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SOURCE : France Culture
Et si les gestes quotidiens que nous faisons pour nous protéger du coronavirus étaient autant de dispositifs de surveillance ? Et si la tentative de maîtriser une épidémie ne pouvait se faire sans l’imposition d’une discipline dont le but serait certes de guérir, mais aussi d’exclure ?
C’est la thèse du philosophe Paul B. Preciado qui, en lecteur de Foucault, a publié ces dernières semaines plusieurs articles, sur Médiapart ou Libération, pour commenter et critiquer les aléas de la politique immunitaire.
L’invité du jour :
Paul B. Preciado, philosophe, commissaire d’exposition et auteur
La discipline comme réalité normale
La discipline est la technologie du gouvernement de la modernité capitaliste par excellence. Aujourd’hui, nous ne sommes pas plus maîtrisés par la discipline que nous l’étions hier, c’est simplement que cette discipline, ces techniques de régulation du corps, ces techniques de régulation entre les corps et l’espace, ont changé. L’opération de répétition de régulation, de dressage, de domestication du corps produit un effet de naturalisation qui fait que nous n’allons pas comprendre ni voir la discipline en tant que discipline, on la perçoit comme la réalité normale.
Paul B. Preciado
Nous sommes sous surveillance bio-numérique 24h/24h
Il faut sortir de cette fausse dialectique entre liberté et santé publique, mais plutôt comprendre comment la santé publique implique aussi une gestion des corps, une régulation, une spatialisation des pouvoirs très stricte et que ce sont ces régulations du corps et cette spatialisation du pouvoir qui sont en train de changer aujourd’hui. Nous vivons une mutation planétaire des paradigmes qui est semblable à celle que nous avons vécue au 15ème siècle, le passage d’une société orale à une société écrite, avec l’invention de l’imprimerie. Au moment des changements de paradigmes, on invente des nouvelles techniques de subjectivation. Dans cette transition de la culture orale à la culture écrite, il a fallu faire apprendre aux gens à rester assis, en silence, apprendre à lire. Pour Foucault, cela a pu se produire grâce aux expérimentations qui ont eu lieu dans les cellules monastiques. Aujourd’hui, on rentre à l’intérieur de nouvelles cellules monastiques, qui sont numériques, on y sera sous surveillance bio-numérique 24h/24h. Ca a été mis en place pendant le confinement avec la demande de rester dans nos intérieurs, qui sont electrifiés et numérisés.
Paul B. Preciado
Exclure le virus = exclure l’étranger ?
Il y a une différence entre des techniques bio-politiques et des disciplines qui sont appliquées à la totalité de la population des citoyens français non racisés, et des techniques d’éloignement nécropolitiques de mise à mort appliquées surtout évidemment pour les corps considérés comme étrangers, mais aussi sur une partie même de la population française, soit celle racisée, soit celle des classes très populaires, des populations qui doivent impérativement sortir pour accéder à la nourriture ou au travail…
Paul B. Preciado
Texte lu par Vincent Schmitt :
- Extrait de Surveiller et punir, de Foucault, 1975, éditions Gallimard, p. 197
Sons diffusés :
- Extrait d’un reportage pour France 3 Bourgogne réalisé par Rémy Chidaine, Tania Gomes et Patrick Jouanin, diffusé le 22 mars 2020
- Extrait du podcast Là-bas si j’y suis, réalisé par, Dillah Teibi, diffusé le 17 avril 2020
- Chanson de fin : Siya, Stuntin