Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, raconte sa garde-à-vue

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SOURCE : L'Obs

Aurélie Trouvé, porte-parole d’ATTAC, raconte sa garde à vue : « Ils veulent nous décourager »
Elle a passé vingt-quatre heures en garde à vue parce qu’elle dénonçait la politique climatique et sociale du gouvernement en brandissant à l’envers un portrait de Macron.

Par Eric Aeschimann

Aurélie Trouvé raconte à « l’Obs » les conditions effrayantes de sa garde à vue : « c’est une forme de maltraitance ». Elle a été libérée samedi matin 14 mars et l’affaire a été classée sans suite.

Quel était le but de la manifestation qui a conduit à votre interpellation ?

J’ai été arrêtée vendredi matin, vers 11 heures. L’année dernière, à la même date, il y avait eu de grandes manifestations pour le climat dans le monde entier. Cette année, à cause du coronavirus, la manifestation qui devait avoir lieu samedi à Paris a été annulée. Mais l’association Action Non Violente -Cop 21 (liée au réseau Alternatiba, NDLR), avec des collectifs et des scientifiques, voulait tout de même marquer le coup et dénoncer l’inaction des pouvoirs publics face à la crise climatique et sociale. L’idée était d’aller au plus près de l’Elysée en brandissant des portraits d’Emmanuel Macron à l’envers pour signifier que sa politique climatique marche sur la tête. Il y avait plusieurs groupes, qui ont tous été bloqués. Ceux qui portaient des portraits ont été arrêtés : des militants, mais aussi des scientifiques.

Dans quelles conditions avez-vous été arrêtée ?

Nous étions une trentaine, nous marchions vers l’Elysée quand la police nous a bloqués et nassés. Entourés par les CRS, nous avons tout de même fait les trois prises de parole prévues : par un militant d’ANV Cop 21, par un représentant du Collectif inter-urgence (qui rassemble les urgentistes) et moi-même au nom d’Attac, dont je suis la porte-parole. ANV-Cop 21 avait apporté plusieurs portraits de Macron et il avait été décidé, avec Attac, que j’en brandirai un à l’envers à la fin de mon intervention. Ce que j’ai fait, avec le représentant d’ANV Cop 21. C’est à ce moment que des policiers nous ont embarqués et emmenés vers le commissariat du Ve arrondissement.

Là-bas, vous a-t-on expliqué pourquoi vous étiez arrêtée ?

Non, pas directement. Mais dans le bureau de l’officière de police judiciaire, il y avait un tableau au mur. En face de mon nom, il était écrit : « Recel ». Ce n’était pas une surprise. ANV Cop 21 nous avait dit qu’on pouvait être arrêté à cause des portraits, mais personne n’aurait imaginé qu’on allait passer 24 heures en garde à vue pour ça. L’officière de PJ m’a demandé d’où venaient ces portraits et ce que nous avions à raconter à ce propos. J’ai répondu : « Nous n’avons rien à dire ». Elle s’est tournée vers des agents : « Bon, allez, mettez-les en garde à vue ».

Comment se passe une garde à vue ?

Ça débute par une fouille. Ils ont pris mon sac, mon téléphone, mes bijoux, la montre et même mon soutien-gorge – car j’aurais pu me pendre avec, bien sûr ! Puis j’ai été conduite dans une cellule collective, mais où je suis restée seule pendant plusieurs heures. Il n’y avait pas de chauffage, il faisait 15 degrés au maximum, j’ai demandé à récupérer mon manteau à plusieurs reprises, en vain. L’endroit puait la merde et la pisse, il y avait des matelas de 3 cm d’épaisseur à peine et des couvertures qui sentent mauvais. Au début, je me suis dit que je n’allais pas y toucher, mais au bout de deux heures, j’ai fini par m’y emmitoufler. Je n’avais aucune notion du temps. J’ai aussi demandé plusieurs fois à aller aux toilettes, les policiers me disaient oui, mais ne revenaient pas. Même chose pour le verre d’eau.
Un policier est venu relever mon identité, avec empreintes digitales et prélèvement d’ADN. J’ai refusé le prélèvement d’ADN. Ensuite, j’ai vu mon avocat. ANP Cop 21, qui a une « legal team » (groupe d’avocats qui aident les manifestants en cas d’arrestation), m’avait donné un numéro de téléphone à appeler en cas d’interpellation. L’avocat est venu, il m’a expliqué mes droits et notamment la question du portable : j’avais eu le temps d’éteindre le mien, mais refuser de donner son code peut être considéré comme un délit.

 

Enfin, il y a eu l’audition par la police judiciaire. Comment s’est-elle passée ?

L’audition a duré une grosse demi-heure, elle s’est déroulée dans un bureau open space, où une dizaine de policiers travaillaient. L’un d’eux m’interrogeait et les autres tournaient de temps en temps la tête pour ricaner. Les deux portraits que nous avions brandis étaient là, dans le bureau. Le policier a commencé par me demander le code de mon téléphone, j’ai refusé et il m’a dit : « C’est un délit, je le place sous scellés, vous ne le récupérerez pas ». J’ai ensuite été interrogée sur mon identité, et enfin sur les faits. C’est le moment où l’avocat n’a plus le droit d’intervenir. J’ai expliqué au policier que je choisissais de garder le silence. Le policier m’a néanmoins posé de nombreuses questions : qui a organisé l’action ? D’où vient le portrait ? Quelle organisation m’avait contactée ?
A un moment, un autre policier a apporté le communiqué qu’Attac venait de diffuser, avec une photo où l’on me voyait en train de porter le portrait. « Est-ce que c’est bien vous ? », m’ont-ils demandé. Leur objectif était de pouvoir me poursuivre pour recel. Piégée, j’ai commencé à répondre quelques mots puis me suis ravisée, me rendant compte du stratagème. Après de nombreuses autres questions face auxquelles, concentrée, je me forçais à répondre « je choisis de garder le silence », j’ai été renvoyée dans ma cellule.

Pouvez-vous nous décrire vos conditions de détention ?

Une camarade de 66 ans arrêtée m’a rejointe. Elle m’a paru choquée, stressée. Elle avait l’impression d’avoir été harcelée et bousculée psychologiquement par les policiers. Comme elle est prof retraitée d’EPS et qu’il n’y avait rien à faire, nous avons fait un peu de gym. Puis le soir est arrivé et les cellules ont commencé à se remplir avec des jeunes mineurs, des Roumains, un type sous drogue dure. Il a fallu libérer la cellule collective où nous étions et nous avons été mises chacune dans des cellules individuelles. Dans la mienne, il y avait un banc en pierre avec un mini-matelas et une couverture de 1,50 mètre sur 1,20 sans doute, très très sale, repoussante, surtout en période de coronavirus ! Derrière un muret, se trouvaient des chiottes à la turque absolument immondes, pleines de merde, qu’il fallait enjamber pour accéder à un robinet. Quand j’ai demandé aux policiers un gobelet, ils m’ont dit : « tu n’as qu’à boire en prenant de l’eau dans tes mains ! » J’ai fini par obtenir un gobelet.

C’était dur ? 

Très dur. J’avais froid, je ne portais qu’une petite chemise avec une veste légère. J’entendais les gens qui criaient. Un gars était torse nu parce qu’il s’était vomi dessus. Il hurlait qu’il avait froid, il réclamait un pull, mais il est resté torse nu toute la nuit et toute la matinée. Les repas étaient constitués d’un pavé de riz froid, le midi et le soir : immangeable. Je n’ai rien pris jusqu’au petit-déjeuner, où l’on m’a distribué en tout et pour tout… deux biscuits Lu et une briquette de jus d’orange ! J’étais seule et pour communiquer avec ceux qui étaient dans la cellule d’à côté, il fallait que je me contorsionne vers la petite ouverture de la porte et que je crie. A côté, ils étaient 6, dont 3 camarades qui avaient participé à l’action du matin, et je me disais qu’ils avaient de la chance d’être ensemble. Mais ensuite ils m’ont expliqué qu’ils avaient 3 matelas et deux couvertures… Pour six personnes ! Tout le monde criait, comme dans un film, tout le monde réclamait des couvertures et les policiers répondaient qu’ils n’en avaient pas d’autres. Sans oublier les gros néons, qui ne sont jamais tamisés et qui vous envoient une lumière violente dans la figure toute la nuit. Et le bruit incessant des portes en ferraille qu’on ouvre et qu’on ferme.

Comment se sont comportés les policiers avec vous ?

Ils étaient durs, seules les femmes étaient un peu humaines. Il n’y avait aucune forme de sollicitude ou de bienveillance, ils disaient tout le temps : « j’ai pas le temps ». Et encore, il est clair qu’ils nous ont ménagés. La manière dont ils parlaient aux autres, qui par ailleurs, pour beaucoup maîtrisaient mal le français, était terrible. Néanmoins, je ne les mets pas en cause dans les conditions de la garde-à-vue : le manque de couverture, l’absence de chauffage, les sous-effectifs, ça ne dépend pas d’eux, c’est une question de moyens.

Comment avez-vous réagi psychologiquement ?

A ma question sur le moment probable de notre sortie, l’avocat m’avait répondu : « peut-être pour ce soir ». Quand j’ai compris que j’allais y passer la nuit, ma première réaction a été de me dire : « je ne ferai plus jamais d’actions de désobéissance civile, car je ne veux pas revivre ça. » Et c’est le but : ils veulent nous décourager, nous intimider. Les policiers ne nous disaient rien, j’étais morte de trouille de rester 48 heures. J’ai essayé de faire de la relaxation, de dormir, mais forcément, à un moment, j’ai craqué et j’ai pleuré.
Ce qui est très important, dans de tels moments, c’est de sentir la solidarité militante. Pendant mon audition, j’entendais les copains rassemblés devant le commissariat qui chantaient « A cause de Macron ». Cela m’a fait beaucoup de bien. Ils sont restés tard le soir et leurs chansons venaient jusqu’à ma cellule, de façon étouffée. Nous avons eu aussi la visite de la députée Daniel Obono qui, en tant que parlementaire, a le droit de pénétrer dans un commissariat. Là aussi, ça nous a fait chaud au cœur ! Alors, je pense à tous les gens arrêtés – l’immense majorité ! – qui n’ont pas de tels soutiens…

Que vous ont-ils dit quand ils vous ont libérés ?

Ils avaient cherché à identifier l’origine des portraits et à savoir s’ils avaient été volés dans des mairies. Nous étions cinq en garde à vue au commissariat du Ve arrondissement. Pour trois d’entre nous, les portraits n’ont pas été identifiés : il s’agit du président des Amis de la Terre, Khaled Gaiji, et de deux militants d’ANV-Cop 21, dont celui qui avait été arrêté en même temps que moi. Pour ce qui me concerne, un des policiers m’a dit : « Vous avez de la chance, le tableau vient d’une mairie qui l’a prêté ». Il n’y avait donc pas eu vol. Nos dossiers ont été classés sans suite et nous avons tous été relâchés en même temps, vers 12 heures, après un peu plus de 24 heures de garde à vue pour certains d’entre nous. La dernière camarade, qui avait été arrêtée vers 15 heures vendredi, a été relâchée samedi vers 15 heures. Selon le décompte d’ANV-Cop 21, il y a eu en tout douze gardés-à-vue pendant 24 heures, dont des scientifiques ou encore la « gilet jaune » Priscilla Ludowsky.

Quel bilan tirez-vous cette expérience ?

Ai-je subi les conditions normales d’une garde-à-vue ? Oui, je crois. Et c’est inquiétant. Dans son intervention télévisée jeudi soir, Emmanuel Macron a parlé de l’Etat-providence, mais est-ce qu’un Etat-providence traite ainsi les gens qui sont arrêtés ? Laisser quelqu’un avoir froid, avoir peur, laisser un gars torse nu, ne pas assurer un nombre suffisant de couvertures, ne pas chauffer des cellules, c’est une forme de maltraitance. C’est indigne d’un Etat de droit.

Propos recueillis par Eric Aeschimann


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