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SOURCE : Frustration
Une idée qui réunit Yannick Jadot, Nathalie Kosciusko-Morizet, Frédéric Lefebvre et Benoit Hamon est forcément un peu suspecte. Ça sonne bien, pourtant, « revenu universel ». Ça fait plaisir à entendre. Enfin une idée étiquetée de gauche facile à comprendre ! Le même revenu, pour tous, quelles que soient ses ressources, en complément de son salaire si on a un emploi, sans contrepartie en termes de travail, et sans même avoir besoin de le demander. Pour le moment, cette idée n’a été vraiment appliquée qu’en Alaska. On enverrait bien ses défenseurs là-bas pour un séjour à durée illimitée, mais la rigueur intellectuelle nous impose plutôt de leur répondre point par point.
Bon, on peut déjà débattre du montant. Si on est de gauche, comme M. Hamon, on propose un revenu de 750 euros par mois, en commençant, dans un premier temps, par un montant autour du RSA-socle (565 euros). Si on est de droite, comme Mme Kosciusko-Morizet, on descend un peu plus bas à 470 euros. Le test réalisé en Finlande l’année dernière, qui a abouti à l’abandon de cette idée, fixait quant à lui le niveau à 560 euros. Actuellement, le projet en Espagne s’établit à 440 euros. En Alaska, où il existe depuis 1982, un chèque est versé annuellement et varie tous les ans, car c’est une redistribution de la rente pétrolière et gazière.
Dans de nombreux scénarios de mise en place d’un revenu universel en France, il ne viendrait pas s’ajouter à l’ensemble des allocations et minima sociaux actuels, mais s’y substituerait au moins en partie. C’est d’ailleurs la brèche dans laquelle s’est engouffré le gouvernement en lançant, en juin 2019, la concertation sur le revenu universel d’activité (RUA), qui vise à fusionner le RSA, la prime d’activité et les allocations au logement (APL). La concertation pourrait aboutir également à l’intégration au RUA d’autres prestations comme l’allocation aux adultes handicapés (AAH), l’allocation de solidarité spécifique (ASS) ou l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA). Un beau moyen pour faire des économies et réduire les droits.
Quoiqu’il en soit, le montant des revenus universels proposés par le personnel politique, de gauche comme de droite, est toujours trop faible pour en vivre correctement. Si on montait à des niveaux plus élevés, par exemple au-dessus du seuil de pauvreté en France, donc plus de 1000 euros par mois (comme le recommande Baptiste Mylondo, dans son ouvrage Un revenu pour tous ! Précis d’utopie réaliste), ça deviendrait très coûteux, des centaines de milliards d’euros. Plutôt que d’utiliser une telle manne financière pour la totalité de la population (puisque le revenu universel est inconditionnel), ne vaut-t-il pas mieux augmenter les minimas sociaux pour ceux qui en ont vraiment besoin : les plus pauvres, les handicapés, etc. ? Les bourgeois ont-ils vraiment besoin de 1000 euros de plus par mois ?
Un outil pour liquider le SMIC et baisser nos salaires
Mais le débat sur le montant est superficiel. Ce n’est pas le fond du problème posé par le revenu universel. Le principal souci, c’est que ce dispositif, quel que soit son niveau, s’il était mis en place, servirait l’intérêt des entreprises et non celui des gens. En effet, les employeurs, sachant que leurs salariés toucheront déjà ce revenu et que les salaires qu’ils leur verseront n’en seront qu’un complément, risquent d’avoir tendance à les geler ou les baisser. Le risque est particulièrement grand concernant le montant du SMIC. Même si son niveau est actuellement très insuffisant, rappelons que son but est de garantir aux salariés un minimum vital revalorisé en fonction de la hausse des prix. Si une partie du revenu de ces personnes est financée par l’État par le biais du revenu universel, sa justification pourrait être remise en cause.
Plus globalement, les employeurs feront pression à la baisse sur l’ensemble des bas salaires à cause de ce revenu universel. D’ailleurs, les partisans néolibéraux du revenu universel ne s’en cache pas : « le SMIC est une aberration économique, car il perturbe considérablement les ajustements intervenant sur le marché du travail. Il serait donc assez légitime d’abaisser le niveau du SMIC en même temps qu’on introduit le revenu de base » affirme notamment Marc de Basquiat, président de l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence. Le revenu universel fonctionnera ainsi comme une subvention indirecte aux entreprises, qui verront leur masse salariale décroître.
Une vision fausse du rapport de force dans l’entreprise
Alors pourquoi des gens de gauche défendent-ils une telle mesure, au-delà de la simple communication électorale ? Un regard sur la dernière tribune de Benoit Hamon nous donne l’une des réponses : « En libérant chacun d’une dépendance exclusive au revenu qu’il tire de l’emploi, le revenu universel donne une capacité de négociation et de choix à chaque individu. En ce sens, le revenu universel d’existence permet l’exercice d’une citoyenneté intégrale, y compris dans l’ordre économique. L’émancipation sociale passe par cette pratique individuelle de la liberté. Nous ne fabriquerons pas de société plus coopérative, moins égoïste et moins cupide sans donner davantage d’autonomie et de liberté à chaque citoyen. ». En bref, M. Hamon pense que le revenu universel favorisera les salariés dans leur rapport de force dans l’entreprise. Comme si ce rapport de force était individuel. Comme si le rapport de subordination entre le salarié et son employeur n’existait pas et que chacun pouvait librement négocier son salaire.
On cible là l’un des plus gros problèmes de ce projet. Comme le rappellent à juste titre les auteurs de la note de la Fondation Copernic et des économistes atterrés « Faut-il un revenu universel ? », les défenseurs du revenu universel placent l’individu au cœur de leur projet politique, alors que les grandes conquêtes du siècle dernier, la sécurité sociale, la création des comités d’entreprise, les retraites, ont toujours été collectives. Par ailleurs, comme le notent également les auteurs, « l’expérience contredit de toute façon cette idée, puisque la mise en place du RMI, puis du RSA, même augmenté d’autres prestations, n’a pas permis d’améliorer le rapport de force des salariés vis-à-vis du patronat. »
Un fatalisme en matière d’emploi
La plupart des défenseurs du revenu universel sont convaincus d’une fin progressive du travail, conséquence des évolutions technologiques et du chômage de masse. Ils abandonnent complètement l’idée du plein emploi et prennent ainsi acte que les gains de productivités continueront à être absorbés en profit par les actionnaires, plutôt que de permettre une réduction du temps de travail. Ils font ainsi preuve d’un fatalisme extraordinaire et abdiquent la revendication historique du mouvement ouvrier de diminution du temps de travail, dans la semaine, dans l’année et dans la vie.
Pourtant, si, par exemple, la numérisation de l’économie permettait de réduire le travail nécessaire (ce qui reste à prouver, car elle crée également de très nombreux nouveaux emplois), plutôt que de prendre acte de cette réduction en versant une aumône de quelques centaines d’euros aux personnes condamnées à ne jamais avoir de travail, pourquoi ne pas plutôt mieux partager le travail, en réduisant le temps de travail tout en maintenant les salaires? C’est très simple à faire par la loi : mise en place des 32 heures hebdomadaires, augmentation du nombre de semaines de congés payés obligatoires, réduction de l’âge de départ à la retraite. Ainsi nous aurons tous un emploi, en travaillant moins et mieux. Mais cela nécessite, bien sûr, un affrontement avec le grand patronat.
La proposition d’un revenu universel est à la mode, car elle évite cette confrontation. Elle n’est qu’un outil de distribution d’un revenu et non la mise en œuvre d’un meilleur rapport capital/travail dans les entreprises. Elle participe, comme tant d’autres renoncements depuis plus de trente ans, du grand abandon des salariés par la classe politique.
En réduisant le temps de travail, en socialisant l’entreprise et l’investissement, on fera beaucoup plus pour les gens qu’en mettant en œuvre un revenu universel, qui est l’ultime écho de la décomposition de la social-démocratie.
Guillaume Etiévant