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SOURCE : Reporterre
Les malades chroniques ont bien davantage succombé au Covid-19 que les autres, comme le montrent plusieurs études. Or, le développement de l’obésité, du diabète, du cancer, de l’hypertension… est directement lié aux facteurs environnementaux, que les politiques de santé publique ne prennent pas en compte.
Une épidémie peut parfois en cacher une autre, plus profonde, moins visible. Car le virus Sars-CoV-2 a crû sur un terreau fertile, il a proliféré sur les dérives de notre société d’abondance, son modèle agro-industriel et ses pollutions chimiques. Depuis plusieurs décennies, les maladies dites « de civilisation » comme l’obésité, le diabète, l’hypertension ou les cancers ont explosé du fait de notre mode de vie — la malbouffe, le stress, la sédentarité. Elles nous ont rendus collectivement plus vulnérables aux chocs, moins résilients aux virus.
On estime que 90 % des personnes qui sont mortes du Covid-19 présentaient une ou plusieurs comorbidités. Les patients atteints de pathologies chroniques ont plus de risque de souffrir de complications. Début avril, une étude parue dans la revue Obesity, révélait que 75 % des patients admis aux soins intensifs du CHU de Lille étaient obèses et que 85 % des obèses sévères avaient dû être intubés. En d’autres mots, ce n’est pas seulement l’âge mais surtout l’état de santé métabolique des personnes infectées qui a compté. Et les obèses et les diabétiques, même jeunes, ont été en première ligne. Ils ont subi, selon les mots d’Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses, « un massacre, une véritable détresse ».
Reporterre revient sur ces éléments qui révèlent, en creux, la faiblesse des politiques de santé environnementale. Aujourd’hui, en France, la moitié des plus de 15 ans est en surpoids. Un adulte sur six souffre d’obésité. Entre 2003 et 2017, les maladies cardio-vasculaires ont progressé de 171 %, le diabète de 94 % et le cancer de 49 %. Derrière la gestion néolibérale de l’hôpital, la pénurie de masques ou le déficit de tests, se joue un autre scandale encore plus grave. Le Covid-19 vient le mettre en lumière. Le système productiviste et consumériste dans lequel nous sommes plongés rend les gens malades et donc plus vulnérables aux pandémies. Il tue de façon indirecte et face à cela, les gouvernements successifs se sont contentés depuis des années de formules incantatoires sans s’attaquer aux causes réelles du mal qui ronge les sociétés occidentales (article à lire sur ce sujet demain).
« Chez les obèses, l’aggravation du Covid-19 est plus nette et plus rapide »
Dès fin mars, les professionnels de santé ont tiré la sonnette d’alarme. Ils ont vu débarquer à l’hôpital une population extrêmement fragile qui, en majorité, était en surpoids. « C’était très frappant, raconte Cyrielle Chaussy, docteure au CHU de Lyon. L’observation était partagée par tous les cliniciens, que cela soit en service de pneumologie ou en réanimation. On avait également en tête l’expérience de la grippe H1N1, où l’on avait déjà observé une prévalence des personnes obèses. »
En mars, les données manquaient cependant pour évaluer le phénomène. « Les études provenaient principalement des cohortes chinoises, elles n’avaient pas pris en compte l’indice de masse corporelle et la population chinoise compte beaucoup moins d’obèses », explique la docteure. De nombreuses enquêtes ont alors été lancées en France, en Europe ou en Amérique du Nord. Leur constat a été unanime.
Avec son équipe, Cyrielle Chaussy a étudié les cas de 340 patients hospitalisés à Lyon. Les sujets souffrant d’obésité sont deux fois plus nombreux dans les services de réanimation que dans la population générale. À Lille, le professeur et chirurgien François Pattou a fait le même diagnostic. Le recours à la ventilation artificielle pour une personne obèse, touchée par le Covid-19, est sept fois plus fréquent que pour les patients de poids normal. « Indépendamment du diabète ou de l’hypertension, l’obésité est un facteur de risque en lui-même », souligne le chercheur à l’Inserm, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Plusieurs raisons l’expliquent : dans un corps avec embonpoint, le muscle du diaphragme fonctionne mal, les patients sont donc moins armés lorsqu’ils se retrouvent en détresse respiratoire. Leur système immunitaire est aussi moins efficace. De surcroît, l’excès de graisse génère un état d’inflammation chronique qui participe au développement de plusieurs anomalies métaboliques. « Chez les obèses, l’aggravation du Covid-19 est plus nette et plus rapide », indique François Pattou.
Au Royaume-Uni, une enquête portant sur 5.683 décès survenus dans les hôpitaux du NHS (National Health Service) donne des chiffres significatifs. Les personnes atteintes de diabète ont 2,4 fois plus de risque de mourir du Covid-19. Les patients obèses jusqu’à 3 fois plus. 64 % des décès concernent des personnes en surpoids. 74 % avaient de l’hypertension.
« L’âge masque les disparités sociales et l’explosion des maladies chroniques »
« Même si l’âge est un facteur déterminant pour le Covid-19, tout expliquer par ce facteur n’est pas acceptable », dit le toxicologue André Cicolella. Le professionnel de santé s’indigne des Unes de journaux qui se focalisent sur la vieillesse. « C’est une interprétation grossière. Si on appliquait le raisonnement au cancer, pour lequel 70 % des cas surviennent après 60 ans, on en déduirait que l’âge est la première cause du cancer. C’est absurde. »
En réalité, même des enfants en surpoids sont à risque face au Covid-19. Une étude étasunienne portant sur 48 enfants atteints du virus et hospitalisés aux soins intensifs a montré que l’obésité représentait la principale comorbidité observée chez ces jeunes patients, à l’exception des maladies congénitales et du cancer. « Que peut-on faire face à l’âge ? Rien ! C’est la fatalité et c’est bien pratique. L’âge masque les disparités sociales et l’explosion des maladies chroniques », juge le toxicologue.
Quand on superpose, en France, les cartes de la propagation du virus, celle du chômage et celles des maladies chroniques, elles sont étonnamment semblables. Le Bassin parisien et l’Est, régions fortement touchées par le coronavirus, sont aussi celles qui, avec les Hauts-de-France, sont les plus concernées par l’épidémie d’obésité : 21,5 % de la population en 2012 selon la dernière estimation de l’étude Obépi, avec une progression de 61,5 % depuis 1997.
Corrélation ne vaut pas causalité. Mais ces exemples montrent que « le Covid-19 frappe de façon différenciée selon le statut social et l’état de santé préalable de la population. Il y a vingt ans, avant l’explosion des maladies chroniques, nous aurions bien mieux résisté au virus », estime André Cicolella.
Le poids des maladies chroniques explique aussi, en partie, l’ampleur de la crise sanitaire aux États-Unis, où le Covid-19 a fait plus de 100.000 morts. « D’autres facteurs comme la gestion catastrophique de Trump sont en jeu », nuance la docteure Cyrielle Chaussy, mais indéniablement, « les deux épidémies du coronavirus et de l’obésité se sont rencontrées et potentialisées ».
« Les obèses ont subi un déchaînement de violence »
En France, les obèses ont vécu une période très éprouvante. « On avait un pied dans la tombe. On savait que si on sortait, on pouvait mourir », témoigne Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses.
Beaucoup d’obèses étaient paniqués. La plupart se sont enfermés pendant deux mois chez eux, dans le stress et l’isolement. Certains ont fait des tentatives de suicide. Ceux qui sont tombés malades ne s’en sont toujours pas remis. L’intubation entraîne des séquelles lourdes. On prend 20 ans en pleine face ! On doit réapprendre à marcher, à parler, à s’alimenter. Le Covid-19 nous a écrasés.
Pire, une fois le lien établi entre l’obésité et le Covid-19, « les gros ont subi un déchaînement de violence. On nous a accusés de saturer les hôpitaux, de propager la maladie », raconte Gabrielle Deydier, auteure du livre On ne naît pas grosse, qui a observé pendant le confinement « une recrudescence des actes grossophobes ». Elle continue :
Au lieu d’étudier les défaillances de notre système, on a d’abord cherché des coupables. Les gens pensent encore que l’obésité est liée à des comportements individuels parce que l’on ne fait pas assez d’activité physique ou que l’on mange trop. Mais, en réalité, c’est une maladie. Elle doit être reconnue comme telle. Cela ne viendrait à l’idée de personne de se moquer de quelqu’un qui a une insuffisance rénale ou un cancer, alors pourquoi le fait-on pour les gros ?
« Il va falloir mener une révolution dans nos modes de vie »
L’explosion des maladies chroniques ne vient pas de nulle part. Elle est directement associée à notre mode de vie. « On a tout dénaturé, notre manière de se déplacer, de manger, de travailler. Les obèses en sont les premières victimes. Ils font aussi souvent partie des populations les plus défavorisées et les plus pauvres », pense Gabrielle Deydier.
Plusieurs études ont montré que l’exposition aux perturbateurs endocriniens et aux pesticides favorisait le risque d’obésité. Tout comme la pollution atmosphérique et l’alimentation ultratransformée.
« Plutôt que de stigmatiser les obèses, nous ferions mieux de nous attaquer aux causes environnementales de ces maladies chroniques, dit le toxicologue André Cicolella. C’est d’autant plus nécessaire que le Covid-19 ne sera pas la dernière des pandémies et que, faute d’action, nous risquons d’être de plus en plus sensibles aux épidémies infectieuses même de faible intensité. »
Avec le réseau Santé Environnement, le médecin invite à changer de paradigme : « On va revaloriser les salaires des infirmiers et des hospitaliers, c’est très bien, mais on gère le problème par le bout du tuyau. Encore une fois, on ne fait pas de prévention. Comment explique-t-on que les hôpitaux aient pu être débordés ? Pourquoi a-t-on plus de malades ? Nous devons proposer une vision globale de la santé, qui ne se résume pas seulement au système de soin. »
La bataille s’annonce rude. « On touche à un mal profond, directement relié à des intérêts économiques, souligne le professeur et épidémiologiste Laurent Gerbaud. Si les coûts de l’obésité chaque année sont colossaux, les profits de l’industrie agroalimentaires ou du lobby automobile le sont aussi ! Pour arriver à être plus résilients, il va falloir mener une véritable révolution dans nos modes de vie. Concevoir des villes qui favoriseront prioritairement la marche à pied et le vélo et où les enfants pourront jouer dans la rue, mettre en place un revenu universel pour que chacun puisse s’acheter des fruits et des légumes issus de l’agriculture biologique… Ce n’est pas seulement une utopie, c’est une nécessité sanitaire. »