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SOURCE : Rapports de force
Il aura fallu attendre le 2 avril pour que le directeur de la santé Jérôme Salomon donne un premier décompte du nombre de personnes âgées décédées du Covid-19 dans les Ehpad. Soit 17 jours après le « nous sommes en guerre » du chef de l’État et deux mois après les premiers cas de contamination sur le sol français. Dans les Ehpad, de la même façon que dans les hôpitaux avec le manque de protections, les retards dans les mesures prises se payent durement : 6 524 personnes âgées y sont mortes en date du 15 avril.
« Il faut mobiliser des moyens, faire en sorte de pouvoir tester, de pouvoir protéger », expose Édouard Philippe lors des questions au gouvernement devant l’Assemblée nationale. Le b,a-ba d’une politique visant à éviter un désastre dans des Ehpad notoirement sous-dotés : des moyens et des tests pour pouvoir protéger. Cette évidence, apparemment non effective au moment où elle est formulée, à bien comprendre le discours du Premier ministre, date du mercredi 8 avril.
Six jours plus tôt, Jérôme Salomon, faisant état de remontées partielles, donnait pour la première fois une comptabilité macabre dans les maisons de retraite : 884 décès. À la suite de quoi, le ministre de la Santé Olivier Véran annonçait le 6 avril sa décision de « tester tous les résidents et tous les personnels à compter de l’apparition du premier cas confirmé ». Une décision tardive et ne prenant pas en considération, encore à ce jour, les possibilités de contamination de maisons de retraite par des soignants pouvant être asymptomatiques, mais contagieux.
Des signaux d’alerte dès la mi-mars
À quel moment cette décision élémentaired’un dépistage général à l’apparition d’un premier cas aurait-elleété pertinente ? Rétrospectivement, probablement trois ou quatre semaines plus tôt. Soit à l’instantoù la fermeture de tous les établissements scolaires est annoncée par Emmanuel Macron le 12 mars. Avec certitude : deux semaines avant les annonces du ministre de la Santé du 6 avril. En fait, à l’heure où le gouvernement fait adopter définitivement par le parlement l’état d’urgence sanitaire le 22 mars. À cette période, les signaux d’alerte sont déjà au rouge et l’exécutif ne peut affirmer ne pas en avoir connaissance. Après des décès au « compte goutte », mais déjà de trop,d’un ou deux résidents dans quelques Ehpad, les drames collectifs tombent.
Entre le 5 et 20 mars, l’Ehpad de Thise dans le Doubs compte 12 décès, dont 8 le week-end des 18 et 19 mars. L’établissement compte alors 30 autres personnes malades sur 80 résidents. Au même moment, Gaël Durel, le président de l’association des médecins coordinateurs, évoque des taux de 75 % de résidents infectés dans des établissements où le coronavirus est entré. Les catastrophes y sont certaines, les vulnérabilités au coronavirus des personnes âgées étant clairement établies. Le 20 mars, Olivier Véran reçoit un courrier des professionnels des établissements pour personnes âgées. Ils s’inquiètent et craignent le décès de 100 000 résidents.
C’est seulement en réponse à cette alerte des professionnels de santé que le ministre annonce enfin le samedi 21 mars qu’il répondra à leur demande en équipement : 500 000 masques chirurgicaux par jour, à destination de près de 400 000 soignants et non-soignants, pour prendre en charge 700 000 résidents. Jusque là, pour gérer la pénurie de masques, la priorité était donnée aux hôpitaux qui accueillent les malades du Covid-19. Des moyens de protection arrivent enfin en nombre dans les maisons de retraite, la semaine suivante. Mais entre temps, les alertes virent à l’écarlate : cinq morts dans un Ehpad dans l’Hérault au 20 mars. Vingt autres dans un établissement des Vosges le 23 mars. Le 25 mars : 16 décès dans un Ehpad à Saint-Dizier et 7 dans une résidence en Haute-Savoie. La liste s’allonge, et s’allonge encore.
Le 25 mars, alors que le point presse quotidien ne comptabilise toujours pas les personnes mortes dans les maisons de retraites, l’Agence régionale de santé (ARS) annonce que 148 Ehpad en Île-de-France comptent au moins deux cas de Covid-19 détectés, laissant présager de l’hécatombe à venir. Trois semaines plus tard, l’hécatombe est bien là. Le dernier bilan fait état de 6 524 décès dans les Ehpad et les établissements médico-sociaux. Une comptabilité pourtant suspectée d’être incomplète. Assurément erratique en tout cas, donnée un jour sur deux depuis le week-end dernier, au gré de remontées chaotiques. Aussi surprenant que cela puisse paraître, jusqu’à la fin du mois de mars, aucun dispositif national ne centralisait les remontées des Ehpad et des ARS.
Retard à tous les étages
En Charente, à l’Ehpad Bergeron-Grenier, 18 employés prennent les devants en confinant leur maison de retraite pour protéger les pensionnaires. Ils dorment sur place au lieu de rentrer chez eux après leur travail. Depuis le 24 mars, personne n’est entré ni sorti jusqu’à avant hier. Et le Covid-19 est resté à la porte de l’établissement ces trois dernières semaines. Une mesure radicale prise sur la seule initiative du directeur et de ses salariés. Une anticipation qui révèle en négatif les cafouillages, l’impréparation, le manque d’organisation et l’absence de planification du gouvernement.
À cette date avancée du 24 mars, les masques FFP2 restent rares dans les Ehpad. Les masques chirurgicaux et les surblouses sont tout juste dispatchés en nombre raisonnable par les ARS. Les personnes malades ne sont pas toujours testées. Faute d’une procédure spécifique, les prescriptions de tests pour les résidents sont le plus souvent laissées à l’initiative des médecins généralistes, eux-mêmes déjà débordés dans leur cabinet. Avec tous les retards lourds de conséquences imaginables. Au-delà de trois résidents confirmés positifs, ceux ayant les mêmes symptômes ne sont pas contrôlés. Les soignants des Ehpad ne sont testés que lorsqu’ils présentent des symptômes, même dans les maisons de retraite où des cas ont été confirmés.
Aujourd’hui, les mesures du ministre de la Santé en date du 6 avril pour tester systématiquement résidents et personnels à l’apparition d’un premier cas sur un Ehpad ne sont pas encore effectives partout. L’ensemble du personnel d’un Ehpad dépendant de la Marie de Montpellier doit encore être testé ce jeudi 16 avril, dix jours après. Pourtant, le premier résident a y avoir été confirmé positif l’a été il y a presque un mois. Et quatorze agents ont été en arrêt maladie pour cause de Covid-19 depuis. Un cas loin d’être isolé. Mardi 14 avril, l’ARS d’Île-de-France a dévoilé son plan pour tester. Il s’établit encore sur plusieurs semaines.