré carré ». La cerise sur le gâteau arrive quand il parle de lui-même : lui qui est « prêt à tout » pour rester maire « ad vitam aeternam », qui se vante d’être un « vrai petit écureuil » qui a mis de l’argent partout, et pas seulement en Croatie, et qui explique à son interlocuteur qui lui certifiait n’avoir jamais fait les choses hors la loi : « Tu as bien de la chance, moi j’ai fait ça toute ma vie. »
Quel vent de panique a poussé Marc-Étienne Lansade à se lâcher ainsi et pourquoi, un an après, les enregistrements sont-ils sortis ? Le contexte politique l’explique : après de nombreuses défections, la majorité municipale ne tenait plus qu’à un fil et des élections anticipées se profilaient. Le maire préparait déjà les élections de 2020 en voulant « faire une liste divers droite, avec tous les gens normaux ». Pour ce faire, il voulait des déclarations publiques d’allégeance de notables de la ville et était prêt à toutes les pressions dans ce but ; il ne les a pas obtenu, par contre, il a réussi à « retourner » un conseiller municipal de l’opposition et à écarter ainsi provisoirement le spectre d’un retour aux urnes anticipé.
Et maintenant ? Sur le plan judiciaire, les enregistrements saisis par la gendarmerie de Saint-Tropez ont atterri sur le bureau du procureur de la République à Draguignan. On attend les suites. Sur le plan politique, les espoirs de reclassement « divers droite » du maire sont très compromis et le fossé avec son opposition de droite, ses ex-colistiers « traîtres » et les notables cogolinois n’a jamais été si profond. Signe des temps, en mai, le maire a une fois de plus demandé au conseil municipal la protection juridictionnelle pour lui-même dans cette affaire. Mais le quorum n’étant pas atteint, il s’est permis de voter, ce qui est contraire à la loi vu qu’il est directement concerné.
L’opposition a saisi le préfet pour faire annuler cette délibération. Un deuxième vote a eu lieu au conseil municipal du 26 juin pour confirmer celui du mois précédent.
Cette histoire nauséabonde n’empêche pas la mairie de continuer son Monopoly juteux. Ainsi, le 13 juin, Var Matin annonçait que la régie municipale du port des Marines de Cogolin avait fait l’acquisition d’un ensemble immobilier pour 3 millions d’euros pour y installer un yacht-club et qu’elle allait emprunter 6 millions d’euros en 2018.
Au Luc, valse des directeurs, menaces et charte « Ma commune sans migrant »…
Finis les états d’âme qui caractérisaient les deux maires précédents qui ont jeté l’éponge dans la commun varoise du Luc. Avec Pascal Verrelle, Le Luc dispose d’un maire FN droit dans ses bottes. D’abord, il fait le ménage dans ses services. On en est au quatrième directeur général des services ; ensuite, afin d’augmenter son pécule, le maire s’est fait voter une indemnité supplémentaire forfaitaire pour frais de 350 euros par mois. Mais surtout, le maire n’a pas peur de payer de sa personne. Il se permet des menaces physiques contre un responsable de l’association Ensemble pour Le Luc, membre de la Codex 83 (Coordination départementale contre l’extrême droite) ; une plainte a été déposée avec preuve enregistrée de cette « conversation » à l’appui.
Depuis octobre 2017, le maire a trouvé son nouveau cheval de bataille : les migrants. Prévoyant, il avait fait adopter en 2016 par le conseil municipal une charte : « Ma commune sans migrant ». Ensemble pour Le Luc l’a contestée devant le tribunal administratif mais a été débouté. Informé fin octobre 2017 par le préfet de l’arrivée probable d’ici début 2018 d’une trentaine de migrants dans un foyer sur sa commune, le maire s’est fendu d’une lettre aux habitants du Luc, où il accusait les migrants d’être des « clandestins » de faire peser sur Le Luc un risque économique car cela fera fuir des investisseurs… Heureusement, dans le Var, comme dans beaucoup d’autres régions, la solidarité concrète avec les migrants s’organise et ce n’est pas cette prose honteuse qui la freinera, même au Luc.
Collectif Vigilance et initiatives syndicales antifascistes (Visa)