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SOURCE : La gazette des communes
A la veille du scrutin du 15 mars, les derniers bastions du PCF affichent la couleur. Au menu : cantine à 40 centimes par jour pour les plus pauvres et logement social à tous les étages. Mais devant la poussée d’EELV, le PCF passe aussi discrètement au vert
A l’image de leur avenue Lénine à Gentilly (Hauts-De-Seine) ou de leur rue Karl Marx à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), ces édiles font mentir les analyses sur la standardisation de l’action publique. Au programme : des services publics XXL pour une gratuité maximale.
« Les maires communistes sont porteurs de l’histoire politique de leurs territoires populaires. Ils ont un capital culturel à faire valoir », explique le chercheur au CNRS et directeur du Centre d’histoire sociale des mondes contemporains de l’université Paris I, Emmanuel Bellanger.
Villages gaulois
Le PCF est souvent de longue date aux manettes de ses hôtels de ville. Du côté de Waziers (8 000 hab., Nord), il dirige la mairie depuis 1919.
Au total, le parti revendique encore 6 700 élus et 661 communes, dont 145 de plus de 3 500 habitants. 2,3 millions de Français sont administrés par des municipalités communistes.
Une implantation très localisée. Selon une étude de l’historien du parti Roger Martelli en 2014, les mairies PCF sont regroupées, pour la moitié d’entre elles, dans seulement 7 départements : les Bouches-du-Rhône, la Meurthe-et-Moselle, le Nord, le Pas-de-Calais, la Seine-Maritime, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis.
Ailleurs, le PCF est retranché dans des villages gaulois . C’est le cas à Saint-Pierre des Corps (15 000 hab., Indre-et-Loire), cité cheminote de la banlieue de Tours, qui a connu exclusivement des maires communistes depuis la Libération. Mais cette année, Marie-France Beaufils passe la main après 37 ans de bons et loyaux services. La succession s’annonce difficile.
En dehors du Puy-de-Dôme, le PCF perd des plumes à chaque scrutin. Ses fiefs de Bourges, Evreux, Le Havre et Nîmes sont passés dans le giron de la droite. En Ile-de-de-France, le parti ne dirige plus que 38 municipalités, contre 147 en 1977. Soit 10 % de la population, contre 38 % il y a 43 ans, lors du scrutin marqué par la victoire des listes d’union de la gauche.
Un lent déclin bien sûr dû à la chute des pays socialistes à l’Est, mais aussi au choc de la désindustrialisation dans la ceinture rouge autour de la capitale.
Fin des maires ouvriers
A l’instar de l’usine d’Ivry-sur-Seine qui employait 2 000 travailleurs, les sites de production ont presque tous fermé leurs portes. Avec eux, sont tombées des forteresses syndicales tenues d’une main de fer par la CGT.
Ces structures étaient aussi les courroies de transmission des mairies. Une chaîne de commandement à destination des masses laborieuses qui, le plus souvent, travaillaient et habitaient dans la même ville. Un système parfaitement au point dans le 9-3.
« C’était l’union soviétique de Seine-Seine-Saint-Denis. Une contre-société totale dans laquelle les individus étaient pris en charge du berceau au tombeau », raconte un ancien cadre administratif de mairie communiste, aujourd’hui dans le secteur privé.
A la tête de ces communes, beaucoup de maires ouvriers. A l’instar de Marcelin Berthelot à Saint-Denis, ils vivaient en HLM, au milieu des travailleurs. « Les maires ressemblaient à leur électorat, ce qui faisait la fierté des populations », évoque Emmanuel Bellanger. Une époque révolue.
Le lent déclin du communisme municipal s’accompagne d’une fermeture sociale. Dans les villes de plus de 30 000 habitants, la proportion de maires ouvriers est tombée de 10 % dans les années 1930 à 0,4 % aujourd’hui.
Le PCF, lui-même, n’échappe pas à ce rétrécissement sociologique. Comme dans les autres partis, les permanents politiques prennent le pas sur les autres profils. Premiers magistrats de Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et Vierzon (Loir-et-Cher), Patrice Bessac et Nicolas Sansu sont tous deux des anciens attachés parlementaires.
Armée de fonctionnaires
« Les maires communistes édictent aujourd’hui des arrêtés anti-expulsion. Auparavant, ils venaient sur place avec l’écharpe tricolore pour empêcher pacifiquement les huissiers d’agir », fait remarquer un familier de ces élus. Comme tous les partis, le PCF manque de relais dans la société. Ses relais traditionnels, comme le Secours Populaire, ont du plomb dans l’aile.
Cependant, ses élus cherchent toujours à faire corps avec la sociologie de leur ville. « On a sur nos listes des gens des cités comme des chauffeurs Uber ou des animateurs de centre-loisir », vante Jacques Marsaud, l’ancien DGS de Saint-Denis.
Le PCF se montre aussi toujours fidèle au service public. Ses maires plébiscitent la gestion en régie. Ils s’opposent aux grands groupes privés qui veulent « mettre en coupe réglée » les secteurs de l’eau, des transports, du chauffage urbain…
Ils disposent d’une armée de fonctionnaires. Saint-Denis compte par exemple 2 900 agents pour une ville de 107 000 habitants. Une politique pleinement assumée.
Dotés de budgets abondants grâce à la manne des sièges sociaux, comme à Saint-Denis, ou des raffineries, comme à Martigues (50 000 hab., Bouches-du-Rhône), ils font parler leur fibre sociale. La gratuité est leur leitmotiv. En matière de transport bien sûr. Les tarifs, dans les cantines scolaires sont, eux, particulièrement bas pour les enfants des familles les plus pauvres. « A Saint-Denis, c’est 40 centimes », précise Jacques Marsaud.
La nostalgie camarade
Du portage de repas à domicile des anciens à l’accès gratuit aux services de généralistes et de spécialistes (dentistes, ORL, gastro-entérologues…) dans les centres de santé, le communisme municipal a souvent été pionnier.
Rien d’étonnant aux yeux d’Antoine Valbon, directeur général des services de l’établissement public territorial de Grand Orly Seine Bièvre. « Etre communiste, c’est être révolutionnaire dans les solutions pour l’homme nouveau », s’enflamme le fils de l’ancien maire de Bobigny et président PCF du conseil général de la Seine-Saint-Denis, Georges Valbon.
Les mairies communistes prennent en charge les enfants dès le plus jeune âge. Leurs campagnes contre la mortalité du nourrisson ont longtemps été des références. Alignées en rang d’oignon en Vendée, les colonies de vacances de la ceinture rouge sont entrées dans la légende.
Les gamins de Saint-Denis raffolent du château de Montrem en Dordogne. Une bâtisse au cœur d’une propriété de 90 hectares composée d’une vallée, deux forêts et un lac. Parmi les habitués de la colo, figurait le fils du DGS de Saint-Denis, Fabien Marsaud, aujourd’hui plus connu sous le nom de Grand Corps Malade.
Grands ensembles
Mais dans les grands ensembles des derniers bastions de la ceinture rouge, l’ambiance est devenue morose. La faute aux équipes en place, dénonce l’écrivain Didier Daeninckx, dans un pamphlet publié à la veille du scrutin des 15 et 22 mars (Municipales, banlieue naufragée, Tracts Gallimard). « Le clientélisme, la corruption et le communautarisme semblent tenir lieu de politique municipale sur un tissu social atteint jusqu’à la trame », grince l’auteur, longtemps compagnon de route du parti.
« En Seine-Saint-Denis, ils aiment tellement les pauvres qu’ils les multiplient. Ils les font venir ! Cela a été une volonté délibérée des élus pour avoir une population assez sûre au plan électoral. Quand des villes atteignent 80 % de logements sociaux, c’est le résultat d’une politique folle ! », dénonçait en 2012 le très anticommuniste patron des Hauts-de-Seine, Patrick Devedjian (LR) qui a ravi la mairie d’Antony (Seine-Saint-Denis) au PCF en 1983.
Un discours qui insupporte au plus haut point Jacques Marsaud. « Si tout le monde faisait du logement social, on n’aurait pas besoin d’en construire autant dans nos villes. Malgré 60 % de logements sociaux, nous avons 10 000 demandes en attente à Saint-Denis », fait valoir l’ancien DGS de la ville. Et Jacques Marsaud de contester les accusations de clientélisme. C’est dans les grands ensembles que le vote FN était le plus fort dans les années 1980. C’est là que l’abstention atteint aujourd’hui des sommets.
Ailleurs, la participation est effectivement un peu plus forte. Mais les maires PCF de la banlieue rouge sont souvent mal élus. A Saint-Denis, le premier édile communiste l’a emporté en 2014 avec 50,50 % des suffrages, mais seulement 9 209 voix dans une commune qui compte 107 000 habitants.
Du côté de Vitry, il a raflé la mise avec 55 %, mais uniquement 7 120 bulletins de vote à son nom dans une localité qui compte 55 000 âmes. Le début de la fin ? Pas sûr.
En rouge et vert
Ces chiffres sont aussi le reflet, dans ces localités, d’une forte proportion d’étrangers qui ne bénéficient pas du droit de vote. Et, surtout, le communisme municipal sait aussi se renouveler. Il passe du rouge au rouge et vert. Une mue naturelle pour Antoine Valbon : « Grâce aux communistes, les espaces verts en Seine-Saint-Denis sont passés d’1m2 par habitant à 11 m2 en quarante ans. »
« Il faut se souvenir que les villes rouges ont promu les cités-jardins, rappelle Emmanuel Bellanger. Mais le logiciel des maires communistes était celui de l’industrialisation. Ils doivent maintenant se défaire de cette image. »
C’est devenu un impératif dans des villes qui, sous l’effet de la désindustrialisation, se sont peu à peu tertiarisées, mais aussi gentrifiées. Mais la partie n’est pas perdu pour autant. La victoire de Patrice Bessac à Montreuil en 2014, qui a repris la ville aux écolos, ouvre des perspectives au PCF. « Le gentrificateur n’est pas forcément celui qui chasse les plus pauvres, en conclut Emmanuel Bellanger. Il peut aussi se mobiliser pour le service public. »
Il n’empêche, le parti a du mal à faire la différence. Ses innovations sociales, assises sur une tarification au quotient familial, et ses politiques de santé ont été reprises par les frères ennemis socialistes et, en partie, par la droite. Les mairies PCF, jadis surnommées Stalingrad-sur Seine ou la petite Russie, apparaissent à beaucoup comme des objets du passé.
Leurs édiles ont du mal à passer à la main. A Martigues, Gaby Charroux veut rempiler, malgré ses 77 ans. Du côté de Saint-Amand-les-Eaux (15 900 hab., Nord), Alain Bocquet, 72 ans, n’entend toujours pas lâcher le fauteuil qu’il occupe depuis un quart de siècle.
Il en est parfois de même dans les quelque 400 communes de moins de 3 500 habitants tenues par le parti. Sur les terres de maquis pendant la deuxième guerre mondiale, comme la Haute-Vienne, les édiles PCF se fondent dans le décor. Ils incarnent un communisme de terroir, longtemps assis sur la petite paysannerie locale.
Sortes de Peppone, ils parlent encore parfois berrichon ou picard. Ils savent monter sur les tables pour pousser la chansonnette. Symboles de la force du communisme de proximité, ils sont réélus grâce à une participation et des scores à faire pâlir d’envie leurs collègues de l’ex-ceinture rouge.
Haro sur l’interco
La commune : de 1871 à aujourd’hui, elle constitue l’espace privilégié des élus communistes. Si ces édiles ont été, parmi les premiers, à mutualiser certains services publics municipaux de la ceinture rouge au sein de syndicats intercommunaux, ils se montrent toujours très réservés sur les communautés d’agglomération et autres métropoles.
« Ces entités, fondées sur le consensus, développent l’idée qu’il n’y a plus de gauche ou de droite. Ils gomment toutes les aspérités », déplore un haut-fonctionnaire proche du parti. Cela n’empêche pas le PCF d’être très soucieux de ses intérêts et de diriger encore certaines intercommunalités comme l’établissement public territorial de Plaine Commune.