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SOURCE : NPA
Un acteur, ce sont avant tout ses choix qui disent de lui ce qu’il est. Un comédien, son intelligence du jeu et son art d’incarner une personne, une pensée. Et la qualité de son inscription dans la cité. Michel Piccoli est mort il y a un peu plus d’une semaine à un âge plus qu’honorable.
Au lendemain de la guerre Piccoli a été longtemps assez proche du PCF. C’est dans le tournant des années soixante et soixante-dix qu’il s’est imprégné à plein poumons et à pleine tête du souffle émancipateur qui, de Berkeley à Varsovie, de Prague à Hanoï de Paris à Santiago et de d’Athènes à Alger a déferlé sur l’Europe et le monde. À l’exigence culturelle il a intimement associé une exigence politique et éthique qui l’a amené à évoluer d’un compagnonnage avec le PCF à une radicalisation qui le verra participer un temps à l’activité de la Ligue dans le cadre d’un « comité rouge » spectacle que Daniel Bensaïd évoque dans son livre Une lente impatience. Il nous accompagna dans nombre de campagnes de solidarité.
Le repli de de l’horizon immédiat de la révolution sur le temps morne des échecs et celui plus incertain des résistances l’a fait se replier dans l’enclos plus étroit du socialisme du possible et dans le champ du désenchantement. Ce possible qui fut à la source de bien des glissades et des dérapages dont certains ne sont pas revenu. Piccoli a connu ce repli incontestable mais il n’a pas perdu l’éthique et l’exigence de l’égalité.
Cette exigence dans le théâtre et le cinéma l’a porté haut jusqu’à sa fin. Il voulait tenir les deux bouts du l’art du comédien, du théâtre et du cinéma : à la fois élitiste pour tous et populaire de qualité. Il fut un des compagnons de l’aventure Sautet au cinéma tout en étant une des figures du Mépris du Godard. Au théâtre, on le vit avec Marcel Bluwal et Patrice Chéreau, Luc Bondy, André Engel et Peter Brook ou Bob Wilson, une liste de noms qui, avec beaucoup d’autres, tisse le fil de quelques-unes des expériences essentielles du théâtre du XXème siècle.
Au cinéma il fut un abonné absent de ce qu’on appelle le bas de gamme. Le cinéma pour lui s’appela Alain Clément, Jean Pierre Melville, Costa Gravas, Youssef Chahine et aussi Luis Bunuel, Jacques Rozier, Agnès Varda, Leo Carax, Marco Ferreri ou Manuel de Oliveira et d’autres.
Michel Piccoli est entré dans l’histoire du cinéma et du théâtre mais aussi dans notre histoire puisqu’il fut de ces hommes qui pensaient que le théâtre et le cinéma n’étaient pas que de la distraction mais qu’ils devaient apporter la brise de l’intelligence dans l’ordinaire du monde, et faire de la fiction un plaisir et une arme.
Alain Krivine, à qu’il il confiait qu’il voulait abandonner le travail d’acteur pour travailler et lutter aux côtés des exploités lui avait répondu qu’on avait aussi besoin de grands comédiens. Il a tenu haut la main cet engagement ; et fait que parfois le cinéma est un cocktail Molotov lancé dans la mare de bons sentiments et de l’air du temps et un élixir d’insubordination et d’impertinence.
Alors que le rideau sa vie vient de tomber, c’est le moment de lui dire « merci Michel ! Camarade Piccoli Hasta Siempre ! »
« Après la manifestation, nous avons regagné l’impasse Guéménée. Surprise : Michel Piccoli se morfondait sur une banquette au fond de la salle déserte. A l’époque, la Ligue tenait chez lui des réunions autour d’un bulletin, Télé 7 Rouge, destiné aux personnels de la radio et de la télévision. Percuté par les événements récents, il voulait s’engager davantage. Il évoqua même la possibilité de devenir permanent de la Ligue. »
Daniel Bensaïd, Une Lente impatience
« La Ligue était repartie pour un deuxième tour de « non légalité ». Ses principaux responsables, plus ou moins recherchés par la police, réutilisèrent alors leurs carnets d’adresses pour trouver les amis prêts à les héberger. Daniel Bensaïd et Henri Weber avaient atterri chez Marguerite Duras, moi je fus accueilli chez Lucienne Hamon puis chez Michel Piccoli et Juliette Gréco, rue de Verneuil. J’avais rencontré Michel Piccoli à l’occasion de réunions organisées par Michel Rotman, un de nos dirigeants familier des milieux artistiques. Le contact avait été assez facile, car Piccoli était curieux de tout. Comme Sartre et beaucoup d’autres, dans les années soixante-dix, il voulait s’engager davantage dans le militantisme, s’interrogeant même sur son métier. À la différence de ce que faisaient les maos avec les artistes qu’ils influençaient, nous lui avions déconseillé d’aller « à la porte des usines ». Chacun devait pouvoir jouer un rôle constructif en fonction de ses compétences. Il venait nous rendre visite au bistro de l’impasse Guéménée. On prenait un pot, au fond de la salle, devant le patron et les clients ébahis de se retrouver en telle compagnie. Sans bien sûr partager toutes nos positions, Michel Piccoli eut à nouveau l’occasion de nous rendre service, trois ans plus tard. La Ligue voulait contracter un emprunt pour acheter une rotative, permettant de sortir Rouge quotidien. En dépit des mises en garde de son banquier, il se porta garant de l’emprunt, apportant en caution un studio qu’il possédait rue Monsieur-le-Prince. Sa confiance et sa générosité permirent la naissance de la société d’imprimerie Rotographie, toujours en activité. »
Alain Krivine, Ça te passera avec l’âge