Il faut s’extraire de l’idéologie néolibérale pour lutter contre les inégalités

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SOURCE : Libération

Par Alain Caillé, Professeur émérite de sociologie à l’université Paris X, Nanterre-La Défense, directeur de la revue «Mauss» 

Trente-quatre multinationales ont rejoint une coalition visant à regrouper et renforcer les efforts déployés pour lutter contre les inégalités

Le sociologue Alain Caillé déconstruit les fondements idéologiques qui justifient l’organisation inégalitaire de nos sociétés. Il participera mercredi 4 mars au Forum Libération «Rémunérations, les inégalités mettent-elles en péril notre démocratie?».

Rencontrez Alain Caillé mercredi 4 mars au siège de Libération pour le débat «Rémunérations, les inégalités mettent-elles en péril notre démocratie?».

Libération demande si les inégalités mettent en péril notre démocratie. La réponse est : bien évidemment oui. Pas toutes les inégalités. Certaines sont inévitables et même souhaitables. Tout le monde ne peut pas exceller dans tous les domaines. Et, au plan économique, si l’on veut éviter l’étatisation et la bureaucratisation de la société, il est bon que des plus riches que d’autres jouissent d’une liberté d’initiative, pour autant qu’elle s’exerce au bénéfice du bien commun.

En revanche, les inégalités extrêmes sont incompatibles avec la démocratie. Qualifions d’extrêmes, ou d’inadmissibles, les inégalités qui violent les principes de commune humanité et de commune socialité. Les 40 personnes les plus riches du monde possèdent autant que les 4 milliards les moins riches. Quelle commune humanité peut-il exister entre elles ? Si l’on appliquait à la France les mesures de taxation des plus hauts revenus, des plus hauts patrimoines et des plus gros héritages proposés par les candidats démocrates à l’élection présidentielle américaine (qui ne concernent, respectivement, que 16.000, 75.000 et 8.000 ménages), et si on commençait à récupérer une partie un peu significative de l’argent évaporé dans les paradis fiscaux, cela rapporterait au minimum une cinquantaine de milliards d’euros. Qui peut douter que cela améliorerait sérieusement le fonctionnement de la justice, de la santé, de l’éducation, etc. en France, et donc celui de la démocratie ?

La question est : comment en sommes-nous arrivés à de telles inégalités, qui défient l’entendement ? Et comment en sortir ? Quant au premier point, les causes sont bien sûr multiples et enchevêtrées. Mais la plus décisive est sans doute d’ordre idéologique. Elle tient au triomphe de l’idéologie néolibérale qui se présente comme la justification imparable du capitalisme rentier et spéculatif aujourd’hui mondialement dominant. Cette idéologie peut se résumer en 6 propositions : 1. Il n’existe pas de sociétés, il n’existe que des individus. 2. L’avidité, la soif du profit est une bonne chose. Greed is good. 3. Plus les riches s’enrichiront et mieux ce sera, car tous en profiteront par un effet de ruissellement. 4. Le seul mode de coordination souhaitable entre les sujets humains est le marché libre et sans entraves, y compris le marché financier et spéculatif. 5. Il n’y a pas de limites. Toujours plus, c’est nécessairement toujours mieux. 6. Il n’y a pas d’alternative.

Aucune de ces six propositions ne peut être sérieusement défendue au plan théorique. Elles s’imposent cependant comme des vérités incontestables parce qu’elles s’appuient sur la toute-puissance des marchés financiers (qu’elles légitiment en retour). Tout État qui s’aviserait de les contester, même timidement, se verrait aussitôt menacé de faillite. Chacun essaie donc de tirer son épingle du jeu avec des marges de jeu très réduites. Qu’on ne s’étonne pas, dans ces conditions, de la prolifération, quasi mondiale désormais, de ce qu’on appelle paresseusement des populismes. Ils ne sont que l’autre face du néolibéralisme, ses remèdes fantasmatiques.

Si nous voulons redonner vie aux idéaux démocratiques, qui parlent de moins en moins aux jeunes (sauf à ceux qui se révoltent contre les dictatures), il nous faut de toute urgence proposer une autre vision du monde et de l’humanité que celle qu’impose le néolibéralisme. C’est ce que propose le Second Manifeste convivialiste, signé par 275 personnalités de 33 pays.

Alain Caillé est un des rédacteurs du Second manifeste convivialiste. Pour un monde post-néolibéral, Actes Sud, 12 février 2020.


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