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SOURCE : NPA
Entretien avec Hugo Huon, ancien infirmier de nuit, animateur du Collectif inter-urgences, auteur de « Urgences, hôpital en danger » (Albin Michel).
Tu es l’un des principaux initiateurs du Collectif inter-urgences (CIU). Comment celui-ci s’est-il constitué, puis élargi au Collectif inter-hôpitaux (CIH) ?
Avant de répondre à cette question il est important de recontextualiser en parlant de l’état du secteur hospitalier. Dans l’objectif de réduire les dépenses publiques, l’État a mis en place ces trois dernières décennies une série de lois et de modélisations économiques impactant aujourd’hui la qualité des soins et remettant en question le principe d’égalité de traitement dans l’accès aux soins. En regard, la modification du travail à l’hôpital s’est traduite par une perte de sens et une défection importante du personnel, où la résignation est de mise.
Le Collectif inter-urgences a été créé à la suite de la grève débutée à Saint-Antoine le 18 mars 2019. Il est constitué de personnes partageant le même constat de conditions de travail délétères impactant les conditions d’accueil. La plupart des services s’étaient déjà heurtés par le passé à l’échec du dialogue social, et la nécessité de nous coordonner sur tout le territoire nous apparaissait donc comme une évidence.
Il est important de comprendre que le mouvement part du regard que l’on porte sur notre travail. L’avantage des services d’urgences, en première ligne, est le double niveau de lecture sur l’institution hospitalière mais aussi sur la société et ses inégalités. En conséquence, s’attaquer à la résolution des problèmes rencontrés aux urgences revient à questionner l’ensemble du système, et c’est donc par la force des choses que nous avons développé les versants militants et politiques.
L’élargissement au CIH est devenu nécessaire quand les réponses apportées par le gouvernement se sont inscrites dans un budget fermé. En gros, ce qui était donné aux urgences était pris sur les autres services. Or, si la violence est plus exacerbée dans notre secteur, les problématiques de turn-over et de fermetures de lits sont généralisées, et on ne peut résoudre le problème des urgences sans améliorer l’aval (le reste des services). La particularité du CIH est d’avoir inclus les usagers dans leur gouvernance et cet axe est essentiel aujourd’hui. Les premiers touchés par les politiques publiques sont les patients, donc le problème est citoyen.
Nous sommes pour l’auto-organisation et la prise en main des luttes par les salariéEs, cependant les syndicats sont indispensables à la permanence d’outils de lutte. Qu’en penses-tu ?
Cette question nous a évidemment travailléEs dès le début du conflit et semble avoir traversé une bonne partie des mobilisations du 20e siècle. Là encore, l’histoire des luttes syndicales dans le secteur hospitalier est intéressante. La marge entre concurrence et collaboration parmi les collectifs auto-organisés et les syndicats a toujours été ténue, bien que chaque mouvement soit singulier et que tous les syndicats ne voient pas d’un mauvais œil l’émergence de collectifs. Disons que l’auto-organisation, définie par et pour l’action, sur des objectifs bien particuliers et dans un temps donné, permet une souplesse que ne possèdent pas les grosses centrales. Si nous avons parfois été en conflit et si certaines centrales continuent à dénier le rôle qu’a eu le CIU, aujourd’hui l’inter-syndicale fonctionne. En synthèse nous pensons que les deux, syndicats et collectifs, sont importants pour mobiliser dans un secteur où l’engagement n’est pas une évidence.
Sur le mouvement inter-urgences, le point de départ a été la nécessité d’argumenter chaque poste demandé. Nous reprochions alors aux organisations l’institutionnalisation de leur discours. Plus largement, les dernières mobilisations montrent que les outils traditionnels tels que les manifestations ne fonctionnent plus. Face à un gouvernement qui refuse le dialogue – à ce sujet un exemple frappant est l’augmentation de la tolérance face à la violence en manifestation, or la violence est bien l’absence de mots – et nie le rôle des corps intermédiaires, nous nous retrouvons aujourd’hui à les défendre. Nous espérons, à l’issue de ce conflit, que les centrales arriveront à assouplir certains aspects de leur fonctionnement.
Après la démission de près d’un millier de chefEs de service, le départ d’Agnès Buzyn et l’arrivée d’Olivier Véran, quelle direction devrait prendre la mobilisation hospitalière pour gagner ?
La gestion politique a été rocambolesque sur bien des aspects. Le changement d’interlocuteur n’est pas un changement de politique. Les actions devraient donc se poursuivre. Il est encore trop tôt pour dire quelles idées émergeront et quels virages prendra la mobilisation à l’issue des municipales. Nous continuerons d’essayer de sensibiliser les citoyens sur ces questions de santé. Il faut comprendre que, si le mouvement hospitalier s’essouffle comme le souhaite le gouvernement, ce sont bien les patients qui en feront les frais.
Comment expliques-tu la faible mobilisation des hospitalierEs contre la réforme des retraites qui va pourtant lourdement les pénaliser ?
La réforme des retraites arrive à un moment où la frange « mobilisable » des hospitaliers est déjà en branle depuis de nombreux mois. Pourtant les blouses blanches ont été moins visibles dans les cortèges de tête que les avocats ou les enseignants par exemple. Est-ce vraiment paradoxal ?
Le Collectif inter-hôpitaux n’a pas appelé à la mobilisation des retraites pour ne pas risquer la division, des avis comme des énergies, d’un mouvement encore fragile fin novembre. Le Collectif inter-urgences y a appelé après un vote serré auprès d’un personnel rincé. Notre force, à l’inter-urgences, n’a jamais été le nombre mais la communication et les actions.
Au-delà de la division du travail et de la sociologie des professions, l’explication qui semble la plus forte reste la projection des soignants dans l’avenir : il est complexe de penser à la retraite pour une population qui dénonce les conditions de travail actuelles et n’envisage pas une carrière hospitalière. Nous avons déjà du mal à mobiliser nos pairs pour des problématiques qui les affectent au quotidien, alors une réforme qui les impactera dans trente ans… Pour rappel, l’espérance de vie professionnelle moyenne d’une infirmière est de cinq ans environ.
Quoi qu’il en soit, de nombreux soignants se déplaçaient sur les piquets de grève des dépôts de bus, ce qui laisse entendre que cette mobilisation, si elle était disparate, n’était pas si faible.
Jusqu’en janvier dernier, tu étais infirmier aux urgences de Lariboisière. Aujourd’hui, tu publies un livre dans lequel tu donnes une large place aux témoignages. Pourquoi ce livre ? Pourquoi as-tu quitté l’hôpital ?
L’objet du livre a évolué avec le temps. Aujourd’hui il est triple. C’est d’abord un objet de dévoilement, une bouffée de réel. À l’heure où le gouvernement a un discours réducteur sur la gravité de la situation hospitalière, il est de notre devoir d’informer les citoyens qui, rappelons-le, seront les premiers touchés. Le deuxième objet est plutôt d’ordre sociologique. Il tend à montrer que les dysfonctionnements sont généralisés et impactent profondément la culture des acteurs du soin. Les questions de confiance et de sens au travail ne se résoudront pas avec des demi-plans. Enfin, il s’y joue aussi quelque chose au niveau de la parole. Les paramédicaux se brident souvent dans l’expression, que ce soit en réunion, en se dévalorisant, ou dans la presse, par crainte des représailles. Nous espérons donc qu’à la lecture de ce livre les soignants s’ouvriront un peu plus.
Je voulais déjà partir de l’hôpital avant que le mouvement débute. Le CIU aura prolongé un peu plus mon exercice. J’étais cassé par cinq années d’exercice où le sentiment d’abandon a été prégnant. Abandon d’une partie grandissante de la société et abandon en miroir des professionnels soignants, extrêmement isolés et devant s’occuper de demandes dépassant de très loin leurs compétences. Je ne pouvais plus être dépositaire de ces histoires privées d’espoirs.