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SOURCE : NPA
Kamel Aïssat, membre de la direction du Parti socialiste des travailleurs en Algérie, répond à nos questions sur la propagation du coronavirus en Algérie, les réactions du pouvoir et du mouvement populaire.
Où en est la propagation du virus chez vous ?
La pandémie de coronavirus progresse en Algérie, à un rythme moins élevé qu’en France. Aujourd’hui, on enregistre 716 cas positifs et 44 décès (31 mars). Ce qu’il faut dire, c’est que les tests de dépistage n’existent quasiment pas, y compris pour ceux qui présentent des débuts de symptômes, parce que nous n’en avons pas les moyens. Nous avons un seul centre (l’institut Pasteur d’Alger) pour un territoire quatre fois supérieur à la France, pour vous donner une idée de l’absence d’un réseau de dépistage. Cette semaine 03 Annexes ont été ouvertes à Ourgla (SUD), Oran (Ouest) et Constantine (Est). Concrètement, environ 200 tests sont réalisés par jour et seuls les patients hospitalisés sont prélevés.
En Afrique, nous avons à peu près la même évolution. On n’enregistre pas des centaines de cas et la majorité de la population infectée ne présente pas de complications. En Algérie, le premier foyer (cluster zero) a été détecté dans le département de Blida (à 50 km d’Alger). Son origine est due à des déplacements depuis la France, car beaucoup de foyers sont liés aux mouvements migratoires. Le gouvernement a pris des mesures, il a mis en congé les écoles et les universités depuis le 12 mars, et à partir du 22 mars un confinement a été décrété. Le département de Blida est totalement confiné. Un couvre-feu a été instauré à Alger de 19h jusqu’à 7h du matin, et il vient d’être élargi à neuf départements d’Algérie. Le gouvernement a fait un premier communiqué dans lequel il a appelé à organiser le travail différemment, c’est-à-dire qu’il a demandé à tout le monde d’arrêter de travailler. Il avait annoncé une prise en charge de tous ceux qui seraient touchés par l’arrêt de la production et du travail même s’il ne fait aucune allusion à une bonne partie de la population qui dépend du secteur informel, que ce soient des petits vendeurs, des petits artisans, des journaliers qui ne sont pas assurés. N’avons pas d’allocation chômage en Algérie.
Les mesures prises par le gouvernement l’ont été pour encourager le confinement mais elles ne sont pas réalisées. Quand on prend Cevital, le grand groupe de Rebrab, malgré la tentative de grève des travailleurs dans son complexe Brandt à Sétif (ils produisent des frigos), il a maintenu la production. Il a dit qu’il était hors de question d’arrêter la production. Rebrab est un milliardaire en dollars, il a été condamné par la justice après le jugement de la « Aïssaba », pour transfert illégal de devises, pour fraude fiscale, il a écopé de 6 mois de prison ferme, six mois avec un sursis qui court encore… mais en même temps c’est lui qui est reçu par le ministre de la santé, qui annonce avoir offert ses services.
Dès le début du confinement, dès le début de la prise de conscience populaire sur la nécessaire distanciation sociale, le gouvernement a commencé une campagne de répression assez importante. La condamnation expéditive de Karim Tabbou en est l’exemple. La convocation des activistes sur le territoire national pour venir au commissariat alors que certaines wilayas sont en état d’urgence avec le couvre-feu donne la mesure de la volonté du pouvoir de vouloir utiliser cette pandémie pour casser le Hirak.
Quelles sont les réactions populaires les liens avec le hirak ?
La dernière annonce du gouvernement dimanche 29 mars est plus inquiétante. Le 13 mars, le mouvement populaire, qui avait fait sa dernière marche ce jour-là, a pris conscience de l’utilité de la distanciation sociale et les collectifs de militants ont dit qu’il fallait agir. Il y a eu beaucoup d’appels de collectifs, d’associations, de comités, à éviter les regroupements. Les premières opérations qu’ils ont réalisées sans attendre le discours de Tebboune. Ils ont organisé des campagnes de sensibilisation et de désinfection des lieux publics en utilisant de l’eau de Javel, avec des pulvérisateurs qu’ils ont pu récupérer chez des agriculteurs ou dans la boutique du coin.
Il faut dire aussi que ça a été difficile pour une partie du Hirak de cesser les manifestations parce qu’il y avait une peur que l’objectif du mouvement ne soit pas atteint, que la pandémie puisse arrêter le mouvement définitivement. Après, il y a eu des débats sur le net, qui ont abouti à dire que le rôle du mouvement aujourd’hui est de faire face à la pandémie parce que nous avons un système de santé délabré, qui a été détruit par les différentes politiques libérales qui ont été menées en Algérie, particulièrement à partir de 2000, qui a vu disparaître tout l’arsenal préventif mis en place depuis les années 60. L’état de hôpitaux aujourd’hui est ahurissant, en termes de moyens et de personnels. La mémoire sociale enregistre encore les répressions violentes qu’ont subi les résidents en médecine face à leurs revendications de meilleures conditions de travail et de salaires.
Le Hirak a donc commencé à se mobiliser. Rapidement, le gouvernement a multiplié les appels, il a lancé le confinement et la distanciation sociale, a fermé toutes les administrations. Le Hirak a réagi positivement à cela et, dans beaucoup de secteurs dans lesquels il y avait eu peu d’auto-organisation, on assiste à une prise en charge en dehors des institutions étatiques de la solidarité et de la sensibilisation.
Quelles revendications sont mises en avant par le PST et le mouvement ?
Les revendications que nous devrions mettre en avant prennent en considération la réalité politique algérienne, qui se caractérise par l’illégitimité d’un pouvoir issu d’une élections douteuse rejetée par le peuple et d’un mouvement populaire qui est obligé de faire une pause pour faire face à la pandémie. C’est dans ce contexte que toutes nos revendications doivent s’inscrire.
En même temps, nous voyons que le confinement est déjà utilisé par le pouvoir en place pour réprimer les animateurs du mouvement populaire. Le confinement, qui a été décidé après que le mouvement l’ait commencé de lui-même, ne prend pas en compte la réalité des travailleurs précaires et dans les entreprises, à tel point que ce n’est plus un confinement réel, puisque les travailleurs en sont exclus parce qu’ils ont des familles, qu’ils doivent se déplacer.
C’est donc un confinement sélectif qui est beaucoup plus fait pour limiter les dégâts au niveau de la gestion économique, orienté vers les besoins de la consommation, plutôt que vers les besoins immédiats, urgents de la population. Donc aujourd’hui nous sommes devant un défi et nous devons en même temps appeler à un confinement non-sélectif, qui ne sacrifie pas les couches populaires, et nous avons des revendications d’urgence sociale et démocratique. Parce que face aux mesures qui sont en place, nous revendiquons à cette étape que l’Etat prenne le contrôle ou réquisitionne toutes les structures sanitaires, toutes les entreprises privées dans l’agro-alimentaire, toutes les entreprises qui ont une utilité pour faire face à la crise sanitaire.
Deuxième aspect, il y a une urgence pour mobiliser toutes les ressources locales et internationales pour donner un minimum de protection aux couches populaires. Cela ne se limite pas à protéger les médecins, les infirmiers, les travailleurs de la santé en général, mais aussi à nous protéger dans le confinement qui va nous être imposé. En effet, nous n’avons pas les moyens de protéger les cas positifs au niveau des hôpitaux donc il va falloir leur donner des moyens de protection à domicile à une large échelle.
Au niveau social, il faudrait proclamer maintenant un salaire pour tous les travailleurs précaires qui ne sont pas assurés. Tous les petits artisans doivent bénéficier d’un salaire minimum y compris pour les femmes au foyer dont le travail n’est pas reconnu par la loi ni par la société comme étant un travail social.
De même, il faut que cesse la mise en congé des travailleurs et que les salaires soient versés à tous ceux qui ont un contrat, et aucun licenciement ne doit être toléré pendant la période d’urgence sanitaire. Ce n’est pas aux travailleurs, au peuple d’en bas, de faire des sacrifices. Les milliardaires, eux, ont de l’argent, ils ne paient déjà pas assez d’impôts, donc c’est à eux de payer, quitte à aller vers une nationalisation pour les entreprises qui ne respectent pas cette urgence sociale.
Ces revendications doivent aussi associer l’impérieuse nécessité de faire face aux dérives autoritaires qui existent au niveau mondial, dans les pays développés ou dans les pays comme le nôtre. C’est le seul recours qu’ont les régimes aliénés au libéralisme et à l’impérialisme pour faire face au mécontentement social. De ce point de vue, nous devons affronter les dernières mesures annoncées par le gouvernement en mettant au-devant l’auto-organisation populaire pour contrôler la solidarité sociale, le confinement, les réquisitions, et plus largement toutes les choses dont nous avons besoin en urgence.
C’est ça la réponse qu’on devrait avoir en terme organisationnel au niveau de nos quartiers, de nos villages, et dans les entreprises, dont certaines doivent fonctionner pour l’urgence sanitaire, qu’elles soient alimentaires ou dans la production de matériel sanitaire (gel, masques). Il est impératif de mettre à la disposition des travailleurs des conditions maximales de protection, c’est-à-dire que dans les lieux où les travailleurs ne sont pas moins de dix, nous devons réduire les effectifs. C’est comme cela que nous éviterons la propagation de la maladie. C’est au niveau démocratique et social qu’on doit donner un contenu politique à notre auto-organisation.
Quelles vont être les conséquences de la pandémie sur le plan économique ?
Elles vont être multiples. Elles vont mettre à nu les choix qui ont été faits par les différents régimes depuis les années quatre-vingt en soumettant notre économie au marché mondial et en transformant notre économie en un système d’importation. Nous allons mettre à nu les limites de tout ce système basé essentiellement sur l’assouvissement des besoins d’expansion de la surproduction mondiale.
Les rares productions que nous avons ici sont basées sur l’importation de la matière première ou des kits pour l’industrie de montage automobile qui vont de fait être à l’arrêt, parce qu’on aura pas les moyens d’importer ni les matières premières, ni les kits qu’on nous envoie de l’étranger pour faire des montages car c’est l’État qui paye en devises ces importations et, quand on regarde le prix du pétrole qui est aujourd’hui aux alentours de 20-25 dollars, c’est toute l’économie qui a été basée sur l’importation, qui a été érigée en mode de production qui va être démantelée, frappée de plein fouet.
Les conséquences vont être dramatiques, parce qu’il y aura un chômage massif, il n’y aura plus de marges pour que le régime en place réponde aux besoins élémentaires de la population, qu’ils soient alimentaires ou autres. Il y aura une tentation autoritaire, pour ne pas dire militaire. J’espère qu’un autre régime va se construire après cette pandémie où les question économiques et sociales seront au centre et qui recentrerait les choix économiques en fonction des besoins des populations et non pas de ceux du marché mondial, du capitalisme en général, qui a montré ses limites, son inconséquence et sa monstruosité.
Propos recueillis par RR et Antoine Larrache