Dans ce texte, Laurent Jeanpierre propose de souligner, sans exclusive, la dimension « territoriale » du mouvement des gilets jaunes, celui-ci ayant conjugué une réappropriation concrète du « proche » et un ancrage local de ses pratiques protestataires*.

Parmi les multiples traits d’originalité du mouvement des gilets jaunes dans l’histoire récente des mouvements sociaux français, sa dispersion territoriale est l’un des plus importants. Cette caractéristique remarquable est elle-même indissociable des demandes politiques, dans le mouvement, d’approfondissement de la démocratie et de démocratie directe. La mobilisation retient avant tout l’attention par son caractère décentralisé. Il y a un an, durant les deux dernières semaines de novembre 2018, plus de 3 000 lieux ont été occupés ou bloqués dans l’hexagone. La protestation s’est développée en dehors des centres métropolitains, auxquels elle s’est directement opposée. Elle a touché des zones du territoire bien au-delà des préfectures ou des sous-préfectures, zones qui, pour certaines, n’avaient pas connu de protestation de rue depuis 1968 voire peut-être antérieurement. La géographie du mouvement est aujourd’hui connue : les ronds-points mobilisés étaient concentrés dans des zones périurbaines et infra-urbaines du territoire, des lieux où la mobilité quotidienne et automobile est une contrainte, où les services publics tendent à se retirer et où l’accès aux biens collectifs est plus difficile ; des lieux négligés par les politiques publiques, en particulier du territoire.