Caissier dans une épicerie “éthique”

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Tendance marxiste internationale

Je travaille dans une épicerie fine, petit maillon d’une entreprise bien plus grande et qui, dans ma ville, a le quasi-monopole dans son domaine. Il s’agit de l’enseigne « éthique » de la boite, qui d’ailleurs n’affiche pas ses liens avec le reste de l’entreprise. Les clients de l’épicerie nous complimentent sur le concept, la bonne tenue de l’endroit et l’utilité d’une telle boutique. Mais l’envers du décor est beaucoup moins reluisant.

Petit exemple tout bête, mais éclairant : sur mon contrat de travail, il est écrit que je représente les valeurs de l’enseigne, et qu’à ce titre je ne dois pas porter de boucles d’oreilles, de tatouages ou de T-shirt s marqués d’une inscription quelconque – car, nous explique-t-on, tout cela ne colle pas avec « l’image de marque » de l’entreprise. Or j’ai un tatouage sur le bras. Résultat : cet été, en pleine canicule, je devais porter le seul vêtement à manches longues que nous fournit l’entreprise – une polaire  histoire de ne pas « choquer » la clientèle.

Flux tendu permanent

Ma journée commence à 9h si je suis du matin, à 14h si je suis de l’après-midi. Les jours normaux, je travaille entre cinq et six heures d’affilées, sans même une courte pause. Le magasin n’est pas grand, mais il est situé en plein centre-ville. C’est l’un des plus fréquentés de la chaîne ; il faudrait au moins trois employés à temps plein (en plus du responsable) pour qu’il tourne dans des conditions convenables. Or nous ne sommes que deux à temps plein (plus le responsable). En matière d’effectifs, la politique de la direction, c’est : « tant que ça tient, on continue ».

Dans ce contexte de  flux tendu, il n’y a aucune marge de manœuvre. Si l’un des salariés est absent, un autre peut voir exploser son nombre d’heures de travail , pour « boucher les trous ». Récemment, une collègue a ainsi fait une journée de dix heures avec seulement une pause d’une heure au milieu de la journée. Il m’est déjà arrivé, sur une journée de huit heures, de n’avoir que 45 mn  de repos (et aucune pause courte).

Dans ces conditions, il nous faut manger sur place, entre deux clients – et espérer avoir le temps d’aller boire un café au bar d’à côté. Parfois, on doit attendre 14h ou 15h pour déjeuner. D’autres fois, il faut laisser son repas en plan pour aller servir un client.

Nos emplois du temps nous sont communiqués de façon aléatoire, parfois le vendredi ou le samedi (pour la semaine suivante). C’est alors qu’on découvre les heures supplémentaires qu’on nous a programmées – sans nous avoir demandé notre avis ou notre approbation. Cet été, quand ma collègue est partie en vacances pour une semaine, j’ai découvert, le vendredi, que j’allais passer de 35 à 46 heures par semaine, pour combler les trous.

Pour définir le besoin d’engager un nouvel employé, le seul paramètre qui est pris en compte, c’est le chiffre d’affaires du magasin. Si telle boutique de la chaîne tourne avec seulement trois personnes, alors il n’en faudrait pas plus dans toutes les boutiques qui réalisent le même chiffre d’affaires. Cette logique ne prend pas en compte la situation géographique de l’établissement, les horaires d’ouverture (je travaille dans celui qui a la plus grande amplitude horaire), le prix du panier moyen, etc.

Précarité et isolement

Il y a quelque  temps, après deux démissions provoquées par des conflits sur les emplois du temps, la direction a fait quelques concessions mineures sur la façon de les établir. Désormais, il lui arrive de tenir compte des besoins et demandes des employés. Mais cela ne règle pas le problème du sous-effectif permanent – et de ses conséquences néfastes pour les salariés.

Ces conditions de travail génèrent beaucoup de frustration et de colère. Mais l’isolement des différentes boutiques et les horaires infernaux nous empêchent de communiquer et de donner une expression organisée à cette colère. Pourtant, ce n’est pas l’envie qui manque. A l’occasion de la mobilisation du 5 décembre dernier, l’idée d’une grève des vendeurs a circulé parmi les collègues. Mais face au faible nombre de vendeurs prêts à se mobiliser, rien ne s’est passé. Quand un patron peut débarquer à tout moment pour virer quelqu’un dont la tête ne lui revient pas, on hésite forcément à s’exposer en se lançant dans une grève peu suivie.

Cette situation est typique de ce qui se passe dans beaucoup de commerces de proximité. Leurs politiques de gestion engendrent  une ambiance détestable et un stress permanent, à cause du flux tendu. Mais l’isolement des salariés et le caractère « provisoire » de ce qui n’est, pour beaucoup, qu’un job transitoire,  font le jeu du patron, en dissuadant les salariés de se mobiliser et de s’organiser. Du moins, pour le moment…


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