La France contre les robots de Georges Bernanos

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SOURCE : Stalker

Photographie (détail) de Juan Asensio.


3518592029.JPGGeorges Bernanos dans la Zone.

Berdiaeff.JPGPublié à Paris en 1933, le court texte de Nicolas Berdiaeff intitulé L”homme et la machine précède celui de Georges Bernanos de quelqueson is années. Il faut une fois de plus remercier les excellentes éditions R&N de nous redonner ce petit texte assez vif et qui annonce d’une certaine façon le propos de l’auteur de La France contre les robots, puisqu’il pointe, non pas telle ou telle spécificité propre à la technique, tel ou tel rhizome par lequel cette dernière parvient à tisser sa toile planétaire, mais le changement ou plutôt : la rupture de civilisation qu’elle provoque. Ainsi, «la technique, elle, reste étrangère aux symboles, elle est réaliste, elle ne reflète rien, elle crée une nouvelle réalité, tout en elle est présent» puisqu’elle parvient à soustraire «l’homme aussi bien à la nature qu’à l’au-delà» (p. 24). Georges Bernanos eût pu signer cette autre évidence que souligne Berdiaeff : «on n’a pas encore envisagé la machine comme un problème spirituel, comme un facteur de la destinée humaine» (p. 33) qui provoque la destruction de «l’ancien ordre organique» alors qu’une «nouvelle forme d’organisation, créée par la technique, s’impose nécessairement» (p. 38), un ordre de fer contre lequel nous pourrons nous rebeller mais, annonce le philosophe, qu’il nous sera désormais impossible d’arracher complètement de la surface dévastée de la planète comme une touffe de mauvaise herbe. C’est plutôt la surface entière de la planète qu’il nous faudrait détruire, comme si notre monde se transformait, de moins en moins lentement, en cette capitale galactique qu’est la Trantor imaginée par Asimov dans le cycle Fondation.
Il est ainsi assez remarquable de constater que même si Berdiaeff estime que nous «connaîtrons de grandes réactions contre la technique et la machine», voire “des retours à la nature originelle», il n’en reste pas moins vrai que «tant que l’homme poursuivra son chemin terrestre, jamais la machine et la technique ne seront anéanties». Ainsi Berdiaeff nous avertit contre toute volonté chimérique de revenir à l’état premier, prétendument pur, de la vie de l’homme, car il «n’est pas donné à l’homme de réintégrer le jardin du paradis avant la fin et la transfiguration du monde», bien que «le souvenir et la nostalgie de l’Éden» ne puissent que subsister en nous, «comme subsisteront toujours les reflets du paradis dans la nature, dans les jardins et les fleurs, dans l’art» (p. 41). Le Djihad Butlérien imaginé par Frank Herbert dans un autre cycle de SF au moins aussi célèbre que le premier n’est qu’une chimère.
Contre toute volonté puérile de volonté de «retour à l’économie naturelle et à l’état patriarcal, au règne de l’économie agricole et de l’artisanat, comme le rêvait Ruskin» (p. 40), Berdiaeff nous rappelle que l’élan seul de notre volonté nous sauvera, puisque «la force exigée avant tout de l’homme est la force spirituelle qui l’empêchera d’être asservi à la technique et d’être anéanti par elle» (p. 45). La philosophie de Berdiaeff pourrait dès lors être décrite comme un pragmatisme pessimiste puisqu’il dépend, «en dernière instance, du degré de la force spirituelle en l’homme, pour qu’il échappe à ce terrible destin ou qu’il ait à le subir», puisque “la puissance exclusive de la technique et de la machine nous entraîne précisément vers cette limite : au non-être dans la perfection technique» (p. 46), et qu’en outre c’est bien «cette invraisemblable rapidité de vie qu’exige [de l’âme humaine] la civilisation moderne» qui tend «à faire de l’homme une machine» (p. 49). Finalement, c’est moins la Machine qui pose problème, nous avertit le grand penseur, que le fait que l’homme est de plus en plus son semblable.
C’est pourtant, assez paradoxalement, en raison même de son caractère impitoyable que la technique pourra être contenue sinon renversée, car «c’est cette pitié qu’elle ignore qui limitera sa souveraineté dans la vie» (p. 50) et aussi, bien sûr, Berdiaeff le répète au cours des dernières pages de son petit mais riche ouvrage, l’action inlassable de l’homme qui n’est soumis à aucun fatalisme, même si la situation pourrait nous paraître désespérée : «l’homme est libre, il est appelé à l’activité, le dénouement, par conséquent, dépend de lui» (p. 54), et c’est donc à lui et à lui seul d’empêcher que le monde, qui se déchristianise, ne se déshumanise aussi, c’est même là, précise Berdiaeff, «toute la gravité du problème que soulève la puissance monstrueuse de la technique» (p. 52) contre laquelle la lutte, même si elle est longue et disproportionnée en raison même de ce manque de pitié qui est la force surpuissante et la terrifiante faiblesse de la Machine, son talon d’Achille peut-être, est non seulement possible mais nécessaire, puisque tout reste à faire, non seulement dans «le royaume des cieux», mais aussi dans «le royaume de la terre et de l’univers transfigurés» (p. 58, toute dernière phrase). Le combat à mener contre le triomphe sans partage de la Machine ne pourra qu’impliquer une régénération aussi bien morale, qu’intellectuelle et, donc, spirituelle, de l’homme. Au train dément où courent les choses vers on ne sait quel horizon dévorant, nous avons le droit, contre Berdiaeff, de nous montrer, pour le coup, plus pessimistes que lui.

Bernanos.JPGLe texte de Georges Bernanos, que nous citons ici dans l’édition donnée par Gallimard dans la collection de La Pléiade (1), a été écrit au cours de l’année 1944 et publié en 1947. Il frappe si on le compare à celui de Nicolas Berdiaeff par au moins un de ses plus notables aspects qui n’est autre que son pessimisme foncier. Je parle bien de pessimisme, un mot qui fera sans doute bondir les piètres lecteurs qui n’imaginent pouvoir lire Georges Bernanos que derrière des verres de lunettes lavés à l’eau bénite. C’est bien au contraire la grandeur de cet écrivain de race que de ne nous rien cacher de ses tourments, de ses profondes angoisses, et de ne pas hésiter à employer un ton oraculaire qui semble s’accélérer au fur et à mesure que l’insulte imbécile ! elle-même envahit ses phrases jusqu’à en constituer une forme d’interjection plus amicale que réellement insultante, alors qu’il nous annonce, plus que les effets du désastre en cours, celui dont nous ne savons rien mais qui se lève inéluctablement à l’horizon planétaire : «Les forces révolutionnaires n’en continueront pas moins à s’accumuler, comme les gaz dans le cylindre, sous une pression considérable. Leur détente, au moment de la déflagration, sera énorme» (p. 980).
Ce premier extrait nous offre du reste un excellent aperçu sur l’un des thèmes nourrissant ce texte de colère qu’est La France contre les robots, la Révolution, dont Bernanos évoque l’esprit et souligne la nécessité, face à une société dans laquelle les régimes, «jadis opposés par l’idéologie», sont maintenant «étroitement unis par la technique» qui n’a pour seul but qu’abolir la liberté, puisqu’il s’agit toujours «d’assurer la mobilisation totale pour la guerre totale, en attendant la mobilisation totale pour la paix totale», Bernanos concluant ce passage en écrivant qu’un «monde gagné pour la Technique est perdu pour la Liberté» (p. 981). Dans un texte intitulé La révolution de la liberté et donné en appendice de La France contre les robots dans notre édition, le romancier rappellera aussi le souvenir de Rousseau, parrain de la Révolution française, pour le défendre contre «les écrivains catholiques [qui] le criblent de sarcasmes», contre Maurras que son idée phare (L’homme est libre, la société le déprave rappelle Bernanos) «fait écumer» (p. 1061).
Le triomphe de la technique est incontestable, non pas tant parce qu’elle a transformé l’homme en «matériel humain» (p. 982) et qu’elle a autorisé «le sacrifice de troupeaux d’hommes» (p. 983) qui pourront non seulement être marqués au fer, «à la joue ou à la fesse, comme le bétail» (p. 993), non seulement encore parce qu’ils pourront être corvéables à merci par «l’État moderne, le Moloch technique» (p. 991) ou encore, bien sûr, traçables comme des criminels ou même de la marchandise puisque, «à l’égalité absolue des citoyens devant la Loi doit correspondre, tôt ou tard, l’autorité absolue et sans contrôle de l’État sur les citoyens» (p. 997), mais parce qu’ils ont, volontairement dirait-on, consenti à ne plus être des hommes, à ne plus honorer leur liberté. Georges Bernanos ne cesse d’ailleurs d’opposer l’homme voulu par la technique et celui d’autrefois, ne cessant de pointer la perte de substance, de volonté, de tenue qui les sépare : «Il n’eût jamais fait partie de ce bétail que les démocraties ploutocratiques, marxistes ou racistes nourrissent pour l’usine et le charnier. Il n’eût jamais appartenu aux troupeaux que nous voyons s’avancer tristement les uns contre les autres, en masses immenses derrière leurs machines, chacun avec ses consignes, son idéologie, ses slogans, décidés à tuer, résignés à mourir, et répétant jusqu’à la fin, avec la même résignation imbécile, la même conviction mécanique» (pp. 998-9).
Nous sommes là dans ce que l’écrivain a appelé le mauvais rêve qui a toutes les apparences de la réalité, à la petite exception près que le rêveur croit être libre, alors qu’il ne l’est évidemment plus, cette abdication volontaire du privilège qui le fait se tenir droit pouvant être assimilée au triomphe d’un ordre de fer qui se fait passer pour garant de nos libertés. Nous reconnaissons là, bien sûr débarrassé de ses atours par trop visiblement religieux, la vieille croyance dans le règne antichristique qui aura toutes les apparences de celui qu’il contrefait : «nous supporterions volontiers d’être esclaves, pourvu que personne ne puisse se vanter de l’être moins que nous» (p. 999) ou encore : «Une Paix injuste régnerait sur un monde si totalement épuisé qu’elle y aurait les apparences de l’ordre» (p. 988).
S’il insiste sur la différence entre l’homme d’autrefois et celui que le Moloch moderne, qu’importe qu’il soit une démocratie ou une dictature nous l’avons vu (2), a façonné, Georges Bernanos s’aventure finalement assez peu à nous donner une explication purement rationnelle de ce changement. Cette explication aurait plutôt, comme toujours chez le grand romancier, une cause surnaturelle, ici esquissée dans une fulgurance qui eût parfaitement pu convenir à l’un de ses romans : «Le vice de la servitude va aussi profond dans l’homme que celui de la luxure, et peut-être que les deux ne font qu’un. Peut-être sont-ils une expression différente et conjointe de ce principe de désespoir qui porte l’homme à se dégrader, à s’avilir, comme pour se venger de lui-même, se venger de son âme immortelle» (p. 996). Ailleurs, l’écrivain évoque quelque possible «perversion de l’énergie humaine» (p. 1030) mais ne sera jamais aussi clair que lorsqu’il supposera l’existence d’une sorte de dévolution satanique, «comme si le Verbe ne se faisait plus chair, comme si l’Humanité reprenait, en sens inverse, le chemin de l’Incarnation» (p. 1037), la chair devenant fer, l’homme engrenages, la «grande civilisation humaine» à la fin de laquelle nous assistons se transformant, à la vitesse d’un bolide fendant les airs, en «une civilisation inhumaine qui ne saurait s’établir que grâce à une vaste, à une immense, à une universelle stérilisation des hautes valeurs de la vie» (p. 1040).
Dès lors, il est logique qu’en défendant ce qu’il appelle «l’homme du passé», Bernanos, dans la droite ligne de l’illustre modèle que fut pour lui Charles Péguy, affirme défendre «notre tradition révolutionnaire», seule capable d’éviter «la guerre moderne, la guerre totale [qui] travaille pour l’État totalitaire [et] lui fournit son matériel humain» (pp. 1015-16) : «veut-on qu’il n’ait jamais été qu’un esclave dressé depuis des siècles à se coucher aux pieds de maîtres impitoyables et à leur lécher les mains ?» (p. 1000). Et le puissant écrivain, dès lors, de multiplier les oppositions entre l’homme qui a osé la Révolution, bien capable après tout, justement parce qu’il était libre, de servir, le service étant «par sa nature même un acte volontaire, l’hommage qu’un homme libre fait de sa liberté à qui lui plaît, à ce qu’il juge au-dessus de lui, à ce qu’il aime» (p. 1005), et l’homme que nous croisons au détour de la rue ou bien pilotant un bombardier, et qui, d’une pression de doigt, lâchera 1 000 bombes ou une seule qui aura la puissance de 1 000 sur une cible prédéterminée par un état-major, l’homme haïssant ce qui lui reste de liberté, précisément parce qu’il ne lui en reste pas assez pour être un homme libre, «mais assez pour en porter le nom» (p. 1007) et même agir comme le ferait un homme véritablement libre. Nous voici de nouveau dans le mauvais rêve où les apparences ont pris la place de la réalité, où il est impossible de démêler le vrai du faux car, lorsque «l’État totalitaire exigera de n’importe qui, sous peine de mort, des risques dont l’acceptation volontaire eût jadis suffi à perpétuer le nom d’un homme, qui distinguera les braves des lâches ?» (p. 1011), Bernanos traçant alors un nouveau parallèle pour le moins inattendu, qu’il décrit comme «une transposition sacrilège et ironique», entre les hommes, obéissant jusqu’à la mort, formés par les Exercices de saint Ignace et ceux que façonne la guerre totale qu’il qualifie de «cruelle et puritaine comme elle est anonyme», à savoir «une sorte d’hommes [qui sont] capables de toutes les formes de la soumission et de la violence, passant indifféremment des unes aux autres, une espèce d’hommes où le Totalitarisme puise au hasard des milliers de badauds en uniforme pour son cérémonial religieux, des bêtes intelligentes et féroces pour sa police, et des bourreaux pour ses camps de concentration» (pp. 1016-17).
Ce n’est plus un parallèle mais une équivalence que Georges Bernanos pose lorsqu’il affirme que «la Guerre totale est la Société moderne elle-même, à son plus haut degré d’efficience» (p. 1017), ce qu’il appelle plus loin «l’invasion de la Machinerie [ayant] pris cette société par surprise» (p. 1023) jusqu’à se confondre avec elle, comme une tumeur évide un organe qu’elle finira par dévorer de l’intérieur, «la Civilisation des machines [ayant] pris l’homme au dépourvu» (p. 1031) tout autant qu’elles ont pour but de le remplacer, ou alors de faire de lui l’un des leurs : cette surprise n’est pas seulement due à la vitesse, même si la société «a passé presque sans transition de la vitesse d’une paisible diligence à celle d’un rapide» en quelques années seulement, les hommes qui ont assisté à la naissance de l’universelle Machinerie constatant, lorsqu’ils ont regardé par la portière, qu’il était trop tard car «on ne saute pas d’un train lancé à cent vingt kilomètres sur une ligne droite» (p. 1030) même si, encore, nul ne saurait décemment contester la «multiplication prodigieuse, à quoi rien ne semble devoir mettre fin» (p. 1025) de la Machine. Pour ainsi dire, nous sommes embarqués, comme galériens aux fers et sans vraiment connaître notre destination finale : qu’importe, puisqu’il suffit d’avancer !
Cette surprise coïncide avec une autre espèce de fuite en avant, une fuite devant Dieu telle que l’a décrite Max Picard dans un livre remarquable, et cette fuite, selon Bernanos, n’est autre que celle de l’homme pris de vertige devant l’existence de son âme. Ce passage est aussi essentiel que connu, mais je le donne dans son intégralité : «Car vos fils et vos filles peuvent crever : le grand problème à résoudre sera toujours de transporter vos viandes à la vitesse de l’éclair. Que fuyez-vous donc ainsi, imbéciles ? Hélas ! c’est vous que vous fuyez, vous-mêmes» puisqu’il est clair que «chacun de vous se fuit soi-même, comme s’il espérait courir assez vite pour sortir enfin de sa gaine de peau… On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure» (p. 1025), ce qui signifie qu’en se fuyant, l’homme abdique sa liberté qui n’est pourtant pas ailleurs qu’en lui-même et, du coup, cède au vertige de la soumission volontaire devant «la Civilisation des machines [qui] est elle-même une machine, dont tous les mouvements doivent être de plus en plus parfaitement synchronisés !» (p. 1047).
La vie intérieure abolie, puisque, «dans la Civilisation des machines la vie intérieure prend peu à peu un caractère anormal» (p. 1052), la Machine peut continuer son expansion folle, sans autre but que son auto-engendrement, s’il est vrai que la «seule machine qui n’intéresse pas la Machine, c’est la Machine à dégoûter l’homme des machines, c’est-à-dire d’une vie tout entière orientée par la notion de rendement, d’efficience et finalement de profit» (p. 1026), l’avènement de la civilisation techniciste ne pouvant être corrélée, dans l’esprit de Bernanos, qu’au triomphe du Nombre, de l’esprit de profit qui n’est rien d’autre que «l’esprit de cupidité» (p. 1028), car «un monde dominé par la Force est un monde abominable, mais le monde dominé par le Nombre est ignoble”. Nous retrouverons cette analyse sous la plume d’un Jaime Semprun. En effet, si la «Force fait tôt ou tard surgir des révoltés», si elle engendre «l’esprit de Révolte», «fait des héros et des martyrs», la «tyrannie abjecte du Nombre est une infection lente qui n’a jamais provoqué de fièvre», ce qui signifie que le «Nombre crée une société à son image, une société d’êtres non pas égaux, mais pareils, seulement reconnaissables à leurs empreintes digitales» (p. 1042).
Dans une telle société, où il sera parfaitement «inutile de déranger Rabelais, Montaigne, Pascal, pour exprimer une certaine conception sommaire de la vie, dont le caractère sommaire fait précisément toute l’efficience» (pp. 1040-1), dans une telle société où «l’écartèlement, l’écorchement, la dilacération de plusieurs milliers d’innocents [n’est plus qu’]une besogne dont un gentleman peut venir à bout sans salir ses manchettes, ni même son imagination» (p. 1034), dans une telle société minérale et froide dans laquelle obéissance et irresponsabilité seront «les deux Mots magiques qui ouvriront demain le Paradis de la Civilisation des Machines» (p. 1057), rien ne sert, nous dit Bernanos dans l’autre texte que nous avons cité, de «faire ce rêve absurde de les détruire par la force, à la manière des iconoclastes qui, en brisant les images, se flattaient d’anéantir aussi les croyances», car le «danger n’est pas dans la multiplication des machines, mais dans le nombre sans cesse croissant d’hommes habitués, dès leur enfance, à ne désirer que ce que les machines peuvent donner». Le danger n’est donc pas, poursuit l’écrivain, que «les machines fassent de vous des esclaves, mais qu’on restreigne indéfiniment votre liberté au nom des Machines, de l’entretien, du fonctionnement, du perfectionnement de l’universelle Machinerie». Nous ne devons donc pas une seule seconde perdre de vue le fait que «le danger n’est pas dans les Machines, car il n’y a d’autre danger pour l’homme que l’homme même» (p. 1063), l’homme abject que la Machine rêve et, bientôt, concevra, nourrira puis tuera, à son image implacable.

Note
(1) Essais et écrits de combat, tome 2 (1995, textes établis, présentés et annotés par plusieurs spécialistes sous la direction de Michel Estève). C’est Joseph Jurt, avec ce même Michel Estève, qui a établi l’apparat critique de La France contre les robots.
(2) Rappelons ce passage assez saisissant où Georges Bernanos rapproche les démocraties des régimes totalitaires, les unes et les autres n’étant que les serviteurs plus ou moins zélés et décomplexés de la Machine : «Il ne faut vraiment pas comprendre grand-chose aux faits politiques de ces dernières années pour refuser encore d’admettre que le Monde moderne a déjà résolu, au seul avantage de la Technique, le problème de la Démocratie. Les États totalitaires, enfants terribles et trop précoces de la Civilisation des machines, ont tenté de résoudre ce problème brutalement, d’un seul coup. Les autres nations brûlaient de les imiter, mais leur évolution vers la dictature s’est trouvée un peu ralentie du fait que, contraintes après Munich d’entrer en guerre contre l’hitlérisme et le fascisme, elles ont dû, bon gré mal gré, faire de l’idée démocratique le principal, ou plus exactement l’unique élément de leur propagande. Pour qui sait voir, il n’en est pas moins évident que le Réalisme des démocraties ne se définit nullement lui-même par des déclarations retentissantes et vaines» (p. 1049).

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