AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : Contretemps
Intellectuel marxiste prolifique et militant révolutionnaire infatigable, longtemps dirigeant de la Quatrième internationale, Ernest Mandel est mort il y a exactement 25 ans.
Loin du « marxisme occidental » analysé par Perry Anderson, Mandel avait su et voulu lier la recherche scientifique la plus rigoureuse, en particulier économique, et l’action politique du côté des exploité·es et des opprimé·es. Ainsi a-t-il investi une énergie considérable, tout au long de sa vie, à la reconstruction d’une internationale communiste et révolutionnaire, en opposition aux partis communistes officiels qui, s’ils prétendaient se situer dans la continuité de la Révolution russe et comptaient dans leurs rangs nombre de militants communistes sincères, en avaient dénaturé l’héritage émancipateur.
Il partageait avec Daniel Bensaïd un rapport au marxisme que ce dernier a pu parfois caractériser comme « dogmatisme ouvert », considérant le marxisme comme une méthode irremplaçable d’analyse des sociétés mais cherchant sans cesse à le remettre sur le métier de l’analyse concrète, ne se refusant pas à pointer les limites de Marx. De même partageaient-ils un internationalisme militant, qui amena Ernest Mandel à proposer quantité d’analyses et à intervenir directemnt dans de nombreux pays où les peuples se soulevaient et où se cherchait une voie vers le socialisme.
Son héritage intellectuel est immense, qu’il s’agisse de l’analyse du capitalisme et de ses transformations, de ses crises et de son instabilité fondamentale, de la formation de la théorie économique de Marx et de sa méthode, de la grève générale et du contrôle ouvrier, de la transition vers le communisme et du problème de la bureaucratie, de la théorie du parti révolutionnaire et du front unique, des mutations de l’impérialisme ou encore du fascisme.
On pourra consulter de nombreux textes en français d’Ernest Mandel (dont certains figurent plus bas) sur le site qui lui est dédié, et d’autres encore en anglais sur le site de l’IIRE ou encore sur Marxists.org. On pourra également visionner ce documentaire qui lui est consacré :
***
Biographie
Ernest Mandel est né en 1923 à Francfort dans une famille révolutionnaire communiste. Son père était membre du Spartakus Bund qui lutté aux côtés de Rosa Luxemburg et qui, dans les années 1930, s’est activement opposé au stalinisme et à la montée du fascisme. C’est dans cette atmosphère, alors qu’il était «Minuit dans le siècle », que le jeune Mandel a grandi. À 17 ans, il rejoint les rangs de la Quatrième Internationale en Belgique, où sa famille s’était exilée.
Il participe à la Résistance contre la guerre et l’occupation nazie, en défendant un point de vue internationaliste courageux (à l’encontre des courants bourgeois et staliniens) allant jusqu’à diffuser des tracts révolutionnaires parmi les soldats allemands. Avec Abraham Léon, il gagne les sionistes de gauche de l’Hashomer Hatzaïr (Jeune Garde) – dont l’organisation avait rompu avec le PC après le Pacte Hitler-Staline – à la cause du marxisme-révolutionnaire. Comme militant du PSR (Parti socialiste révolutionnaire, précurseur du POS), Ernest Mandel construit des noyaux révolutionnaires parmi les mineurs et les ouvriers métallurgistes de Charleroi et de Liège.
À plusieurs reprises, il est arrêté par l’occupant, mais il s’échappe à chaque fois. A la fin de la guerre, il est déporté vers les camps de travail en Allemagne. Lorsque la défaite du nazisme approche, il s’échappe à nouveau (en avril 1945) et rejoint ses camarades en Belgique.
Après la guerre, il s’engage dans le mouvement syndical. Il devient l’un des principaux conseillers d’André Renard (le secrétaire général adjoint de la FGTB, qui dirigeait la gauche syndicale). Tous deux s’étaient rencontrés à la JGS liégeoise et dans la Résistance antifasciste, où Renard avait joué un rôle dirigeant.
A la FGTB, Ernest Mandel est l’un des instigateurs du programme «Holdings et Démocratie économique» et du plan de réformes structurelles anticapitalistes. Parallèlement, il participe à la création du journal La Gauche qui rassemble toute la gauche du PSB, et dont il est le rédacteur en chef. Cette activité du mouvement syndical prépare la grève générale de décembre 1960-janvier 1961 contre la Loi Unique du Premier ministre Gaston Eyskens.
En 1964, il est exclu – comme toute la gauche anticapitaliste – du PSB qui participait au gouvernement avec le CVP et avait fait passer progressivement toutes les mesures contenues dans la Loi Unique, assorties de lois antigrèves. Ernest Mandel est alors très actif dans la solidarité avec les Révolutions anti-coloniales : Algérie, Cuba, etc. Che Guevara l’appelle à Cuba pour qu’il participe au débat sur l’organisation économique de la Révolution cubaine (1963-64)
L’engagement internationaliste était pour Ernest Mandel une seconde nature. Dans les camps nazis, il prônait ouvertement la solidarité entre les travailleurs allemands, français, belges et anglais contre le grand capital. En 1949, il avait rejoint les brigades de soutien au peuple yougoslave et à sa révolution, que Staline menaçait d’écraser.
Il saisit toute l’importante de l’année 1968, tournant dans la situation mondiale (Mai-juin 68 en France, Printemps de Prague, offensive du Têt au Vietnam). Le gouvernement français lui interdit d’entrer sur son territoire. On lui refuse les visas pour les Etats-Unis, les deux Allemagne, l’Australie, la Nouvelle-Zélande…
En Belgique, Ernest Mandel est l’un des fondateurs en 1971 de la LRT (Ligue révolutionnaire des travailleurs, qui deviendra le POS, puis la LCR et à présent la Gauche anticapitaliste), résultat de la fusion de la gauche anticapitaliste du mouvement ouvrier socialiste et de nouveaux groupes radicalisés dans la jeunesse. Jusqu’à sa mort , il a activement participé à la direction du POS.
Ernest Mandel a consacré toute son existence à l’élaboration d’un marxisme radical et ouvert. Son Traité d’économie marxiste a été l’objet d’une très large diffusion dès 1962. Il a été traduit dans plusieurs langues et eut une grande influence dans la formation d’une nouvelle génération d’économistes critiques. Parmi les oeuvres les plus importantes, citons La formation de la pensée économique de Karl Marx, le commentaire de l’édition Pélican du Capital, l’ouvrage sur Les ondes longues du développement capitaliste et surtout Le troisième âge du capitalisme.
Cette dernière étude constitue, selon Perry Anderson, « la première analyse théorique du développement global du mode de production capitaliste depuis la Seconde guerre mondiale, à partir des catégories marxistes classiques ». Citons également The meaning of World War Two, Sur le Fascisme, Contrôle ouvrier, conseils ouvriers et autogestion, Critique de l’Eurocommunisme, De la Commune à Mai 68, etc.
Plus récemment, il a écrit Où va l’URSS de Gorbatchev ? et surtout Power and Money. Il a également rédigé une masse impressionnante d’articles pour la presse des sections de la IVe Internationale (Mandel parlait et écrivait couramment plusieurs langues), d’analyses de lettres et autres des documents politiques.
En 1989-1990, il caressa de grands espoirs pour les développements politiques en Allemagne. Il prend part aux événements en Europe de l’Est en poursuivant la lutte de l’Opposition de gauche au stalinisme et au capitalisme. Il participe au débat de la direction du PCUS sur la signification politique du combat de Trotsky.
Malgré les défaites en Europe de l’Est et la situation difficile du mouvement ouvrier mondial, Ernest Mandel parcourt les cinq continents pour y défendre ses idées sans sectarisme, avec optimisme et conviction. A plusieurs endroits, il contribue à jeter des ponts entre les différents courants de gauche et à consolider de nouvelles alliances. Il en gagna la conviction que malgré les difficultés de la situation mondiale, la gauche est porteuse de nouveaux espoirs pour une marxisme critique, non-dogmatique, conséquent et radical. Les développements politiques au Brésil, aux Philippines, au Moyen-Orient, en Europe Occidentale, etc., ont renforcé cette conviction.
Mais son activité sans relâche a pesé sur sa santé. Il a très rarement accepté de prendre du repos. Ce n’est que les derniers mois de sa vie que que l’aggravation de son état de santé l’a contraint à restreindre ses activités.
Le 20 juillet 1995, une brutale crise cardiaque a mis fin à la vie de ce révolutionnaire pleinement impliqué dans les combats de l’humanité. En juin 1995, il exprimait encore son enthousiasme, lors du XIVe Congrès de la IVe Internationale, pour les potentialités qui s’ouvrent devant notre Internationale plus que jamais active dans la recherche de nouvelles formes d’organisation pour la gauche anticapitaliste sur le plan politique et internationale.
Alain Tondeur
***
Quelques textes sur Ernest Mandel
Le marxisme d’Ernest Mandel, par Daniel Bensaïd
L’humanisme révolutionnaire d’Ernest Mandel, par
Les conceptions d’Ernest Mandel sur la question de la transition au socialisme, par Catherine Samary
L’actualité d’Ernest Mandel, par
L’économie d’Ernest Mandel, hier et aujourd’hui, par Michel Husson
Introduction critique à l’Introduction au marxisme d’Ernest Mandel, par Daniel Bensaïd
Ernest Mandel et la pulsation de l’histoire, par Francisco Louçã
À la mémoire d’Ernest Mandel, par Livio Maitan
La théorie des ondes longues et la crise du capitalisme contemporain, par Michel Husson
Marx, Mandel et les limites naturelles, par Daniel Tanuro
L’héritage théorique d’Ernest Mandel, par Daniel Bensaïd