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SOURCE : Reporterre
C’est un nouvel acteur qui bouscule le petit monde ferroviaire : Railcoop a choisi une gouvernance coopérative et de relancer des lignes abandonnées par la SNCF, plutôt que de se tourner vers celles considérées comme rentables. Une initiative permise par l’ouverture à la concurrence du ferroviaire prévue pour la fin de l’année.
La proposition est inattendue : dans un monde ferroviaire qui demande des investissements aussi lourds que des locomotives, un poids léger a décidé de tenter de se faire une place. Railcoop, comme son nom l’indique, est une société coopérative ferroviaire. Si les amoureux du train l’avaient rêvée, ils n’auraient sans doute pas fait mieux. Elle compte réinvestir plusieurs pans de l’offre ferroviaire peu à peu délaissée par la SNCF et les politiques publiques ces dernières années : trains entre régions permettant d’éviter la centralisation parisienne, fret et train de nuit.
Ses premiers trains de fret pourraient rouler dès 2021, et surtout, la première ligne voyageurs devrait s’ouvrir mi-2022, entre Bordeaux et Lyon. Tout un symbole, alors que la liaison avait été abandonnée par la SNCF en 2014. Le projet est permis par l’ouverture totale à la concurrence du trafic ferroviaire, prévue pour fin 2020. « C’est l’occasion de proposer un modèle alternatif, estime Alexandra Debaisieux, directrice générale déléguée de la société. Nous partons du principe que le ferroviaire est un maillon important de la transition énergétique. »
L’idée a germé début 2019. À la manœuvre, un conseil d’administration rassemblant des personnes issues de l’économie sociale et solidaire, de l’associatif, un ancien cheminot, ou encore des consultants sur les questions de climat et de mobilité (mais seulement des hommes…). Les compétences se sont associées, pour aboutir à la création d’une Scic (société coopérative d’intérêt collectif). Dans cette coopérative, une personne égale une voix, quel que soit le nombre de parts de la société qu’elle possède.
Six trains par jour et de nombreux services
Pour choisir le trajet Bordeaux-Lyon, « on a regardé les flux aériens de voyageurs de province à province, explique encore la directrice déléguée. Puis on a croisé avec les données sur l’augmentation du trafic routier ». Leurs études de marché prédisent que la ligne, malgré un temps de trajet annoncé de 6 h 47, a un potentiel de 690.000 voyageurs par an et sera rentable. « Certes, la SNCF l’a fermée en disant qu’il n’y avait plus assez de voyageurs. Mais elle n’investissait plus. Si vous ne proposez pas un service performant en matière de confort et de ponctualité, vous découragez les gens. »Railcoop veut à l’inverse proposer des wagons confortables, de la place pour stocker vélos, poussettes ou skis, ainsi que des partenariats avec des événements dans les territoires traversés, comme les festivals. Le prix de base a été fixé à 38 euros. Ainsi, le trajet serait plus long qu’en prenant le TGV avec une correspondance par Paris… Mais coûterait bien moins cher. Six trains circuleraient chaque jour, soit trois dans chaque sens.
Railcoop a ainsi notifié à l’Autorité de régulation des transports, le 9 juin dernier, son intention d’opérer sur cette ligne. Ce n’est qu’une des nombreuses étapes qui restent à franchir. La coopérative doit, pour faire rouler ses trains, obtenir un certificat de sécurité et une licence ferroviaire, qui ne sera décernée que si elle atteint au moins 1,5 million d’euros de capital social d’ici la fin de l’année. La société s’est donc lancée dans une campagne de recrutement de nouveaux sociétaires. Particuliers, associations, entreprises, collectivités locales peuvent acquérir des parts sociales, chacune coûtant 100 €. Le 19 juin, 785 sociétaires avaient déjà été recrutés. « Au vu de la montée en puissance du capital social, je pense que d’ici la fin de l’année on aura dépassé les 1,5 million nécessaires », se réjouit Alexandra Debaisieux.
Et puis, il faut aussi trouver des trains — du « matériel roulant », comme on dit dans le milieu. Railcoop en a besoin de six, qui valent 11 millions d’euros chacun. Difficile de rassembler 66 millions d’euros, la coopérative cherche donc une société capable de les acheter, pour ensuite les leur louer. « On est en discussion avec deux loueurs, explique la directrice déléguée. Avant la crise du Covid, ils demandaient des garanties accessibles. Désormais, nous sommes en discussion avec le cabinet du secrétaire d’État aux Transports et avec des régions pour voir s’ils peuvent se porter garants sur le matériel. »
L’ouverture à la concurrence, sujet de débats
Le projet paraît donc en bonne voie et il convainc écolos et associations de voyageurs, telle que la Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports). « C’est une bonne nouvelle, la radiale Lyon-Bordeaux manque vraiment et trop de personnes sont poussées à prendre l’avion », approuve Anne Lassman-Trappier, chargée des questions de transport à France Nature Environnement. « Railcoop va démontrer qu’il y a un modèle économique pour le ferroviaire, et tordre le cou à l’idée que le train est un gouffre économique qui ne survit que grâce à l’argent public », espère Valentin Desfontaines, responsable du dossier mobilité au Réseau Action Climat.
Côté CGT cheminots, où l’ouverture à la concurrence a été fortement combattue, l’accueil est plus mitigé. Localement, les cheminots de la CGT Bordeaux, qui s’étaient opposés à l’abandon de la ligne, ne cachent pas une petite amertume et ont publié un communiqué. « Si un opérateur ferroviaire se positionne sur cette liaison Bordeaux-Lyon, c’est qu’il y a un besoin, c’est ce qu’on a toujours dit, se félicite David Plagès, de la CGT cheminots régionale. Mais si l’ouverture à la concurrence était la solution, cela se saurait. Sur le fret, cela n’a pas fonctionné. » Il aurait préféré que ce soit la SNCF qui rouvre la ligne, avec un véritable investissement dans la rénovation des voies vieillissantes. « Il n’y aura pas le report tant souhaité de la voiture vers le train s’il n’y a pas d’amélioration de la ligne, pour que le train puisse aller plus vite », poursuit-il.
« Ce projet apporte plusieurs choses positives, reconnaît au niveau national le secrétaire général de la CGT cheminot, Laurent Brun. Ils veulent faire avec les gens des territoires, partent des besoins des voyageurs, affichent que les bénéfices seront totalement réinvestis… C’est rafraîchissant ! »
« Mais j’ai quand même de gros doutes sur la faisabilité, estime cet expert du rail. Par exemple, ils disent que la SNCF a un fonctionnement trop lourd et qu’ils feront mieux, qu’ils vont doubler le niveau d’utilisation des locomotives. Mais, dans ce cas, soit ils vont enchaîner les pannes, soit le matériel va vieillir à vitesse grand V. Je les trouve aussi ambitieux sur la fréquentation annoncée. »
Surtout, c’est la question du financement qui interpelle le syndicaliste cheminot. Le financement prévoit que les parts sociales achetées par des particuliers ne suffiront pas, il faudra des aides publiques. « Railcoop va devoir frapper à toutes les portes — villes, départements, régions — et s’ils attribuent des subventions, on se demande alors pourquoi ils ne les ont pas données avant pour éviter que la ligne soit fermée par la SNCF ? » « Je suis étonné de la façon dont les politiques se saisissent du sujet dans ce contexte d’ouverture à la concurrence, alors qu’ils ne l’avaient pas fait avant », enchérit David Plagès depuis Bordeaux. « J’y vois un dogme. »
« Prendre des parts de marché à la voiture individuelle, à l’autocar, à l’avion »
Railcoop, de son côté, dit proposer aux collectivités qui le souhaitent un autre modèle que celui de la subvention, via l’achat de parts sociales de la coopérative. « Les collectivités locales seront copropriétaires de l’outil, on coconstruit le service ferroviaire en associant les usagers et les territoires », explique Alexandra Debaisieux. Au moins une collectivité d’importance pourrait s’engager.
Par ailleurs, la coopérative rappelle, dans ce contexte d’ouverture du rail à la concurrence, qu’elle a fait le choix de ne pas se positionner sur des lignes déjà exploitées par la SNCF. [1] Elle veut plutôt ajouter de nouvelles liaisons. « Notre positionnement n’est pas de concurrencer la SNCF, mais de venir compléter le maillage ferroviaire. Notre objectif est de prendre des parts de marché à la voiture individuelle, à l’autocar, à l’avion », assure Alexandra Debaisieux.
Le parcours de ce nouvel acteur, original dans le monde du rail, devrait être suivi de près. Et quel que soit le résultat, « l’intérêt est que ça fait débattre autour de l’enjeu de relancer le train, et cela va obliger les politiques à se positionner, à dire s’ils croient au rail », ajoute Laurent Brun, de la CGT cheminots, qui n’exclut pas de proposer une rencontre à la coopérative.