Semaine cruciale : faire basculer la situation par une politique audacieuse

(Photo Martin Noda)

La semaine du 6 au 12 janvier est absolument cruciale pour le mouvement de lutte contre la réforme des retraites de Macron. Depuis le 5 décembre, deux secteurs se maintiennent dans une grève illimitée : SNCF et RATP. Mais ces secteurs, seuls, ne pourront pas tenir indéfiniment faute de soutien financier à la hauteur et/ou sauf si d’autres secteurs partent dès maintenant, cette semaine, dans une grève tout aussi déterminée, jusqu’au retrait du projet gouvernemental. Dans les AG SNCF et RATP, la combativité est toujours là et bien là, mais le poids financier de la grève commence à se faire sentir durement, et il apparaît clairement que les grévistes de ces deux secteurs attendent que d’autres branches et professions se lancent pleinement dans la lutte. Ce sont les grévistes elles-mêmes et eux-mêmes qui le disent.

L’Éducation nationale à la croisée des chemins

L’Éducation nationale est particulièrement attendue. Car les enseignant.e.s, qui ont aussi beaucoup à perdre dans cette réforme pour leurs futures pensions de retraite, ont montré leur colère en décembre, et aussi parce qu’ils et elles ont un pouvoir bloquant dans l’économie et la société, en mettant des parents dans l’obligation de garder les enfants qui ne vont pas à l’école et donc en perturbant le fonctionnement des entreprises. Beaucoup de parents comprennent bien cela. Il s’agit aussi d’un secteur où l’organisation syndicale est encore forte, et les traditions de lutte sont encore présentes. Le secteur enseignant est également, et à juste titre, très remonté contre le ministre Blanquer, ses réformes funestes pour l’école et les lycées généraux et professionnels, celle du baccalauréat, et la façon inique qu’il a eu de passer en force, pendant la grève des corrections du bac, en donnant des consignes illégales à ses subordonné.e.s, aboutissant à bidonner les résultats du bac 2019. Aujourd’hui, dans les lycées pour ne prendre qu’un exemple, la mise en œuvre de son injuste réforme aboutit à un casse-tête des professeurs de classe de première pour les épreuves « maison » à organiser dès le mois de janvier. En entrant dans une vraie grève sur la question des retraites maintenant, les enseignant.e.s forceraient sans doute Blanquer à revenir sur ses réformes tout en semant la panique dans le camp gouvernemental. Bref, pour les enseignantes et enseignants du premier et du second degré, c’est l’heure du choix : courber l’échine, et le payer très très cher ; ou lutter pour de bon jusqu’au retrait de la réforme des retraites, tout en obligeant Blanquer à revenir sur ses sales réformes et leur mise en application. Et c’est dès cette semaine que ce choix doit se faire, vu la fatigue et la solitude dans l’action des grévistes SNCF et RATP, malgré le soutien de l’opinion publique.

Toujours dans l’éducation, mais cette fois-ci, dans le supérieur, les étudiant.e.s se lancent aussi par endroit dans la bataille, comme c’est le cas à Nanterre, à la Sorbonne, etc. En période de partiel, ceux et celle-ci refuse que les examens se tiennent, tant l’accès sur les sites est difficile, et donc plus pénalisant pour les plus précair.e.s vivant plus loin des universités parisiennes. Même s’il ne s’agit pas pleinement d’un mouvement spécifiquement contre la réforme des retraites, il pourrait se transformer rapidement et ajouter à l’ébullition nationale.

Les autres secteurs

Bien sûr, il ne s’agit pas que de l’Éducation. D’autres secteurs peuvent et doivent se joindre à la SNCF est à la RATP dans une lutte déterminée jusqu’au retrait. On pense en particulier au secteur pétrolier et aux raffineries. Mais il y a aussi les transports urbains dans des villes de province comme Strasbourg ou un préavis de grève de 6 mois (!) a été déposé… On voit depuis lundi 6 janvier une remobilisation dans certaines universités, c’est très positif. À la liste des secteurs mobilisés ou plus mobilisables, on peut ajouter aussi le domaine portuaire, le gaz et l’électricité, l’aérien, l’audiovisuel – tous stratégiques, et on en oublie ! – Il y a aussi les entreprises du privé dont les salarié.e.s perdraient beaucoup avec le système de retraite par points et la base de calcul que veut nous imposer Macron. Certaines sont déjà en lutte, au moins sur les temps forts. Mais beaucoup de salarié.e.s se disent : « si je fais grève, cela ne change pas grand-chose, cela ne bloque rien ». C’est souvent faux, car faire grève perturbe toujours, d’une façon ou d’une autre, à plus ou moins long terme, l’activité économique, et beaucoup de collectifs de travailleurs.ses s’unissant dans la grève pourraient changer qualitativement le rapport de forces global. Mais dans le secteur privé, la question des retraites est loin d’être la seule à pourrir la vie des travailleuses et des travailleurs : salaire, organisation et charge de travail, autoritarisme des chefs, harcèlement, flicage… En tout cas, la lutte contre le hold-up sur nos retraites voulu par Macron, ses ministres cogneurs, menteurs, tricheurs, et frappés d’amnésie sélective pour Delevoye et son successeur, les deux précisément en charge du dossier, cette lutte sert et doit servir encore de fédérateur pour la nécessaire convergence de l’ensemble des luttes, et pour une autre société.

Un gouvernement dur et déterminé, un projet dégueulasse et dangereux

On le voit clairement : le gouvernement a choisi le mépris des travailleurs.euses et des grévistes, et le passage en force. On s’en doutait bien avant le 5 décembre, puis cela s’est confirmé lors de l’annonce officielle du projet par Édouard Philippe le 11 décembre, lors des vœux d’Emmanuel Macron le 31, et plus encore, avec cette indécente et provocatrice Légion d’honneur accordée au PDG de Black Rock, un fonds de pension – Ah pardon ! Il vaut mieux maintenant parler de gestionnaire d’actifs (!), ça fait moins peur, un fonds qui détient un portefeuille de 6 400 milliards de dollars et qui est aux aguets pour gagner beaucoup d’argent auprès des catégories sociales qui pourront payer (?) des retraites par capitalisation en complément des retraites par points, et sur les décombres de nos régimes de retraites actuels – même imparfaits –, mais pour celles et ceux qui pourront, bien sûr ! Et tant pis pour les autres. Mais qu’on n’oublie pas les leçons du passé et d’autres pays dans le monde : les pensions de retraite par capitalisation peuvent partir en fumée et plonger dans la misère des personnes âgées ruinées par des pensions volatilisées ou minablissimes. Cela peut arriver lors d’une crise financière (comme celle de 2008 ou celle qui se profile très rapidement), ou en cas de fraude, comme on n’en a déjà vu par exemple chez Enron aux États-Unis. La situation de crise capitaliste l’exige : le gouvernement veut passer en force, et face à cela ne nous devons pas perdre, et nous devons construire une riposte massive de grève générale illimitée jusqu’au retrait !

Déborder l’intersyndicale nationale et sa politique

Faire sauter les verrous

Vu le soutien très majoritaire dont disposent encore les grévistes, tout particulièrement SNCF et RATP, on peut être sûr qu’un appel clair et net des organisations syndicales au plus haut niveau à une grève interprofessionnelle jusqu’au retrait aurait un écho réel et encouragerait bien des hésitant.e.s. Mais il parait maintenant évident que l’intersyndicale nationale cherche à tout prix à éviter cela. Elle a laissé SNCF et RATP partir seules en grève illimitée le 5 décembre. Elle a organisé une nouvelle journée nationale de grève le 17 décembre, encore très suivie. Mais tout en refusant la trêve de Noël dans les propos – on ne parle pas ici des appels à la trêve souvent rejetés par la base de l’UNSA et de la CFDT – l’intersyndicale qui se dit en lutte contre le projet de réforme a laissé les grévistes des transports porter seul.e.s le poids de la lutte jusqu’à une nouvelle journée de grève interprofessionnelle, le 9 janvier, soit plus de trois semaines…

Officiellement, l’intersyndicale soutient les secteurs et entreprises en grève reconductible. Mais elle prend bien soin de laisser les travailleuses et les travailleurs décider chacun et chacune dans leur coin. Pas de mot d’ordre de combat, pas de prise de responsabilité syndicale au plus haut niveau, face à la gravité de l’attaque et le caractère critique de la situation. Et toujours une participation insupportable des confédérations majoritaires aux discussions (concertations ou négociations) complètement bidon avec un gouvernement qui veut aller jusqu’au bout, jusqu’à infliger une vraie défaite à notre classe, comme Margaret Thatcher l’avait fait en Grande-Bretagne 1984 après l’historique grève d’un an des mineurs – eux aussi abandonnés par le TUC, la centrale syndicale nationale. Les grévistes de la RATP et de la SNCF sont nombreuses et nombreux à y voir au mieux de la conséquence, au pire une claire trahison. Cette politique des confédérations reste un obstacle majeur à vaincre pour gagner tou.te.s ensemble. Mais dans d’autres secteurs, des fédérations, il nous semble qu’il faudrait des mots d’ordre de grève encore plus radicaux. On peut se réjouir que la pétrochimie durcisse son mouvement. Mais pourquoi une grève sur 4 jours (du 7 au 10 janvier) chez Total et non pas aussi un mot d’ordre de grève jusqu’au retrait ?

Pour parvenir à dépasser la gestion de la grève par les directions syndicales, il faut, nous semble-t-il, combiner deux types de démarches.

Premièrement, mettre sur ces directions une pression maximale. D’ailleurs on voit que la base est en colère et met déjà de la pression, car l’intersyndicale nationale, en appelant à la lutte entre le jeudi 9 et le samedi 11 avec une manif nationale, en fait plutôt plus que d’habitude en des circonstances analogues.

Interpeller les directions confédérales et leur faire savoir que leur gestion de la grève, avec des journées d’action, des temps forts espacés, qui laissent isolés les secteurs les plus en pointe du mouvement, c’est aussi comprendre et leur reprocher un fait très probable : malgré la rage populaire et la combativité, cela nous conduit à une grave défaite. C’est du déjà vu, et bien trop souvent! Que se passera-t-il pour l’ensemble du mouvement si SNCF et/ou RATP reprennent le travail ? L’interpellation et la critique des chefs syndicaux peuvent se combiner sous plusieurs formes, selon les secteurs et leur niveau de mobilisation, voire d’exaspération : demandes polies peut-être pour les secteurs inquiets mais peu mobilisés, motions votées dans les AG, exigences fermes de la part de syndicats de base, unions locales ou régionales plus combatives, jusqu’à des délégations de grévistes en colère jusqu’au siège des confédérations. En particulier, les travailleurs.ses en grève reconductible sont parfaitement fondé.e.s à exiger des confédérations et fédérations qui prétendent soutenir leur lutte qu’elles débloquent immédiatement des fonds pour financer la grève et permettre aux grévistes de continuer. Cela n’est pas contradictoire avec les caisses de grève solidaires et les demandes d’abonder ces caisses auprès du grand public.

Construire un comité central de grève démocratique

Mais cela ne suffit pas. L’autre façon de déborder la gestion mollassonne – pour certain.e.s grévistes – ou félonne – pour d’autres – de la situation par l’intersyndicale nationale, est, dans les secteurs les plus en pointe, SNCF et RATP, de développer l’auto-organisation vers un comité central de grève démocratique basé sur des AG avec des mandats : un comité central de grève par secteur mobilisé dans la grève illimitée, dans la perspective de construire le plus vite possible un comité central de grève interprofessionnelle. Si une initiative en ce sens émane rapidement d’un ou des deux secteurs les plus en pointe, cela pourra changer la donne qualitativement, car un appel, par exemple d’un comité central de grève SNCF et ou RATP, construit démocratiquement et légitimement, mettra une pression plus grande encore sur les directions syndicales bureaucratiques, et pourra entraîner de nouveaux secteurs dans la grève, la vraie. La coordination SNCF/RATP devrait être un outil en ce sens. L’essentiel est de tout faire pour la fonder sur la démocratie la plus scrupuleuse à la base.

Tout cela doit maintenant se jouer très vite. Il en va de la victoire ou de la défaite de notre classe et de son avenir proche voire lointain, face à la brutalité et à la cupidité sans limite de l’élite capitaliste au pouvoir.

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