Quelques questions fréquentes à ce jour parmi les syndicalistes

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Arguments pour la lutte sociale

QAvec le 49-3, ne sommes-nous pas au pied du mur et au bord de la défaite finale ?

R: Nous sommes au pied du mur depuis le début. Et nous le sommes, ni plus ni moins, à présent.

La caractéristique politique de ce 49-3 est l’étalage de faiblesse, de crise et de fuite en avant de l’exécutif qu’il exhibe. C’est le premier 49-3 dans l’histoire de la V° République qui apparemment ne vise à rien d’autre qu’à interdire l’expression des oppositions. Les 49-3 précédents visaient à ligoter la propre majorité parlementaire du gouvernement, ou à surmonter son caractère limité. Là, sur le papier, les oppositions n’avaient aucune chance d’aboutir à quoi que ce soit, et pourtant, à partir d’un conseil des ministres convoqué sur un seul sujet – le coronavirus! – ils ont décidé du 49-3. Même l’existence d’une assemblée aux ordres avec une pléthore d’incapables formant sa majorité et des oppositions privilégiant les procédés gesticulatoires, ils ne la supportent pas. Le bonapartisme de la V° République «normé» faisait de l’Assemblée nationale sa feuille de vigne. Le bonapartisme de Macron ne supporte même pas sa feuille de vigne … se désignant lui-même comme la cible à détruire pour imposer la démocratie.

Or, ils n’en ont en rien fini pour autant avec l’aspect purement « parlementaire » et institutionnel des choses, car la loi, qui sera considérée comme adoptée sans vote si une motion de censure n’est pas votée, ira ensuite au Sénat, puis reviendra à l’assemblée, où le même 49-3 peut à nouveau s’appliquer. Mais d’autre part il y a, contre le droit à la retraite, une seconde loi, dite « loi organique », beaucoup plus courte certes mais qui doit elle aussi être « discutée », amendée, etc., à l’Assemblée nationale et au Sénat, et contre laquelle le 49-3 ne peut pas être dégainé une seconde fois dans la même session parlementaire.

Enfin, au final, les deux lois passent devant le Conseil constitutionnel. Bien entendu, le Conseil constitutionnel est une institution 100% capitaliste, 100% antidémocratique, 100% V° République et 100% acquise à la destruction du droit à la retraite, mais il aura à jauger et juger de l’état de crise du pouvoir, de sa crédibilité à appliquer ses propres lois, jauger donc le rapport de force social et juger du niveau de dislocation de l’État et des normes habituelles du droit bourgeois induit par les méthodes de Macron, déjà dénoncées par le Conseil d’État.

Cela dit, ces précisions ne suggèrent absolument pas que la bataille parlementaire constituerait l’issue et le moyen de peser. Les dizaines de milliers d’amendements n’étaient que gesticulation pathétique. Dans ce parlement qui n’est même pas un parlement, une vraie opposition devrait s’appuyer sur la montée en masse du salariat contre Macron. Le refus d’organiser une telle montée et le repli sur la gesticulation pseudo-parlementaire sont les corollaires l’un de l’autre : ils ont préparé le terrain au 49-3 de Macron.

Ce en quoi ces précisions sont importantes est qu’elles doivent être connues de tous les camarades, pour qu’ils ne s’imaginent pas qu’on a été saisi par un coup de tonnerre qui mettrait fin à tout, sauf à déclencher un soulèvement dans la nuit. Les choses ne se présentent pas ainsi. Au contraire, le coup du 49-3 est saisi à une échelle de masse comme l’occasion de repartir au combat, et c’est très bien ainsi.

Q : Mais la stratégie de l’intersyndicale n’est-elle pas, du coup, mise à mal ? Alors qu’elle appelait au 31 mars, la voila qui doit appeler tout de suite !

R : Le « 31 mars » est sans doute mis à mal, mais il serait plus juste de dire que c’est cette stratégie qui nous a mis à mal, car franchement, ce 49-3 était prévisible et prévu, il ne faut tout de même pas se raconter d’histoire. La lecture du Canard Enchaîné paru 4 jours avant laissait clairement comprendre jusqu’à sa date du samedi 29 février.

C’est donc en toute connaissance de cause que les directions nationales au niveau de l’intersyndicale ont, d’abord, choisi de contourner la date de démarrage du « débat » parlementaire, le lundi 17 février, où des syndicats de la RATP appelaient à la grève et où la coordination des AG a réalisé une petite manifestation vers l’Assemblée : par avance, avant cette date, l’intersyndicale a appelé au 13 et au 20. C’est vraiment ce qui s’appelle contourner pour protéger ! Et juste après, elle appelle à une date fort lointaine, le mardi 31 mars. En sachant pertinemment que d’ici là, nous avons la probabilité du 49-3, les élections municipales et un changement possible de premier ministre (rappelons qu’E. Philippe est candidat au Havre, ce qui permettra éventuellement de le changer à cause de sa défaite s’il perd ou à cause de son élection s’il gagne). Là aussi, c’est vraiment ce qui s’appelle prolonger pour protéger !

Les deux questions de stratégie syndicale efficace, que pose la situation présente, l’étaient déjà avant même ce 49-3, mais celui-ci doit permettre de les poser, et peut-être de les mettre en œuvre avec encore plus de nécessité et de force.

C’est la question d’une montée en masse contre Macron, centralisant l’affrontement. Et c’est la question de la sortie de la conférence de financement. Ces deux questions sont liées.

Q : Oui, mais là je t’arrête. Une manif nationale, ce n’est pas simple à organiser, et surtout il ne faut pas que ce soit un baroud d’honneur, comme l’ont été les manifs nationales en 2003 et en 2016. C’est en tout cas ce que l’on entend beaucoup dire dans nos organisations, en particulier dans la CGT.

R : Oui, on l’entend beaucoup dire, c’est vrai. Il est même arrivé que ces propos de bon sens apparent soient diffusés dans des intersyndicales, des AG locales ou des groupes de discussion avant même que qui que ce soit ait effectivement proposé de discuter d’une manif nationale.

Ce bon sens n’est qu’apparent. Tout de même, bien souvent, les mêmes responsables qui nous expliquent longuement que c’est vachement compliqué, pas bien vu dans certains secteurs, voila qu’ils nous appellent, ce lundi 2 mars, à être tous en grève demain mardi, comme si c’était facile. Ils savent très bien que ça ne sera pas suivi, même si tous ensemble nous savons très bien aussi qu’heureusement ça ne coupera pas l’élan prolongé de la majorité qui cherche la voie, non seulement de la bagarre, mais surtout de la victoire.

En 2003 et en 2016 les grandes manifs nationales n’ont pas du tout été des barouds d’honneur. Elles ont exprimé la force majoritaire du mouvement de manière concentrée, et elles étaient accompagnées de dizaines de manifs locales, les deux n’étant pas contradictoires. Elles ont surtout été un peu tardives car justement, elles ne se sont pas imposées aussi facilement que ça, vu qu’on entendait les mêmes discours. Et elles avaient une limite : elles se tenaient le week-end, non reliées systématiquement donc à la grève sur le terrain. Mais au lendemain de chacune d’elles, on a eu des appels soit à arrêter le mouvement, soit à reprendre la lutte … beaucoup plus tard.

Quand on veut gagner, on va ensemble là où ça se décide, au moment où ça se décide. C’est ce que les ouvriers dans une boite savent, au moment où se réunit par exemple le comité central d’entreprise. Même chose chez les enseignants avec les Inspections d’académie et les rectorats, ou dans les Hôpitaux avec les Agences régionales de santé, etc. Et quand c’est interpro, on vise les chambres patronales et, surtout, les préfectures.

Q : Pourquoi ce raisonnement syndicaliste élémentaire, que nous sommes des milliers à mettre en œuvre et par lequel, quotidiennement, périodiquement, nous limitons les dégâts, imposons des négociations en recul sur un plan social, évitons telle ou telle fermeture de classe ou d’école, pourquoi ce raisonnement cesse de fonctionner normalement dans nos organisations sitôt qu’on se place à l’échelle nationale ?

R : Parce que là, ce n’est plus le patron ou le chef de service la cible, mais le pouvoir politique : ministères, assemblée, gouvernement, présidence. La difficulté n’est pas technique, elle est politique. Une montée en masse contre eux serait tout sauf un baroud d’honneur. Elle peut soit couronner un processus de généralisation, soit le susciter ou le relancer. Ce n’est pas écrit d’avance. Mais le critère essentiel, c’est la détermination à gagner. Nos dirigeants syndicaux ne nous chantent-ils pas depuis trois mois qu’on va gagner ? Alors si on n’a pas peur de gagner, on ne doit pas avoir peur d’affronter le pouvoir central, et éventuellement … de le faire tomber.

Et ça, c’est syndicaliste. Ce qui relève de la pression sur l’indépendance syndicale, c’est au contraire la peur de renverser le pouvoir qui empêche de gagner, et qui conduit à l’ « inscription dans la durée » et à tous les problèmes de calendrier des luttes, de « temps forts », de journées appelées à la saint-glinglin, que nous ressentons tous cruellement depuis des années.

Q : Ouais … en effet. Et d’autre part pourquoi, selon toi, ne faudrait-il pas aller se faire entendre à la conférence de financement ?

R : Je ne veux pas pinailler, mais ce n’est pas « d’autre part ». Ne pas aller cautionner cette conférence, on va y revenir, va avec le fait de se faire entendre, justement, par la grève et dans la rue, par une montée en masse, par l’organisation d’assemblées générales et l’élection de délégués.

Depuis le début, on sait que cette conférence, demandée par Laurent Berger, a pour but non de discuter de ce qu’il faudrait faire en général, mais bien entendu de mettre en œuvre la contre-réforme du gouvernement, et cela, en plus, avant même qu’elle ne soit légalement adoptée. Mais avec le 49-3, le premier ministre E. Philippe explique ceci : si ladite conférence propose avant fin avril, avant la seconde lecture de la loi et l’examen de la loi organique qui doit traiter tout particulièrement de cette question, « des mesures assurant l’équilibre financier des retraites à l’horizon 2027, alors cela sera repris dans la loi. » Sinon « je prendrai mes responsabilités » (lui ou son successeur) «… aussi bien en matière de retour à l’équilibre que de pénibilité ». C’est très clair : la conférence n’existe pour rien d’autre que pour proposer ce que le gouvernement souhaite, et si jamais ce n’est pas le cas, il le fera quand même. Y aller est le contraire de la démarche syndicale basique consistant à aller où ça se décide quand ça se décide pour empêcher ou pour limiter les dégâts. Il n’y a que des dégâts à espérer en y allant. Ce n’est pas une démarche revendicative, et ça ne mérite surtout pas d’être appelé « réformiste » !

Et si les « partenaires », comme ils disent, sont sages, ils auront un susucre : si la dite conférence est « un succès », le « rôle des partenaires » pourrait être renforcé dans la « gouvernance du système universel », c’est-à-dire qu’il pourrait y avoir plus de sièges pour des sortes de sénateurs syndicaux pour, chaque année, « se concerter » sur la valeur fluctuante du point, dans le cadre de l’espèce de conseil des sages que prévoit la loi soumise au 49-3.

Bien sûr, on ne peut pas se contenter de dire « A bas la concertation ! Trahison ! Rompez avec l’ennemi ! ». Ces grands mots peuvent se comprendre mais ils risquent d’étayer la stratégie de la défaite des dirigeants. Le combat pour la montée en masse et la sortie immédiate de la conférence de financement sont les deux faces d’une même démarche, ce sont les points d’orgue d’un vrai plan de bataille qui motive, qui vise la généralisation de la grève, et le blocage du pays.

Q : Oui mais comment se fait-il que même des responsables syndicaux qui sont tout à fait d’accord pour ne pas aller à la conférence de financement, hésitent ou contrecarrent quand il est question de montée en masse et de grève générale ?

R : Dans l’écrasante majorité des cas, ceci n’a rien à voir avec de la « trahison » et renvoie à la culture de l’action dont nous parlions tout à l’heure, qui cesse d’avoir une démarche syndicale d’unité basique dès qu’il s’agit du pouvoir politique central. Cette culture a sans doute deux sources historiques : celle, bureaucratique, qui veut préserver le pouvoir ou toujours chercher à avoir de sa part un os à ronger quel qu’il soit, mais aussi la culture syndicaliste-révolutionnaire ou anarcho-syndicaliste qui ne sait pas poser la question du pouvoir qui devient alors un impensé.

A tous les syndicalistes honnêtes, l’écrasante majorité, nous disons tout simplement : on ne peut aller de l’avant si l’on a peur de renverser Macron. Pour notre part, nous disons sans ambages que le caractère de notre époque, en général et au moment présent, c’est que les revendications élémentaires posent la question du pouvoir. Mais on ne vous force pas à le dire, cela mérite discussion. Sauf que vous ne devriez plus essayer de contrer la tendance du mouvement réel de votre classe à se grouper pour régler son compte au pouvoir central en avançant des stratégies de lutte hyper-combatives, en apparence, mais qui esquivent l’affrontement central. Le 17 novembre 2018 et le 5 décembre 2019, notre classe a cherché celui-ci. S’y diriger, c’est la voie de la victoire.


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