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SOURCE : Lundi matin
Flic ou voyou ? Une petite sociologie de la police
Ce texte est avant tout une réflexion sur les violences commises par ce que nous nommerions génériquement les forces de l’ordre en certaines occasions : manifestations et interpellations. Cependant, au-delà de ces quelques réflexions, se posent les questions de la formation de ces mêmes forces et de la finalité visée par cette formation et leurs interventions.
Par Nicolas Oblin, Professeur des écoles à Nantes et Patrick Vassort, Maître de conférences à l’université de Caen Normandie. Ils font tous parti du collectif « Illusio ».
STRATÉGIE
Il est devenu fréquent, au sein des réseaux médiatiques dominants, d’évoquer les difficultés connues par les forces de l’ordre dans la gestion du maintien de l’ordre lors des manifestations, contre la loi dite travail, contre celles visant la réforme des retraites ou celles, plus globales, dites des « Gilets Jaunes ». Il en est de même aujourd’hui lors des mobilisations autour du débat sur les actes de racisme au sein de l’institution policière lors des interventions musclées auxquelles les fonctionnaires de police se livrent. Au renfort de ces présentations bienveillantes, les interventions récurrentes des responsables politiques de tous bords, des responsables des principaux syndicats de police, de quelques « intellectuels » médiatiques, tous armés d’une « pensée » monolithique apprise et répétée, comme n’importe quel « élément de langage » et qui se déploie sur les thèmes de la « police républicaine » et de l’existence de quelques « brebis galeuses » au motif que « le racisme ne serait pas davantage développé dans la police que dans tout autre secteur d’activité de la société ».
Une telle démarche intellectuelle part d’un principe, fondamentalement erroné, qui veut que participer au maintien de l’ordre institué par les classes dominantes sur une majorité dominée équivaut psychiquement, psychologiquement, philosophiquement, sociologiquement, à donner des soins quatorze heures par jour dans un hôpital de banlieue, à faire cours toute l’année à des enfants en difficulté, à diriger une association de défense des droits humains, à travailler à la caisse d’un supermarché, etc. Cet amalgame facile porte la marque de la propagande. Nous y trouvons les principales caractéristiques : la répétition, le mensonge, la mise en scène, l’utilisation médiatique qui allonge le temps discursif nécessaire à l’opacification et à la disparition des événements dans le flux des informations nouvelles.
Dans l’ombre de tels discours se trouve la doxa républicaine de la « violence légitime », cette dernière permettant idéologiquement de maintenir un régime politique prétendument « démocratique » choisi et élaboré par le peuple et pour le peuple. Les représentants du maintien de l’ordre républicain émanant du peuple lui-même – commandé en dernier ressort par un exécutif élu et représenté par des préfets nommés par lui –, c’est ce dernier qui autorégulerait volontairement les limites du maintien de l’ordre.
Néanmoins, en contradiction avec ces discours lénifiants, nous voudrions rapidement démontrer que la réalité est toute autre. Il ne s’agit pas de dire que tous les policiers sont racistes, ce qui n’aurait aucun sens, mais bien de rappeler que les institutions du maintien de l’ordre marquent dans la chair et la psychéleurs membres, et ce, dès leur formation. En effet, ces agents du maintien de l’ordre sont préparés à des situations sociales, déterminés par des conditions politiques et un processus de production également déterminé qui, nombreux sont les sociologues à l’avoir démontré, reproduisent les conditions de vie économique et culturelle des populations. Autrement dit, ces « agents » sont majoritairement formés pour lutter contre ceux qui pourraient avoir des raisons de se montrer mécontents, avoir le désir de se rebeller, de manifester, contre leurs propres conditions de vie : disons-le en un mot, contre les populations dominées.
FORMATION
Il est intéressant de décrypter, au travers d’images et de discours, l’idéologie dominante des forces de police et, plus particulièrement, celles qui interviennent par exemple en manifestation. De ce point de vue, le reportage Les combattants de l’ordre, de Stéphane Krausz et Michel Démétriades, révèle les conditions idéologiques de la formation des CRS [1]. Le discours que nous reprenons ici, à la volée, est celui des formateurs :
Le gaz lacrymogène a une odeur, comme le napalm, se souvient l’un des formateurs évoquant le film Apocalyse now. Il dégage les bronches et économise « une visite chez le médecin ».
« Lieutenant Masson, Lieutenant c’est mon prénom, vous pouvez m’appeler par mon prénom. J’ai 32 ans, 11 ans de boutique. Pour moi le but, c’est la maison CRS ».
« Les CRS c’est une maison que l’on choisit ».
« Ici nous sommes une boîte noire, ce qui se passe ici se règle entre vous et nous, point barre ».
Évoquant les désagréments des gaz, le lieutenant parle de « dépucelage lacrymal ».
« Vous avez été des hommes ».
« Parfois vous allez vous emmerder à cent sous de l’heure, mais l’intérêt c’est qu’un jour ça peut être la guerre ».
« Vous êtes là parce que c’est l’aventure, les mecs ! Y’a pas de routine, y’a pas qu’est-ce que je vais manger ce soir, qu’est-ce que la grosse elle va m’avoir préparé… on ne sait pas ce que ça peut être demain ».
« Quand ils sont arrivés c’était des étudiants, là on attaque le conditionnement » qui passe par un « déconditionnement ».
Lors d’une fête dans une salle de l’école de police de Sens, les élèves portent un toast en chantant « vas te faire enculer, vas te faire enculer, vas te faire enculer, vas te faire enculer… »
La formation passe par des discours qui, le croit la hiérarchie, doit être faite de soumission et humiliation en faisant hurler les ordres qui s’opposent aux « gémissements de gonzesse » car le lieutenant est sûr que les CRS arriveraient à faire crier « une gonzesse plus fort ».
« La peur que l’on suscite chez les autres et qui nous sert un maximum ».
« Nos “clients” potentiels doivent penser que nous sommes des brutes ».
« Nous sommes peut-être des brutes, mais des brutes professionnelles, nous sommes des techniciens ».
Les CRS sont issues des « groupes mobiles de réserve » qui étaient les groupes de maintien de l’ordre sous Vichy.
« Le CRS est celui qui empêche de manifester, c’est celui qui cogne ».
« Ne remettez jamais en question l’autorité des gens qui vous commandent ».
Nous trouvons, jusqu’à la caricature, tous les stéréotypes des représentants du maintien de l’ordre que sont les CRS. Malheureusement, il ne s’agit pas d’un court métrage humoristique. Nous y trouvons soumission et humiliation, sexisme, idéologie de la virilité et volonté de terroriser et de punir. Autant de caractéristiques qui ne peuvent que questionner sur les orientations politiques des agents de la force publique mais aussi sur les structures psychiques visées par le conditionnement. De plus, l’apologie de la brutalité, si ce n’est de la violence, y est faite avec le sentiment du travail accompli. Pire sans doute, fier d’être celui qui empêche de manifester, le CRS l’est tout autant d’être celui qui fait peur ! Nous y trouvons également l’exacerbation de la virilité qui permet d’anéantir le courage de résister aux ordres les plus discutables, tant sur les plans politiques, qu’idéologiques et moraux [2], l’esprit de corps. Peut-on réellement vivre et évoluer dans un système démocratique lorsque les forces de coercition ont pour mission de faire peur aux contrevenants ou à ceux qui ont le droit de manifester ? Il n’est pas ici question de savoir si la manifestation possède ou non des limites mais de percevoir que la finalité de l’action des CRS est d’effrayer les citoyens et, au besoin, si l’uniforme, le bruit, les casques, l’armement ne suffisent pas, la brutalité, la violence peuvent alors être « légitimement » convoquées afin de remplir la mission qui n’est pas seulement celle du maintien de l’ordre, mais celle du maintien d’un ordre déterminé, animée comme on l’a souvent constaté, d’un sentiment de vengeance et d’une volonté de punir à peine feinte.
Cet « ordre » repose sur un paramètre important, celui du « clan » ou de la « famille ». Le secret y est d’une certaine manière cultivé car comme le rappelle le Lieutenant, « ici nous sommes une boîte noire, ce qui se passe ici se règle entre vous et nous, point barre », formant les « agents » à une responsabilité limitée à leur corps ou à leur compagnie et à leur hiérarchie. Les « bavures » peuvent-elles se régler ailleurs ? Les violences « illégitimes » ? Les insultes ? La disparition des matricules sur les uniformes ? Ou seule la hiérarchie peut-elle intervenir faisant de ces « agents » des sujets exceptionnels du droit français ? La culture du clan, associée à la haine de la pensée, au mépris du questionnement qui s’articule si bien avec, à la fois le culte de la technique (ici, de la guérilla urbaine) et l’exacerbation de la virilité (contre le courage), soustrait les agents à l’universalité de la loi, exactement comme le font les mafias.
Il faut noter que le développement d’une virilité agressive et la déconsidération des femmes est l’un des paramètres par lequel le discours général du maintien de l’ordre s’inscrit dans l’inconscient individuel des « agents ». L’ordre est celui de ceux qui sont élus, ceux qui ont les responsabilités politiques et économiques, ceux qui assurent la « sécurité » collective de la Nation. Or cette sécurité, symboliquement, est assurée, très majoritairement, par des hommes blancs et, toujours symboliquement, le désordre de la rue vient des jeunes extrémistes, parfois étrangers dit-on, des jeunes délinquants venant des citées, issus de l’immigration dit-on, des « casseurs », et là ce sont les mêmes. Ce désordre est de la responsabilité d’individus malfaisant ou irresponsables comme les fem
mes, les enfants ou les esclaves l’étaient eux-mêmes il y a deux siècles [3], comme les ouvriers et les ouvrières, socialistes révolutionnaires, les communistes et les anarchistes le furent pendant la Commune de Paris [4]. Comme le remarque justement Gérard Rabinovitch, « le langage dans l’acceptation psychanalytique n’est pas qu’un instrument de communication, sinon il n’y aurait pas de cure possible, mais il est encore un opérateur qui métamorphose le réel. Ce n’est donc pas seulement le sujet individuel qui est marqué dans son intimité par le collectif, c’est le collectif qui, comme le sujet, est articulé par le langage » [5] et force est de constater que le langage du Lieutenant Masson « articule » particulièrement bien le collectif CRS et, plus que le collectif même, l’institution que représente les unités du « maintien de l’ordre ».
FLIC OU VOYOU
Si les individus ne peuvent être considérés, dans leur totalité, comme des racistes ou des machistes, nous devons tout de même considérer que pour obéir aux ordres aveuglément, il faut avoir été formé à cela, « conditionné », jusqu’à en perdre potentiellement sa véritable capacité de jugement individuel, la responsabilité devenant le fait de l’institution. La perversion est ici totale car il ne s’agit pas de déconditionner des « étudiants » mais bien de conditionner des individus en charge de la « violence légitime » pour qu’ils développent un anti-intellectualisme nauséabond en guise de culture commune. Lorsque les agents doivent loyauté à leur chef et à leur clan et que sont à ce point méprisés la pensée et les individualités, comment imaginer la liberté et la justice ?
C’est la question que pose, in fine, et à son corps défendant, l’allocution aux Français d’Emmanuel Macron du 14 juin 2020. Il déclare que « La République n’effacera aucune trace de son Histoire. La République ne déboulonnera pas de statue. Nous devons plutôt lucidement regarder ensemble toute notre Histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l’Afrique en particulier, pour bâtir un présent et un avenir possible, d’une rive à l’autre de la Méditerranée avec une volonté de vérité et en aucun cas revisiter ou nier ce que nous sommes. Nous ne bâtirons pas davantage notre avenir dans le désordre. Sans ordre républicain, il n’y a ni sécurité, ni liberté. Cet ordre, ce sont les policiers et les gendarmes sur notre sol qui l’assurent. Ils sont exposés à des risques quotidiens en notre nom, c’est pourquoi ils méritent le soutien de la puissance publique et la reconnaissance de la Nation ».
Nous voyons dans ce discours les raisons mêmes de l’existence et de la persistance des actes racistes des forces de l’ordre. Tout d’abord cette déclaration produit mensonges et contradictions car la République n’a cessé d’effacer certaines traces de son histoire et continue de le faire, les exemples qui suivent peuvent en témoigner. Macron nous invite ensuite à ne pas revisiter l’histoire et donc à ne jamais remettre en cause la version officielle de la mythologie républicaine. Dans la même allocution il ira jusqu’à définir comme étant des « séparatistes » ceux qui dénoncent le racisme de la police. Enfin, que les CRS, conditionnés à la manière du Lieutenant Masson, puissent être garants d’un certain ordre est une chose, qu’ils soient garants de la liberté et de la sécurité des citoyens en est une autre car l’ordre des bourgeois républicains depuis le XIXe siècle n’est jamais le garant des libertés, de la dignité et de la sécurité (politique, sociale, économique) des catégories les plus démunies.
Deux exemples peuvent pertinemment éclairer notre propos et montrer combien Macron est approximatif en faisant du mensonge historique, une vérité républicaine.
Le premier est celui de la rafle du Vel d’Hiv le 16 juillet 1942. Il est indéniable que des policiers français ont participé à des actes de résistance et se sont mis en danger afin de ne pas collaborer avec le régime de Vichy et, au-delà, avec le régime nazi. Cependant, la rafle a bien été préparée par la Préfecture de police de Paris et plus précisément par la Direction de la Police Municipale [6], et ce sont bien des fonctionnaires de police au nombre de 9 000 qui intervinrent. « Les forces mobilisées étaient la gendarmerie, les gardes mobiles, la police judiciaire, la police des renseignements généraux, la police de la voie publique et même des élèves de l’école de police » [7]. La police est-elle alors antisémite ? Répondre négativement est de fait laver de tout soupçon l’institution et rendre caduque toute tentative de réparation juridique. La stratégie qui mènera à retrouver l’unité nationale après-guerre, ne peut nous faire oublier que ce sont des êtres humains, des « policiers » qui, en 1942, sont allés chercher, chez eux, des Juifs, violant leur intimité, parfois saccageant leur bien et leur vie, afin de les rassembler au Vel d’Hiv ou à Drancy avant qu’ils ne soient déportés vers des camps de concentration et d’extermination. Maurice Rajsfus, qui lui-même fut raflé, rappelle, évoquant les policiers, que « tous ont participé aux rafles quand ils étaient requis. Pratiquement pas un seul n’a démissionné. Si la police française ne s’était pas mise aux ordres, jamais il y aurait eu autant de dégâts » [8].
Le second événement est celui qui a trait à la Guerre d’Algérie. Le 17 octobre 1961, les Algériens de Paris organisent une manifestation non autorisée. Le Préfet de police est le célèbre Maurice Papon de triste mémoire. La répression policière est alors terrible. Nous ne connaissons, à ce jour, toujours pas le nombre de victimes, sans doute plus de 300 [9]. Des corps seront retrouvés, flottant dans la Seine, mutilés… Aujourd’hui, la reconnaissance pleine et entière des responsabilités de l’État français et de sa police dans un crime raciste, l’un des plus graves pour ce qui concerne les pays de l’Europe occidentale depuis les années 1960, n’est toujours pas effective et le secret, peut-être la fameuse « boîte noire », continue de survivre contre les évidences démocratiques, occultant de la mémoire collective les actes indéniablement racistes des « agents du maintien de l’ordre » [10].
Peut-on, dans ces deux cas, parler d’antisémitisme et de racisme de la police en tant qu’institution ? A-t-on, oui ou non, effacé de cette mémoire les traces de la totale responsabilité des forces de l’ordre ?
DIS-MOI POUR QUI TU VOTES…
Nous terminerons avec une question sociologique plus contemporaine dans le but de mettre fin au discours qui voudrait que la police serait structurée idéologiquement à l’image de la société globale et se comporterait donc identiquement.
Les études du CEVIPOF (Centre d’études de la vie politique française, devenu le Centre de recherches politiques de Sciences Po) révèlent, mais était-ce bien nécessaire pour en être persuadé, qu’en 2015 plus de 51% des policiers et des militaires ont voté pour le Front National, faisant de ce corps de la fonction publique le corps le plus à droite [11]. Est-ce que le vote Front National, devenu Rassemblement National, a un sens ou, là également, les policiers et militaires se sont-ils conduits comme le reste de la société ? Si les citoyens avaient voté identiquement à leur « force de l’ordre », Marine Le Pen serait à la présidence de la République. Or, ce n’est pas le cas. Doit-on finir de dé-diaboliser l’extrême droite sous prétexte que les policiers, ici il ne s’agit pas que de l’institution mais également des individus citoyens, ont voté pour le FN ? Peut-être faut-il rappeler que le FN, lors de sa création, avait des connections avec des mouvements tels que Occident ou le GUD, regroupements de petites frappes fascistes qui faisaient de la « ratonnade » l’une de leurs activités militantes ? Faut-il rappeler les « jeux » de mots lepénistes à connotation raciste et antisémite pour se convaincre que la structure idéologique de ce parti est foncièrement raciste et que le vote FN, ou RN, n’est pas banal ?
Marine Le Pen, dans ses discours, vilipende l’extrême gauche et les antifas de l’Ile de Sein (quelle rigolade). Elle « oublie », en revanche, de mentionner le travail de fond des groupuscules fascistes et activistes actuels que sont les « Zouaves » [12], héritiers du GUD, ou « Génération identitaire » dont le site internet (que nous ne référencerons pas) développe des idées racistes dans un style parfaitement fascisant sur le peuple, la jeunesse, le clan (pourquoi pas le gang ou la clique ?) et l’aventure humaine. Ce sont ces racailles qui développent les discours séparatistes et défendent les actes racistes de la police. Mais de cela Macron n’a cure !
CONCLUSION
Il est donc indispensable de comprendre et de mettre en lumière le fait que la formation à la violence des « agents » d’intervention dans leur mission de maintien de l’ordre, que la structure même de nos sociétés et le mode ainsi que les rapports de production capitalistes, créent les conditions de l’existence même d’une institution aux comportements potentiellement racistes. Rappelons encore, avec Theodor W. Adorno, que la base clanique et familiale, la volonté de punir, l’affirmation de la force et de la dureté, le refus de la subjectivité, l’affirmation du caractère décadent de la société avec projection à l’envi des causes de cette décadence sur les figures de l’étranger et sur la mollesse de la démocratie à les éradiquer sont, bien articulés, au fondement des structures caractérielles des populations fascistes. Ces structures psychiques sont également celles qu’ont en commun les individus qui composent les groupes mafieux.
Il apparaît alors de la première importance de comprendre le rôle et le sens de la propagande menée par l’État et ses commis, par tout un personnel médiatique. En effet, le mensonge propagandiste sur la réalité policière met les libertés fondamentales en danger. Il est urgent de se souvenir de ce qu’écrivait Max Horkheimer à Walter Benjamin en octobre 1936 : « il est maintenant temps de mettre résolument l’accent sur l’identité des contraires, face à la dissimulation systématique de tout ce qui relie les États totalitaires avec le reste de notre présent et l’ensemble du passé » [13].
Chacun jugera donc des risques encourus en observant, telles des milices fascistes d’un autre âge, les manifestations policières nocturnes.
Nicolas Oblin et Patrick Vassort
[1] Voir le documentaire de Stéphan Krausz et Michel Démétriades, « Les combattants de l’ordre », Ovni films, 1998.
[2] Ici, il conviendrait de discuter de la question de la souffrance psychique des agents du maintien de l’ordre. La lumière est largement mise sur la difficulté de leur mission, mais on oublie évidemment trop souvent qu’elle peut aussi résulter de la conséquence de la conscience chez certains de devoir accomplir des tâches moralement, politiquement et idéologiquement insupportables (Christophe Dejours, Souffrance en France. La banalisation de l’injustice sociale, Paris, Seuil, 1998). Il n’est pas très difficile d’imaginer que le fait d’appartenir à un corps qui terrorise à l’aveugle des centaines d’individus, les gazant, les encerclant (comme des rats), les forçant à s’asseoir contre les murs, les fouillant au corps, à l’occasion les frappant, les interpelant sans raison, utilisant de manière illégale des armes risquant de les meurtrir dans leur chair et potentiellement létales… puisse pousser quelques agents au désespoir. Mais cette hypothèse, qui n’a pourtant rien d’exceptionnelle, n’est jamais développée. Comme s’il allait de soi que le conditionnement physique, psychique et technique des agents à n’agir qu’en « brutes professionnelles » les rendait à jamais étanches à tout principe de justice et d’humanité.
[3] Philippe Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Seuil, 1975.
[4] Prosper-Olivier Lissagaray, Histoire de la Commune de 1871 (1876), Paris, La Découverte, 2004.
[5] Gérard Rabinovitch, De la destructivité humaine. Fragments sur le Béhémoth, Paris, PUF, 2009, p. 42.
[6] Michaël R. Marrus et Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 635.
[7] Ibidem, p. 352.
[8] Camille Bauer, « Disparition. Maurice Rajsfus, rescapé de la Shoah et vigie des abus policiers », in L’Humanité, 15 juin 2020.
[9] Fabrice Riceputi, « La bataille pour la reconnaissance du massacre du 17 octobre 1961 continue », in Le Monde, 17 octobre 2017.
[10] Nous pourrions d’ailleurs largement évoquer les actes policiers au sein des territoires colonisés passés également pour pertes et profits exceptionnels et dont les manuels d’Histoire taisent savamment l’existence.
[11] Libération.fr, 8 janvier 2016.
[12] Pierre Plottu, « Les “Zouaves”, nouveaux petits soldats de l’extrême droite radicale », in Libération, 20 janvier 2020.
[13] Cité par Olivier Agard, Les écrits de Kracauer sur la propagande, Paris, L’Éclat, 2019, p. 16.