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SOURCE : Bastamag
La multiplication des cas de Covid-19 contractés sur les lieux de travail révèle que de nombreuses entreprises ont fait passer leur profit avant la santé et la sécurité de leurs salariés. C’est le cas de Teleperformance, leader mondial des call-centers, qui doit prendre les mesures nécessaires pour protéger ses travailleurs face au coronavirus.
Inconnue du grand public, Teleperformance est la face cachée de l’économie numérique. Ses 330 000 salariés, répartis dans 80 pays, sont chargés d’assurer le service client externalisé de sociétés telles que Facebook, Apple, Amazon, Netflix ou encore Expedia.com. En raison des espaces de travail exigus et des équipements partagés, les plateaux des centres d’appel peuvent devenir des foyers d’infection lors d’une épidémie virale. Et, de fait, la réponse défectueuse de Teleperformance à la pandémie actuelle est aujourd’hui susceptible de mettre en danger ses travailleurs dans de nombreux pays.
En France, le centre d’appel de Blagnac, en charge de la ligne d’information sur le Covid-19 du gouvernement français, a fait l’objet d’une mise en demeure de l’inspection du travail, et des salariés tentent de faire valoir leur droit de retrait [1].
Licenciements pendant le confinement, « usine à virus », salariés contraints de vivre au sein même du centre d’appel…
Au Portugal, cinq salariés d’un centre d’appel ayant été testés positifs au virus, les autorités ont été contraintes d’ordonner la fermeture de l’établissement [2]. Au Royaume-Uni, des employés de Teleperformance qui travaillent sur une ligne d’assistance du National Health Service (NHS) ont signalé aux autorités que le centre d’appel était une « usine à virus » [3]. En Colombie, quatre salariés qui avaient pris la parole lors d’une réunion sur la gestion de la crise ont été licenciés [4]. En Inde, des licenciements ont été relevés pendant le confinement [5].
Aux Philippines, le Financial Times a dénoncé des conditions de travail et de vie « inhumaines » [6]. Dans ce pays, les travailleurs ont été informés que, pour continuer à travailler, ils devraient désormais vivre au sein même du centre d’appel, et ce pendant des semaines afin de maintenir l’activité. Plus généralement, Teleperformance n’a pas associé les parties prenantes pendant la pandémie, y compris les syndicats et autres associations de travailleurs.
Une plainte déposée pour dénoncer des conditions de travail dangereuses dans dix pays
De telles défaillances, également observées au sein d’autres grands groupes, pourraient engager la responsabilité des entreprises qui ne prendraient pas les mesures adaptées pour protéger les droits des travailleurs en cette période de crise. Elles pourraient, tout d’abord, être en violation des lignes directrices de l’OCDE pour les entreprises multinationales. Ainsi, la CGT, la CFDT, FO et UNI Global Union ont déposé il y a peu une plainte contre Teleperformance auprès du Point de Contact National de l’OCDE en France, dénonçant des conditions de travail dangereuses dans 10 pays où l’entreprise opère [7].
Mais, aujourd’hui, la responsabilité des sociétés-mères en la matière est aussi juridique. La loi sur le devoir de vigilance oblige précisément les grandes entreprises françaises à prendre « des mesures adaptées d’identification des risques et de prévention des atteintes envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité de personnes, ainsi que l’environnement », et ce pour l’ensemble de leurs filiales dans le monde.
Responsabilité des sociétés-mères
L’année dernière, Sherpa et UNI Global Union ont déjà mis Teleperformance en demeure de se conformer à la loi, signalant des manquements dans la mise en œuvre de son devoir de vigilance dans ses filiales à l’étranger [8]. Les défaillances aujourd’hui observées semblent ainsi symptomatiques du manque de mesures systémiques pour faire respecter les droits des travailleurs au sein de l’entreprise.
Alors que s’amorce une crise économique, nous savons que les sous-traitants des pays où la protection sociale et la réglementation du travail sont faibles, voire inexistantes, seront les plus touchés – et c’est précisément là que vit la grande majorité de la main-d’œuvre de Teleperformance. Pour éviter que ces défaillances ne génèrent un autre désastre, les sociétés-mères ont aujourd’hui l’obligation de respecter les droits des travailleurs dans l’ensemble de leurs opérations, faute de quoi elles pourront voir leur responsabilité engagée.
Christy Hoffman, secrétaire générale de UNI Global Union
Sandra Cossart, directrice de Sherpa
Photo de une : Un message de contestation politique sous le périphérique, dans le 19ème à Paris / © Anne Paq