Pour en finir avec le confinement

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : NPA

Les déclarations de Macron jettent le trouble dans les milieux militants, autour de la question de la supposée réouverture des écoles le 11 mai. Quelques jours après que le Medef ait demandé le redémarrage de l’économie, Macron a annoncé le retour des élèves en classe, lançant la date du 11 mai et ouvrant une polémique. Il n’est même pas exclu qu’il l’ait lancée pour que s’exerce une pression « par en bas » favorable à la prolongation du confinement et à la répression… La volonté de Macron et du Medef est claire, il s’agit de relancer la production pour sauver les profits. Cependant, comprendre cet objectif ne doit pas nous amener à défendre le confinement, mais au contraire à construire une bataille militante pour qu’il prenne fin au plus vite et dans les meilleures conditions sanitaires et sociales.

 

La méthode de lutte contre le virus n’est pas neutre

José Rostier l’explique dans son texte1, il faut prendre avec du recul les méthodes préconisées par les médecins et les capitalistes. Depuis le début de la crise, nous avons identifié les gestes barrière, les tests, les masques, et les appareils respiratoires pour protéger et soigner comme les éléments décisifs de la bataille contre le virus, en attendant un éventuel vaccin et une éventuelle immunité de groupe. Il faut tenir cette position. Le confinement est la réponse des capitalistes, qui n’ont rien anticipé pour faire face à la pénurie dans le domaine de la santé. D’ailleurs, certains pays, mieux préparés, n’ont pas eu recours à de tels niveaux de confinement, comme en Allemagne car ils pratiquent le dépistage à grande échelle, fournissent des protections à la population et disposent de plus de lits en soin intensifs.

Le confinement, soyons clair, a été une solution incontournable pour les pays qui n’ont pas mis en place suffisamment de moyens pour faire face. Le confinement, c’est la protection de la population malgré elle, par en haut, le refus de toute discussion sur la liberté de chacunE à prendre des risques pour sa propre santé, la négation du libre arbitre et des libertés individuelles. On peut trouver cela justifié, indispensable à un moment donné, mais refuser de voir ce que signifie politiquement le confinement, c’est se voiler les yeux face à la situation vécue par les classes populaires : la répression, les amendes, les gardes à vues, les violences faites aux femmes, aux enfants et aux LGBTI. De plus, il faut regarder cela sans les lunettes déformantes de notre propre réalité et de ceux qui nous entourent : des millions de personnes travaillent chaque jour, le confinement signifie donc que leur seule liberté est de travailler, au détriment de leurs libertés culturelles, politiques, sociales, démocratiques.

Cette politique a des conséquences destructrices sur les plan économique et des libertés, c’est-à-dire du rapport de forces entre les classes, notre camp étant pratiquement totalement anesthésié par le confinement, notamment par l’interdiction du militantisme syndical, politique et associatif. Cela ne nous est pas indifférents car l’après crise sanitaire sera une crise économique qu’on voudra nous faire payer et qui sera terrible2. Et il n’est même pas certains que la politique du confinement soit efficace, comme le montre le retour de l’épidémie en Chine, la possibilité de vagues successives.

 

Il y aura un déconfinement, la vraie question est de savoir lequel

L’autre option face à l’épidémie est de construire une immunité collective, comme cela a été fait pour la peste, au 14e siècle, au prix du décès de 25% à 50% de la population, et comme cela existe aujourd’hui, avec l’aide des vaccins, pour plusieurs maladies, beaucoup moins dangereuses. Celle-ci semble nécessiter la contamination de 60% de la population3. La recherche de cette immunité collective, à l’efficacité incertaine4, n’est pas sans danger, comme ont pu le constater les pays où celle-ci a été la stratégie unique en début d’épidémie… et qui ont dû en venir au confinement. Il semble donc déraisonnable d’envisager un déconfinement, comme semble le prévoir le gouvernement, sans planification de la production de masques, en refusant de tester les personnes asymptomatiques et en n’injectant pas de moyens supplémentaires dans la santé.

Mais, à l’heure où certains spécialistes envisagent que l’épidémie dure encore plusieurs années, avec des phases de flux et de reflux, il semble irréaliste d’attendre la disparition de la maladie pour envisager la fin du confinement. On voit mal comment la société pourrait continuer à fonctionner sous la forme actuelle, déjà pendant plusieurs mois. D’ailleurs, le confinement, on l’a dit, est tout relatif, à l’échelle nationale comme internationale, puisque des millions, voire des milliards, de personnes, continuent à sortir de chez elles, notamment pour travailler ou faute de conditions de vie, habitat notamment, le rendant possible.

La question de fond n’est pas d’empêcher totalement le virus de circuler, mais de décider où, auprès de qui, dans quelles circonstances et à quelle vitesse. En un mot, de contrôler sa circulation. L’histoire de l’humanité est l’histoire de sa relation avec des phénomènes externes à l’humain, sa capacité à les maîtriser : avec la nature tout d’abord, pour se nourrir, survivre à des climats variés, puis aujourd’hui, à une économie qui a ses propres dynamiques. Les épidémies ont été régulièrement une incursion dangereuse dans les affaires humaines… Le contrôle sur le virus est une question au cœur de la lutte des classes : quelles sont les activités humaines indispensables, qui décide, qui paie.

De ce point de vue, les choix des capitalistes sont clairs : il faut maintenir la production industrielle et la consommation aux niveaux les plus élevés possibles, au détriment de tout le reste. Le reste, ce sont les activités humaines avec une faible valeur marchande, voire pas de valeur marchande : l’exercice des libertés politiques et de solidarité, les administrations, les loisirs, la culture, l’éducation. Les décisions concernant la culture, les festivals, mais aussi, a contrario, les pressions exercées par le pouvoir pour que le secteur du bâtiment reprenne son activité sont éclairantes de ce point de vue.

Toute la discussion est donc de savoir quelles activités, du point de vue des prolétaires, sont importantes, et lesquelles le sont moins. Avec en tête le fait que nous n’avons pas à notre disposition tous les éléments scientifiques nécessaires, mais la distanciation sociale, l’immunité collective, l’isolement des clusters et le soin des malades sont les pistes les plus sérieuses à l’heure actuelle.

 

Le cas d’école de l’école

Le cas de l’éducation est très intéressant car, pour les capitalistes, il n’a aucune valeur à court terme, à part que la garde des enfants par les enseignants permet aux parents d’aller travailler. La conclusion est donc logique : faire retourner à l’école les jeunes enfants, laisser les étudiantEs en confinement.

Mais le fait que le pouvoir choisisse cette solution ne règle en aucun cas notre position, comme l’ennemi de notre ennemi n’est pas nécessairement notre ami, les choix de notre ennemi ne sont pas mécaniquement opposés aux nôtres.

Nous considérons que l’éducation est une activité humaine indispensable. Pas seulement parce qu’il faudrait absolument faire entrer des maths et du français dans le cerveau des enfants, mais parce qu’ils et elles ont un besoin vital d’échange, de culture, d’activités physiques et ludiques. La violence du confinement sur les enfants – comme sur les femmes ou les LGBTI – a déjà fait ses preuves avec au moins deux enfants morts. Parce qu’occuper de façon bénéfique d’enfants est un métier et que les enfants sont des êtres particulièrement sensibles aux liens sociaux. À qui viendrait l’idée d’enfermer des enfants pendant trois mois ? Qu’ils soient enfermés avec des adultes n’est pas particulièrement rassurant.

Beaucoup d’enseignantEs rejettent la date du 11 mai parce qu’ils et elles ne veulent pas se retrouver en danger et ont peur de la propagation du virus causée par la rencontre de 12 millions d’élèves. On ne peut que leur donner raison de ne pas vouloir servir de garderie pour que les travailleurs/ses aillent bosser, raison de ne pas vouloir prendre de risques. Mais il faut fortement relativiser cette position. Tout d’abord parce que de très nombreux/ses salariéEs travaillent encore. En particulier dans le prolétariat. Deuxièmement parce que les risques sont limités pour les personnels jeunes et en bonne santé. Troisièmement parce que les enseignantEs sont des rouages de l’appareil d’État et que, comme d’autres corps des services publics, leur rôle est de servir la population. Même si cela ne va pas sans contradictions, qui mieux que les enseignantEs peut accueillir les enfants, qui mieux que les personnelLEs des mairies peut accueillir la population pour ses démarches administratives, qui mieux que les agents de Pôle emploi peut conseiller les personnels en difficulté en raison de la crise ?

 

Il n’y aura pas de « jour d’après »

La question n’est pas de prendre une position particulière pour l’école et d’idéaliser le confinement, mais de poser la question d’un point de vue de classe, c’est-à-dire en formulant quels secteurs doivent fonctionner et comment, quels autres doivent être arrêtés, formuler des revendications unifiantes pour le prolétariat et les classes populaires pour se protéger, travailler dans de bonnes conditions, et tenter de construire des mobilisations pour les faire aboutir.

D’autant que les capitalistes, eux, possèdent pour l’instant un temps d’avance : pour eux, il n’y a déjà plus de « jour d’après », on y est déjà. Ils cherchent déjà à faire reprendre le cours « normal » du fonctionnement du capitalisme, en ayant comme seule boussole la production. Pour eux, que nos libertés soient réduites au minimum n’est pas un problème. Il faut donc penser les réponses à la crise comme des réponses convenables lors du pic de l’épidémie, mais aussi de l’après.

La question de la protection est une question essentielle. À l’école comme ailleurs, il faut agrandir les distances, réduire les effectifs, avoir du matériel de protection. Ainsi, on pourrait imaginer des classes avec des effectifs réduits de moitié, voir au quart, par demi-journées ou un jour sur deux, avec des tests de tous les enfants très réguliers pouvoir isoler et soigner les malades, avec des gels hydro-alcooliques, des masques, des blouses, des gants. Et c’est le cas aussi dans le reste des services publics : il faut permettre que le public soit accueilli avec des distances de sécurité et du matériel permettant une hygiène parfaite. Il faut des embauches massives dans les services publics, comme dans la santé et les EHPAD où 120 000 postes sont nécessaires, pour permettre de faire face aux retards dans le traitement des affaires publiques (éducation, administration, soin…) et d’accueillir correctement.

Il faut retourner la vision policière de la crise : nous n’avons pas besoin de flics ou de l’armée pour contrôler les populations et les frontières, nous avons besoin de tests massifs. Les frontières doivent être ouvertes, avec des tests pour soigner les malades dans les meilleures conditions.

Enfin, concernant la construction du rapport de forces, idéaliser et demander le prolongement du confinement est contreproductif : on voit mal comment on pourrait construire un rapport de force devant son ordinateur, sans assemblées générales, sans manifestations, et comment des grèves pourraient se déclencher par la magie d’internet.

Et on ne voit pas en quoi il est plus ou moins dangereux d’aller rendre visite à sa famille, de se rendre à des obsèques ou en réunion que d’aller travailler. Rappelons qu’il n’est pas possible, ni souhaitable, d’empêcher totalement le virus de circuler (à moins de défendre un confinement de plusieurs mois ou années !), que la question est de savoir où il est judicieux qu’il circule et à quelle vitesse et comment la société s’organise pour protéger les plus faibles et prendre en charge les malades. De plus et surtout, la dynamique des politiques gouvernementales est particulièrement inquiétante : il n’est plus exclu que le confinement soit maintenu jusqu’à l’été, voire septembre, avec pour seules autorisations le fait de travailler, d’aller à l’école et de faire ses courses, avec une géolocalisation des personnes qui se déplacent. Un tel confinement n’en aurait plus que le nom, et il constituerait en réalité une société totalitaire, entièrement tournée vers le travail. Dans ce cadre, on revendiquera les libertés démocratiques, c’est-à-dire politiques, syndicales, individuelles, culturelles… et le contrôle sur la production. Notamment le droit de manifester, que nous appliquerons avec des mesures sanitaires.

 

Voici en conséquences une reformulation des revendications que nous discutons depuis le début, en les généralisant, en tentant de les rendre compatibles avec des mots d’ordre que nous portons habituellement :

– Stopper les productions non essentielles à la vie quotidienne et à la lutte contre le virus et réorganiser la production pour des masques, tests, des respirateurs, du gel…

– Protection dans toutes les productions essentielles, avec des tests hébdomadaires, des effectifs réduits par un temps de travail réduit à 20 heures hebdomadaires, des gants, masques et savons… En particulier, dans l’éducation, des tests pour mettre en quatorzaine et soigner, des emplois du temps et des effectifs divisés par deux.

– Congé pour les plus de 50 ans et les personnes fragiles, droit de retrait inconditionnel pour les personnels se sentant menacéEs dans leur activité, maintien des revenus pour tous les personnels qui ne peuvent pas travailler, revenu minimum social à 1800 euros pour touTEs.

– Financement de toutes ces mesures sur les bénéfices des grandes sociétés, en particulier les 50 milliards de dividendes des sociétés du CAC 40 de 2019 et 2020.

– Arrêt du confinement obligatoire et généralisé et donc arrêt des restrictions des libertés individuelles et collectives, droit de manifester et de militer.

– Des moyens d’accueil pour les sans-logis, les victimes de violence, avec des réquisitions de lieux ; la libération massive des prisonnierEs…

– Ouverture des frontières, tests aux frontières pour soigner, régularisation des sans-papiers.

Enfin, toute cette discussion devrait aussi être liée à une réflexion sur nos capacités d’action concrètes. Comment faire en sorte que le mouvement ouvrier s’extraie de l’union sacrée, que des batailles syndicales soient menées, de façon coordonnée et unitaire, que l’on commence à revendiquer, à manifester autrement que par internet, etc. L’unité de notre classe passe aussi par le fait de sortir d’une logique où chacun organise son propre meeting sur internet, à faire passer ses visuels et hashtags sur Facebook ou Twitter, pour aller vers une mise en mouvement réel de la classe laborieuse, qui ne peut passer que par la reconstruction d’une confiance collective dans ses capacités d’action et d’affrontement avec le pouvoir et sa police.

 

PS.

Merci, entre autres, à Sylvain Pyro pour ses relectures, sources et remarques.


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