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SOURCE : Rapports de force
Distribution de nourriture dans des foyers de travailleurs immigrés, fourniture de matériels de protection pour des salariés en première et deuxième ligne face à la pandémie, maraudes pour les sans-abris, cours de soutien : pendant le confinement, les Brigades de solidarité populaire répondent aux besoins urgents et préparent, en modèle réduit, la société qu’ils voudraient voir advenir demain.
Elles ne manquent ni de bras ni de sollicitations d’aides d’urgences en tout genre. Après un mois d’existence, les seules choses faisant réellement défaut aux Brigades de solidarité populaire sont des moyens pour distribuer plus de produits de première nécessité. En quelques semaines, l’idée d’organiser une solidarité immédiate pour, et si possible avec les populations les plus touchées par la crise sanitaire, a fait de nombreux émules. Une aide qui garde volontairement ses distances avec l’action des institutions jugées responsables de la situation dramatique dans les hôpitaux et de l’abandon des populations les plus précaires.
Née d’abord dans le nord de l’Italie confiné avant la France, l’idée a été reprise par quelques poignées de militants parisiens venus d’horizons différents. Leur trait commun : la participation à une multitude de luttes sociales depuis la loi travail. Aujourd’hui, l’Île-de-France compte près de 700 « brigadistes » séduits par cette proposition concrète et immédiate. « Cela s’est fait très vite par du bouche-à-oreille, mais aussi par nos permanences pour récupérer des denrées où les gens viennent, veulent aussi aider, et se connectent », explique Julia*, active dans la brigade du Val-de-Marne. Un élargissement qui va bien au-delà des réseaux militants, familiers du noyau d’origine.
La région parisienne, initialement organisée en grandes zones, compte maintenant 17 brigades sur des territoires plus petits pour éviter les déplacements longs, et ainsi, la tracasserie des contrôles policiers de leurs attestations. Implantées dans la moitié des arrondissements, ceux les moins riches de la capitale, les brigades sont aussi bien présentes dans la petite couronne comme à Pantin, Montreuil, Fontenay, Saint-Ouen ou Saint-Denis. Par contre, elles ne se sont pas développées dans la grande périphérie, là où les réseaux militants sont moins denses. Le concept de Brigades de solidarité populaire a également essaimé dans d’autres villes. Des groupes se sont formés à Lyon, Nantes, Lille, Marseille, mais aussi à Troyes et Saint-Étienne. Des contacts ont même été pris depuis un village du Var.
Une solidarité de classe
« Seul le peuple sauve le peuple, pour une autodéfense sanitaire ». C’est le titre du texte qui sert de socle commun aux Brigades de solidarité populaire. Ici, la question n’est pas seulement la mise en place d’actions humanitaires, mais l’organisation d’une autonomie populaire, antagoniste des intérêts défendus par le capitalisme et l’État. D’où une solidarité en direction des travailleurs contraints de poursuivre leur activité pendant la crise sanitaire, des précaires, des personnes racisées, des sans-domiciles fixes, des sans-papiers.
Parmi les premières actions des brigades : la préparation de repas et de colis, notamment à destination de foyers de travailleurs immigrés avec lesquels des contacts préexistaient. Clairement un angle mort des politiques publiques. « Nous travaillons avec les Gilets noirs. Avant d’aller dans un foyer, nous nous demandons comment nous y allons, quel intermédiaire nous prennons, en tenant compte des organisations internes », précise Julia. Pour elle, pas question de débarquer en superman et superwomen de l’humanitaire. Au même moment, les brigades ont reçu et répondu à un afflux de demandes d’aides de familles et de personnes isolées.
Autre volet important pour les brigades : la distribution de matériel de protection pour les travailleurs. Au gré de contacts noués avec la crise sanitaire, du gel hydroalcoolique, fabriqué par des brigadistes, ainsi que des masques ont été distribués à des salariés qui en manquaient. Ici dans un hôpital à Saint-Denis, là à des caissières dans le Nord-est parisien, ailleurs à des éboueurs eux-mêmes investis dans les groupes d’entraide d’Alfortville et de Champigny. « On aide, mais en fait on travaille ensemble assez rapidement. Et c’est super intéressant », affirme Julia. Une concrétisation pour elle de la volonté d’auto-organisation des Brigades de solidarité populaire. Des facteurs des Hauts-de-Seine et des livreurs ont également bénéficié de ces distributions d’équipements de protection que leurs employeurs ne leur fournissaient pas.
Pour autant, la distribution de masques reste modeste : un peu plus de 5000 pendant les premières semaines, celles où la pénurie était la plus criante. Parallèlement, des milliers de repas réalisés dans des « cantines », en plus des livraisons de denrées alimentaires, ont également été distribués surtout aux SDF au cours de maraudes, lors du premier mois de confinement. Pour ne pas se faire propagateur du virus, les membres des brigades ont adopté une « charte sanitaire », travaillée avec des professionnels de santé, qui reprend pour l’essentiel les recommandations des autorités : lavage des mains, port d’un masque obligatoire, distances de sécurité pendant la préparation des repas, désinfection des sacs, etc. Des protections essentielles, particulièrement pour se rendre dans les foyers ou les hôtels sociaux du 115 qu’ils livrent.
Une autre façon de continuer la politique…
L’activité des brigades ne souhaite pas se cantonner à une intervention humanitaire. Outre leur volonté de s’organiser avec des gens en lutte pour sortir du rapport aidant-aidés, ses membres désirent allier réponse immédiate, pour couvrir les besoins matériels, et réponses politiques. Par exemple, à travers les distributions des masques : « il y avait un enjeu sur les conditions de travail dans les entreprises. Cela a été l’occasion de discuter du droit de retrait et de la grève avec les travailleurs que l’on allait voir », se remémore Julia. Une forme d’intervention politique dans la continuité des trois mois de mobilisation contre la réforme des retraites, arrêtés par le coronavirus.
Tout aussi politique pour les brigadistes : le choix de celles et ceux avec lesquelles ils travaillent. « Àchaque fois, nous nous demandons si éthiquement nous pouvons travailler avec telle structure qui demande de l’aide ou tel magasin qui propose de la récupération. Par exemple, avec les municipalités, c’est non ! Nous nous retrouvons face à des mairies qui coupent l’accès à l’eau aux plus démunis. Il est difficile ensuite de faire des choses avec elles », nous explique Julia. Le choix d’aller là où l’État laisse des populations à l’abandon, voire continue de les violenter comme les sans-papiers, est aussi très politique pour ces brigadistes.
… et de préparer demain
Pour agir aujourd’hui et préparer la période suivant le confinement, à défaut de pouvoir manifester tout de suite, les Brigades de solidarité populaire distribuent des tracts dans des immeubles de certains quartiers. Ailleurs, des banderoles sont accrochées, des affichent collées pour dénoncer une gestion politique de la crise qu’ils considèrent comme une grosse partie du problème. « Cela permet d’enclencher et de parler de l’après, qu’il faudra être dans une perspective de lutte, tout en construisant quelque chose à côté, une sorte de contre pouvoir » assure Julia. Pour cette brigadiste, les réseaux de solidarité qui se sont construits pendant le confinement constituent une force pour les luttes des mois qui viennent.
Des mois qu’elle n’imagine pas tout rose avec la crise économique et sociale dont les premiers signes sont déjà bien visibles. Pour les semaines qui viennent, les Brigades vont poursuivre leurs activités, d’autant que l’affluence, en bras comme en nombre de demandes d’aides, ne se tarie pas. Ainsi, le déconfinement ne devrait pas marquer la fin de l’expérience, d’autant que celui-ci devrait être progressif et long. Seule réserve : le temps disponible. Avec la reprise du travail, et peut-être celle des luttes, nombre de brigadistes risquent d’être accaparés sur d’autres fronts.