Depuis plusieurs semaines, la direction de la RATP a fait le choix d’une répression inédite contre les élu-e-s syndicaux-ales impliqué-e-s dans la journée de grève du 13 septembre 2019. Le résultat de cette politique supposément intimidante a été au contraire de renforcer la détermination des salarié-e-s, syndiqué-e-s ou non, à combattre le projet de réforme des retraites ainsi que la casse de leur statut et la mise en concurrence des transports en commun en région parisienne. Leur détermination s’est exprimée dans les rassemblements de solidarité avec leurs collègues visés par des sanctions, par exemple le 12 novembre en soutien à Ahmed Berrahal où nous avons filmé plusieurs interviews disponibles ici.
Ainsi, lors de ce rassemblement de soutien devant le dépôt de bus Flandre à Pantin, les prises de parole de collègues et d’élu-e-s syndicaux-ales, ainsi que de syndicalistes d’autres secteurs et de militant-e-s politiques venu-e-s affirmer leur solidarité, ont été suivies d’un envahissement du département des ressources humaines. Cette action marquante ainsi que l’afflux important au rassemblement ont contribué à faire reculer la direction : alors qu’elle menaçait carrément de révoquer Ahmed, la sanction retenue au final a consisté en un seul jour de mise à pied. Et en même temps, la direction peine à justifier les nombreuses irrégularités constatées par Ahmed et les autres élus pendant leurs contrôles de sécurité, ce qui ne manque pas d’attiser la colère. À en juger par l’atmosphère des rassemblements, on peut d’ores et déjà être sûr-e-s que la grève sera forte à partir du 5 décembre 2019 et paralysera Paris.
La journée du 13 septembre a constitué une formidable démonstration de force qui a permis aux salarié-e-s de nombreux secteurs de relever la tête et de comprendre ceci : c’est de nous tou-te-s que dépend la défense du système des retraites ainsi que la préservation et l’extension des éléments de justice sociale conquis par les générations passées. C’est également l’action du 13 septembre qui a permis de lancer la perspective d’une grève illimitée à partir du 5 décembre contre le projet de réforme des retraites. Cette date, d’abord imposée par les salarié-e-s et les militant-e-s syndicaux-ales de terrain à la RATP, a depuis été rejointe par des appels à la grève reconductible de nombreux secteurs puissamment organisés de la classe ouvrière comme la SNCF, EDF, les raffineries, les dockers de Marseille et du Havre ! D’autres secteurs, comme les hôpitaux, l’aviation et l’Éducation nationale, ont aussi lié leurs propres luttes à cette date et au combat d’ensemble contre la politique de casse sociale du gouvernement. Dans ces conditions, une grève générale illimitée, qui paralyserait le pays jusqu’à ce que Macron à genoux abandonne sa réforme semble tout à fait possible à partir du 5 décembre. Une crise de cette ampleur pourrait alors laisser la porte ouverte à toutes les possibilités, y compris la démission du gouvernement voire de Macron lui-même. Néanmoins, il faut voir que les directions syndicales, sous cette pression de la base, ont repris la date, mais pour appeler de façon beaucoup trop vague à une « première journée de grève » ; si elles sont parfois allées jusqu’à reprendre l’idée de la reconductible, c’est en même temps pour se décharger de leur responsabilité, qui consisterait à donner le signal clair d’une grève dure et déterminée sur la durée pour entraîner un maximum de secteurs : là, leur appel à la reconductible, c’est au contraire une façon de dire que « les salarié-e-s décideront et puis on verra »…
Face à la désinformation et à la répression, le rôle des salarié-e-s de la RATP est d’abord de s’organiser pour pouvoir diriger elles/eux-mêmes leur grève. Un comité central (qui représente tous les services) de la grève est indispensable pour résister aux pressions et aux tentatives de sabotage de la hiérarchie et des bureaucrates syndicaux. En élisant sur tous leurs lieux de travail des délégué-e-s au comité central qui ont leur confiance, en demandant des comptes à ces délégué-e-s tous les matins en assemblée générale, les grévistes auront la garantie de contrôler eux-mêmes toutes les décisions importantes. Ces assemblées générales doivent être ouvertes aux syndiqué-e-s comme aux non-syndiqué-e-s, pour que les grévistes puissent prendre en main eux/elles-mêmes leur grève. Si les grévistes de la RATP réussissent à mettre en place un tel comité central, ce sera un exemple à imiter pour les autres secteurs en lutte, qui pourront ainsi s’organiser efficacement à leur tour pour mener la grève côte à côte.
En effet, les salarié-e-s de la RATP ne pourront pas sauver leur régime spécial de retraite en restant isolé-e-s (ni d’ailleurs combattre efficacement la répression !). L’issue de ce combat dépend de l’unité de notre classe, de sa capacité à se battre contre le projet de réforme dans son ensemble. Il est donc important de tisser des liens avec les autres secteurs en lutte pour pouvoir aller jusqu’au bout. Il est particulièrement important de formuler des revendications qui unifient notre classe, comme le retrait pur et simple du projet de retraite et l’amélioration du système existant pour tout le monde, par exemple avec le départ à la retraite à 60 ans (55 pour les métiers pénibles) et le taux de retraite à 100% du meilleur salaire. Le contenu des revendications adoptées par les grévistes sera décisif : il faudra trouver une manière d’articuler les préoccupations spécifiques, par exemple sur l’ouverture à la concurrence et la casse du statut, à des questions plus générales qui parlent à l’ensemble des travailleur-e-s, pour pouvoir rallier d’autres secteurs au drapeau de la grève jusqu’au retrait.
Enfin, les grévistes de tous les secteurs devront éprouver leur unité et leur force dans l’action. On peut s’attendre à des manifestations importantes malgré l’absence de transports en commun : dans celles-ci, la visibilité des secteurs les plus combatifs comme la RATP sera importante pour entraîner les autres dans la grève. En dehors des jours de manifestation, il y aura intérêt à envoyer des délégations auprès des salarié-e-s d’autres entreprises pour tenter d’élargir la grève, notamment dans les secteurs plus précarisés et/ou moins organisés, dans lesquels les salarié-e-s peuvent avoir besoin de soutien extérieur pour se décider au combat. Il sera aussi intéressant d’organiser des actions qui concrétisent les valeurs de solidarité au cœur du système des retraites et du service public des transports, par exemple par des opérations « transports gratuits » organisées conjointement avec les usager-e-s grévistes.
Alors que de nombreux soulèvements populaires marquent l’actualité à travers le monde (Algérie, Soudan, Hong Kong, et plus récemment Équateur, Chili, Colombie, Liban, Iran, Irak…), c’est peut-être enfin le moment pour les travailleur-e-s de France de reprendre leurs affaires en main. On peut aller plus loin et dire qu’ensemble, nous aurions le pouvoir de renverser Macron, comme le veulent les gilets jaunes en lutte depuis plus d’un an. Car ce sont bien les mouvements de grève générale sur la durée qui paralysent la production et les éléments clés de la logistique et de la reproduction du système capitaliste, et qui permettent d’obtenir le rapport de force suffisant pour que certains secteurs du patronat poussent le gouvernement ou même le Président vers la sortie, en s’en servant comme d’un fusible. Ces situations ouvrent une brèche qui permet de poser largement la question du pouvoir politique des travailleur-ses et de hisser la mobilisation à un niveau de confrontation supérieur avec les classes dominantes.
Au moment où les gilets jaunes convergeront avec le mouvement de grève et où le mot d’ordre de la démission de Macron se fera peut-être à nouveau entendre, les grévistes ne lutteront pas seulement contre le mépris de leur direction qui saborde le service public des transports, et pas seulement pour s’assurer une retraite digne de ce nom après des dizaines d’années de labeur éreintant : en même temps, ils/elles lutteront pour mettre un coup d’arrêt aux contre-réformes qui nous accablent depuis des années. Ce sera une occasion de faire la démonstration du pouvoir révolutionnaire de la classe ouvrière, pour que nous ne perdions plus nos vies à les gagner, que notre temps ne soit pas volé par l’exploitation pour le profit d’une minorité, pour que le travail soit mis au service de la réorganisation de la société dans le sens de l’émancipation humaine et de la transition écologique.