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SOURCE : A l'encontre
Le roi Felipe VI, intervention lors du sommet des patrons (CEOE)
Par Miguel Salas
Du lundi 15 au 25 juin, un sommet de l’association patronale CEOE (Confederación Española de Organizaciones Empresariales) a eu lieu, au cours duquel les plus importants hommes d’affaires ont présenté leurs propositions pour la reconstruction après la pandémie. Le lecteur ne rencontrera pas de surprises ni de nouvelles initiatives, mais plutôt la répétition d’idées que nous entendons depuis des années: conserver les lois qui ont fait leurs preuves (notamment la réforme du code du travail), moins d’impôts, plus de flexibilité et que l’argent public leur parvienne le plus rapidement possible et avec le moins de restrictions possibles.
Quelques exemples suffiront. Pablo Isla, de l’Inditex [groupe textile fort important, contrôlant les marques telles Zara, MassimoDutti, Bershka, etc.], a demandé que la réforme du Code du travail ne soit pas annulée et que les impôts ne soient pas augmentés: «Nous ne devons pas annuler les réformes qui se sont avérées efficaces». Le président de Ferrovial [groupe du transport coté à l’IBEX35], Rafael del Pino, a déclaré que «nous avons besoin d’un plan de relance basé sur l’orthodoxie économique, un cadre de travail stable et une politique fiscale qui n’augmente pas la pression sur les entreprises et les individus». José Miguel Guerrero, président de Confemetal [coordination du secteur de la métallurgie], a demandé au gouvernement de fournir plus d’aides et de baisser les impôts pour maintenir les entreprises ouvertes, ce qu’il considère comme «essentiel pour éviter une crise sociale suite à la crise sanitaire». Ismael Clemente, de Merlin Properties, a demandé des mesures pour libéraliser son activité, l’investissement d’actifs immobiliers. Du secteur des assurances, Antonio Huertas (Mapfre) et Pilar De Frutos (Unespa) ont insisté sur le maintien, voire l’augmentation, du soutien fiscal à l’épargne, notamment pour les plans de retraite privés. De Bankia, José Ignacio Goirigolzarri, a averti qu’imposer au secteur bancaire plus de taxes ou d’exigences qui pourraient affecter sa rentabilité «est très contre-productif».
Et pour compléter le tableau, le président de la CEOE, Antonio Garamendi, a exigé, lors de sa comparution devant la Commission de reconstruction au Congrès des députés, une plus grande flexibilité pour les entreprises, afin de mettre en place des ruptures dans les conventions collectives, permettant une plus grande mobilité fonctionnelle et géographique des travailleurs et d’augmenter la répartition annuelle irrégulière de la journée de travail et, bien sûr, un plus grand moratoire fiscal pour les entreprises. Il a déclaré: «Nous ne devons pas aller vers la nouvelle normalité, mais revenir à l’ancienne, dès que possible». Tout un programme. Rien de nouveau sous le soleil, la nouvelle normalité est simplement le retour aux anciennes recettes. Unai Sordo, secrétaire général des CCOO (commissions ouvrières), a répondu: «si le message fort de l’«élite des affaires» est d’influencer la baisse des salaires – la réforme du travail – et le manque de coresponsabilité fiscale – 75,4 milliards de recettes de moins par an – éteignons et partons».
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La crise a presque tout bouleversé et de nombreuses règles qui semblaient évidentes sont remises en question. Le FMI avertit que l’économie espagnole pourrait être l’une des plus touchées. La baisse du PIB pourrait dépasser 15%. L’inégalité, qui était déjà énorme, sera insupportable. La pauvreté est une réalité dans de nombreuses villes et dans les quartiers populaires. Même si, pendant la durée de l’ERTE (régulation temporaire de l’emploi, modifiée depuis mars 2020, pour éviter une partie des licenciements), les chiffres du chômage sont contenus, l’impact sur l’emploi sera brutal. C’est pourquoi la majorité des employeurs sont encore plus haineux et provocateurs. Leur étroitesse d’esprit et leur vision à court terme les empêchent de reconnaître que l’ampleur du désastre est telle que les choses ne peuvent pas être les mêmes, que le vrai problème, auquel ils n’ont pas de réponse, est leur difficulté en tant que classe capitaliste à faire face à un avenir qui sera différent.
Ne nous faisons pas d’illusions, c’est la lutte des classes. Il est tentant, et très trompeur, de penser que nous pouvons tous sortir de la crise ensemble, mais le point de départ n’est pas le même, pas plus que les intérêts. La majorité d’entre nous n’ont que la force de travail, qu’elle soit manuelle ou intellectuelle, qu’elle soit salariée ou indépendante, n’a presque pas d’épargne, sinon une hypothèque ou un loyer élevé; tandis que quelques-uns ont de grandes fortunes, qui ont augmenté de façon exponentielle ces derniers mois (au cours de ces trois derniers mois, les 23 personnes les plus opulentes du royaume ont augmenté leur richesse de 16%). Pendant ce temps, parmi la population non riche, 3’800’000 emplois ont été perdus et 3’400’000 autres continuent à s’accrocher au fil fragile de l’ERTE. La plupart ont appris qu’il faut renforcer le secteur public, fondamental et commun à tous. Pour d’autres, c’est une occasion de continuer à accumuler, de sorte que ce qui leur appartient, le privé, s’impose au collectif. Les employeurs le présentent comme si c’était le seul moyen de créer de l’emploi ou de la richesse, alors que l’emploi et la richesse ne sont que le produit du travail et que ce qu’ils font n’est autre que s’approprier une partie de ce travail.
Entre tension et accords
Le sommet de la CEOE a montré que pour l’instant, la tension générée par la droite et les besoins immédiats de la classe capitaliste ne coïncident pas. Bien que le gouvernement (PSOE en coalition, entre autres avec Unidas-Podemos) ait fait l’objet de certaines critiques, le ton des hommes d’affaires était en général différent de celui du PP (parti Populaire) et de Vox (extrême-droite). La plupart ont reconnu que les ERTE ont été une bonne décision, que les prêts de l’ICO (Institut de credit officiel) ont facilité l’obtention de liquidités. Certains ont été jusqu’à reconnaître que le revenu minimum a été positif, c’est pourquoi ils préfèrent maintenant un accord qui peut apporter la paix sociale et, surtout, recevoir l’argent de l’État, en particulier celui qui peut venir de l’UE. C’est ce qui détermine leur position.
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Les accords de prolongation des ERTE jusqu’au 30 septembre et la déclaration en cours de négociation au sein de la Commission de reconstruction du Congrès des députés vont dans ce sens. Mais la question décisive est le contenu des pactes et/ou accords. Les hommes d’affaires se posaient des questions et se demandaient ce qui, selon chaque intérêt particulier, pouvait aboutir à un dénominateur commun dans le cadre du sommet de la CEOE . A titre d’exemple, voici les titres d’un journal économique bien connu: «Les entreprises de construction demandent un plan d’infrastructure avec l’initiative privée» (c’est-à-dire de l’argent public géré par des entreprises privées) «Les promoteurs demandent des garanties publiques pour l’accès des jeunes au logement» (idem) «4250 millions pour sauver le tourisme» (L’argent offert par le gouvernement pour le secteur).
L’équation consistant à demander de l’argent à l’État et à l’UE n’est pas compatible avec l’exigence de ne pas augmenter les impôts des plus riches. Qui paie? De nouvelles mesures d’austérité? Une dette insupportable? Les mêmes dirigeants de la droite et des associations patronales qui s’attaquaient à la dette publique, qui demandaient un «moins d’État», qui réclamaient que l’économie soit portée par l’initiative privée, ont aujourd’hui désespérément besoin d’argent public, mais pour continuer à maintenir leurs entreprises et leurs profits.
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Les accords seront utiles s’ils répondent aux besoins de la majorité populaire, et la difficulté est d’imaginer des accords qui concilient les intérêts de la population active avec ceux des capitalistes, ou les intérêts de la gauche avec ceux de la droite. C’est une leçon de base issue de la lutte des classes. Et ce que vous entendez ne semble pas très bon. Il semble qu’il n’y aura pas d’impôts sur les grandes fortunes et pas d’abrogation de la réforme du travail, deux des questions politiques et sociales essentielles.
Il est fort probable que la droite et les intérêts des patrons combineront les deux politiques, la tension pour diviser et affaiblir le gouvernement et pour mobiliser les secteurs les plus réactionnaires, et la demande d’accords pour court-circuiter le gouvernement et les syndicats afin de tirer le meilleur parti de l’argent public. La seule façon de briser cette combinaison diabolique est de se mobiliser socialement pour exiger ce qui est nécessaire pour la majorité populaire: un plan de sauvetage social, des investissements dans les soins de santé et l’éducation publique, un revenu de base universel, un logement décent, des droits et des libertés. Un programme de réponse à la crise que nous avons déjà exposé dans Sin Permiso.
Alors que les capitalistes pillent l’État
La crise a obligé les gouvernements et l’UE à consacrer des milliards à la résolution de la situation de crise. La propagande vend le discours selon lequel leurs propositions sont faites pour aider la population la plus vulnérable, mais ce n’est qu’une petite partie de la vérité. L’essentiel de ces contributions de plusieurs milliards de dollars sera consacré à sauver les entreprises et à injecter des ressources dans le système financier, c’est-à-dire, à nouveau, dans les banques. Il a souvent été dit, lors du sommet de la CEOE, que seule l’initiative privée peut créer des emplois, que les entreprises sont essentielles pour surmonter la crise (les entreprises le sont, mais pas nécessairement les privées) et c’est pourquoi elles considèrent comme normal et évident qu’elles soient les dépositaires de l’effort économique général de la société, exprimé dans les crédits ou la dette publique.
C’est ainsi que fonctionne le système capitaliste. Lors de la crise de 2008, les banques ont été sauvées et doivent encore quelque 60 milliards, que personne ne leur réclame et qui font partie de la dette de toute la nation. Directement ou indirectement, la même chose se fait encore.
L’ancien conseiller municipal d’Ahora Madrid [parti de gauche formé en 2025 et dont la figure était Manuela Carmena], Carlos Sánchez Matos, a publié un article dans lequel il explique le fonctionnement des banques avec l’argent que la BCE (Banque centrale) prête à un taux d’intérêt nul et qui est ensuite facturé jusqu’à 4,5% pour les prêts de l’ICO, sans pratiquement aucun risque puisque l’État couvre 80% du risque. Sanchez Matos estime qu’en cinq ans, la banque peut obtenir environ 13 milliards de bénéfices grâce à la ligne de garanties aux entreprises. Ce n’est pas sans raison que le leader de l’UGT, Pepe Álvarez, a appelé à la création d’une banque publique qui permettrait d’économiser de l’argent et d’aider les entreprises et les citoyens à moindre coût.
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Il n’y a pas que le secteur bancaire, il peut aussi s’agir de la construction, des secteurs industriels ou des transnationales qui obtiennent des financements, voire des revenus directement non remboursables, ou de ceux qui sont très touchés par le confinement, comme le tourisme. La chose normale (si l’on peut dire quelque chose comme cela dans le système capitaliste) serait que l’argent public destiné aux entreprises ou aux secteurs productifs soit restitué ou que l’État participe à certaines entreprises. Il ne s’agit pas d’exproprier les grands capitalistes, ni de nationaliser les banques (tout viendra), mais de mesures de base pour défendre l’économie du pays. Elles ne doivent pas être subordonnées aux intérêts privés des capitalistes.
Pepe Álvarez (UGT) a donné l’exemple de la situation d’Alcoa, l’entreprise d’aluminium qui veut fermer à Lugo (Galice): «Il ne nous vient pas à l’esprit que nous ne serons pas présents dans la transformation de l’aluminium. C’est un élément fondamental pour les emballages alimentaires, les voitures», ajoutant que c’est l’Etat qui devrait définir ces secteurs stratégiques afin de pouvoir «directement ou indirectement» maintenir un produit stratégique essentiel.
Dans ce débat, il y a aussi un autre problème essentiel. Pendant des années, le néolibéralisme a développé une intense campagne de réduction de l’État, essentiellement pour que les sphères économiques publiques passent dans des mains privées. Cela a beaucoup progressé, le privé s’est approprié une bonne partie du patrimoine de l’État. Rappelons que Telefónica, certaines banques et caisses d’épargne ont été privatisées. Le secteur privé s’est fortement impliqué dans la santé et de l’éducation publique. Mais cette crise montre que le capitalisme ne peut pas survivre sans faire de la lèche à l’État, c’est-à-dire en abusant de la société dans son ensemble pour son propre bénéfice. La plupart des secteurs productifs ont maintenant besoin de l’argent public pour continuer, et si les choses ne changent pas, ce seront les capitalistes qui pilleront l’argent public au détriment de toute la population.
Ce qui s’est clairement révélé comme un mensonge, c’est que le capital continuera à se reproduire sans l’intervention constante de l’État. Abandonné au strict marché libre, le capital aurait déjà perdu une grande partie de sa valeur à cause d’un cortège de faillites et de pertes importantes. En ce sens, cette crise met à nu le système capitaliste, montre son caractère parasitaire et nous force à réfléchir et à rassembler les forces pour aller vers un système nouveau et différent.
Des souhaits à la lutte
L’impact de la pandémie a été si brutal qu’au début, il semblait possible d’imposer les idées de base consistant à renforcer le secteur public, à améliorer la vie des gens et dans les villes, à consacrer des efforts au bien commun de tous. Mais la réalité des faits et ce que ce sommet de la CEOE montre, c’est que les puissants vont suivre la même voie que celle qui nous a conduits jusqu’ici. C’est pourquoi nous devons réagir, passer de la volonté à la mobilisation, pour exiger ce que la majorité réclame: du travail et des conditions décentes; un revenu de base; des investissements dans la santé et l’éducation; des droits et des libertés. Et si tout cela est en opposition avec le système et le régime politique, alors nous devons en prendre note et nous battre pour le changer.
Deux éléments, qui ne sont pas les seuls, sont au centre du débat: l’abrogation ou non de la réforme du travail et la question de savoir si les plus riches doivent payer plus d’impôts. La réforme du travail est l’une des raisons de la baisse des salaires dans le royaume d’Espagne et de la précarité de la situation. Son maintien signifie que de nombreuses entreprises peuvent baisser les salaires compte tenu de la situation de crise et licencier plus facilement. Le maintien de la réforme signifie également que dans des cas comme ceux de Nissan [fermeture du site de Barcelone, en zone franche] ou d’Alcoa, une décision juridique n’est pas nécessaire pour un dossier réglementaire et permet aux transnationales de quitter plus facilement le pays dans des conditions bien meilleures pour les capitalistes. Il est urgent de l’abroger, comme l’a promis l’actuel gouvernement de coalition.
En écoutant le syndicat des techniciens du ministère des Finances (Gestha), il s’avère que l’on pourrait accroître de beaucoup les recettes. Dans un rapport récent, ils expliquent que les entreprises ont payé 47% d’impôts en moins en 2019, soit 21 milliards d’euros de moins qu’en 2007, année où les bénéfices des entreprises ont augmenté de 23,3%. Et c’est parce qu’il existe un régime d’exonération que le gouvernement pourrait abroger ce type de mesure. Selon le Gestha, la perception de l’impôt sur les sociétés est la seule qui n’a pas été récupérée depuis 2007, puisque la loi qui la régit a permis aux grandes entreprises d’éviter de payer 24’375 millions au cours des quatre dernières années. Le rapport indique également que les entreprises évitent les impôts grâce aux dividendes et aux plus-values qui ne sont pas soumis à l’impôt sur les sociétés. Et nous parlons d’un montant total de 466’990 millions d’euros.
Pour transformer les souhaits en réalité, une mobilisation est nécessaire. Le sommet de la CEOE montre que les capitalistes sont mobilisés, tout comme la droite. Les classes laborieuses, les millions de personnes touchées et/ou menacées par le chômage, ceux qui doivent recourir à l’entraide pour se nourrir ou se loger, les jeunes, à qui l’on refuse à nouveau un avenir, doivent montrer leur potentiel et leur capacité de réaction.
Le 20 juin, eurent lieu les premières mobilisations dans tout le pays, appelées par environ 500 organisations qui demandent un plan social plus énergique et plus exigeant que celui mis en œuvre par le gouvernement. Le 27 juin, les syndicats ont appelé à diverses actions et rassemblements. Les travailleurs de la santé manifestent chaque semaine, comme ceux de Nissan et d’Alcoa et de nombreuses autres entreprises, pour défendre leur travail. Si la nouvelle normalité ne doit pas être la recette du passé, il faudra se battre et sortir dans la rue. (Article publié sur le site Sin Permiso, le 27 juin 2020; traduction rédaction A l’Encontre)