L’Italie confinée, les classes populaires subissent

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : NPA

Nadia De Mond, membre de Communia network (IVe Internationale), raconte le développement de l’épidémie de Coronavirus qui s’est répandue en Italie et sur les revendications et actions mises en avant par les militantEs anticapitalistes sur place. Cela nous donne des pistes sur ce qui se déroulera dans les prochains jours en France et ce que nous pouvons faire.

L’ampleur de l’épidémie évolue de jour en jour. La contamination a dépassé les 15 000 cas en Italie. Cela comprend les personnes malades, les personnes guéries – environ 1250 – et celles qui sont mortes, qui ont dépassé un millier. Parmi celles qui sont malades, la moitié est à domicile en isolement et la moitié à l’hôpital, dont plus de 1000 en réanimation. Les places dans les hôpitaux, particulièrement en Lombardie, et notamment en réanimation, sont à peu près complètes. C’est dû au fait que, ces dix dernières années, le système de santé publique a été démantelé au bénéfice des hôpitaux privés. Il y a eu des coupes budgétaires d’à peu près 35 milliards d’euros depuis. Cela a produit une nette diminution du nombre de lits d’hôpitaux dans le public, d’environ 9 à 3 lits pour 1000 personnes. Donc on a une moyenne beaucoup plus basse que dans les autres pays d’Europe occidentale.

La crise sanitaire

Ce qu’on craint le plus en ce moment, c’est l’effondrement du système sanitaire, qui est en train d’atteindre ses limites dans les hôpitaux du Nord. Dans le Sud, la situation est beaucoup plus précaire de manière générale, donc très dangereuse aussi. Le gouvernement a pris des mesures drastiques, qui évoluent de jour en jour et qui créent une situation, peut-être pas de panique, mais en tout cas d’incertitude pour la population.

Il y a deux semaines, le gouvernement a décidé de fermer les écoles et cela va durer au moins jusqu’au 3 avril. Les premières mesures ont été d’isoler ce qu’on a appelé les foyers de l’infection, une douzaine de petites communes au sud de Milan, en Lombardie. Ces communes ont été isolées avec interdiction d’entrer et de sortir, sous la surveillance de la police sur les routes. C’était un isolement complet.

Les mesures d’isolement ont été élargie à toute la Lombardie puis, depuis le 11 mars, à toute l’Italie. Sont en vigueur des mesures de restriction du droit de se déplacer, sauf pour des raisons d’urgence. Le gros problème est qu’on dit aux gens de rester chez eux mais, en même temps, qu’il faut continuer d’aller travailler. Le gouvernement veut éviter un arrêt de la production.

Les conséquences pour la population

On ne peut sortir que pour faire ses courses ou pour se soigner. Les bars, les restaurants, tout est fermé, à part les pharmacies, les magasins d’alimentation et les tabacs. Tous les rassemblements sont interdits, en intérieur comme en extérieur, avec des amendes prévues quand on ne respecte pas ces mesures et même des peines de prisons en cas d’infraction grave.

Les précaires et les travailleurEs autonomes, qui n’ont pratiquement pas de Sécurité sociale et doivent rester à la maison, n’ont pas de revenu. Il y a donc de grandes difficultés. Le gouvernement va finalement libérer 25 milliards d’euros pour répondre à cette situation, financer des mesures face au chômage temporaire. On ne sait pas encore comment ça va être distribué mais il y aura des mesures d’aide pour les parents qui doivent garder leurs enfants, car il y a une contradiction entre fermer les écoles et le fait que les entreprises et le secteur public ne sont pas fermés. Des mesures vont aussi permettre de prendre plus de congés.

Des supermarchés, des bureaux de poste et des banques sont ouverts, mais on doit toujours garder une distance d’un à deux mètres avec les autres personnes, donc les entrées sont limitées. C’est la même chose quand on se promène : il faut garder ses distances et ne pas trop s’éloigner de son domicile.

Ces mesures sont indispensables pour éviter un crack complet du système sanitaire.

Des revendications ouvrières

Il y a des grèves spontanées dans certaines villes de la Lombardie, comme Brescia, Mantova, Bergame, de la part d’ouvriers qui veulent que la production s’arrête car dans les usines on ne peut pas garantir les distances de sécurité. Ces demandes sont soutenues par les syndicats de la métallurgie, qui demandent avec insistance au gouvernement de bloquer la production, au moins jusqu’à ce qu’on ait mis en sécurité les usines.

Nous, on demande l’arrêt de toutes les activités économiques à part les secteurs indispensables, tout en garantissant le revenu à 100% de toutes les travailleuses et travailleurs qui sont obligés de rester à la maison. On demande le retour des hôpitaux dans le secteur public et le réinvestissement dans le secteur de la santé publique et l’extension de toutes les mesures d’aide au maintien des revenus de touTEs les salariéEs du secteur informel, ainsi que des aides supplémentaires pour les parents. On demande aussi une coupe nette dans les dépenses militaires pour transférer l’argent dans les hôpitaux et la santé.

Fuori Mercato, le réseau dans lequel nous militons dans une dizaine de villes, organise des activités solidaires, d’entraide pour les personnes en difficultés, pour les baby-sitting, l’aide scolaire, ainsi que de l’aide pour apporter des aliments aux personnes en difficulté, en lien avec les productions biologiques et autogérées. On a beaucoup d’appels téléphoniques de personnes qui ont besoin d’aide, mais aussi de personnes qui veulent se porter volontaire pour organiser la solidarité. On fait aussi du conseil par rapport au droit du travail et aux droits syndicaux car beaucoup de travailleurEs ne savent pas comment se défendre tant au niveau de la santé qu’au niveau économique. L’espace Ri-Make à Milan, qui appartient au réseau Fuorimercato, par exemple, a lancé dans ce sens la campagne « Non sei solo/a » (« tu n’es pas seulE ») pour passer de l’isolement obligé à l’action collective.

Ce qui est clair, c’est cette crise exacerbe les inégalités et les injustices « normalement » existantes dans notre société et au niveau géopolitique en les rendant pratiquement insupportables. « Rester chez soi » ça veut dire quoi pour les familles qui vivent à quatre dans 50m2 ? Pour les femmes victimes de violence domestique ? Pour les migrantEs et réfugiéEs sans papiers. Pour les SDF ? En même temps, des initiatives de solidarité spontanée et de rejet de ce système mortifère surgissent sur lesquelles on espère compter à moyen terme.

Même si on ne peut qu’accepter, pour des raisons mises en évidence par touTEs les scientifiques, les mesures sanitaires draconiennes que le gouvernement a prises jusqu’ici, on est conscient du danger de l’introduction – par le biais de l’urgence de la situation– des règlements liberticides qui pourront introduire une nouvelle forme d’autoritarisme. Une fois l’urgence dépassée, nous devrons être à la hauteur de ce nouveau défi.


Déclaration de Sinistra Anticapitalista

Par Sinistra Anticapitalista

En face d’un risque aussi important pour la santé du publique, il ne faut pas se tromper : la priorité est d’empêcher une ultérieure diffusion de la contagion.

S’inquiéter de la santé publique n’est pas moins de la responsabilité du gouvernement que de la responsabilité de chacune et chacun d’entre nous.

Nous avons le devoir de contribuer à la sauvegarde de toutes et de tous, en particulier des personnes âgées et des personnes les plus faibles, comme les immunodépressifs.

En ce moment même, nous ne pouvons pas accepter que les mesures nécessaires à l’endiguement de la maladie retombent sur les épaules des travailleuses et travailleurs salariés, des précaires, des travailleuses et travailleurs autonomes.

La crise sanitaire ne date pas d’aujourd’hui, elle est l’effet des coupes budgétaires sauvages qui ont saigné à blanc les services de la santé publique, coupant 70,000 lits et réduisant drastiquement ceux des soins intensifs !

Ces coupes ont été effectuées au nom de la « réduction de la dette », des « règles budgétaires européennes », de la « compétitivité », qui n’ont bénéficié qu’aux organisations privées de santé et aux riches, en privant des millions de citoyennes et citoyens de leur droit à la santé.

Au moment même où le pays vient d’être bloqué pour empêcher la future propagation du virus, des millions de travailleuses et travailleurs peuvent se déplacer pour se rendre à leur poste de travail, se mettant en danger soi-même et, involontairement, les autres.

Ces travailleuse et travailleurs sont en outre le plus souvent équipées des équipements de sécurité les plus rudimentaires et mis dans la condition objective de ne pas pouvoir respecter les nécessaires dispositions sanitaires et d’hygiène sur leur propre lieu de travail.

Personne n’a plus d’intérêt à l’arrêt de la contamination que les travailleuses et les travailleurs, les personnes âgées et les personnes les plus faibles. Mais, pour endiguer l’épidémie, il faut des mesures conséquentes.

            Parce que le droit à la santé passe avant le profit nous voulons :

1) l’arrêt, toujours possible, des activités économiques non immédiatement nécessaires, en taxant des ressources extraordinaires (aussi par le biais d’une taxation/imposition du patrimoine) pour garantir les postes de travail, en tenant compte des plus précaires et les travailleurs du secteur privé. De plus, nous voulons la couverture totale du salaire des travailleuses et des travailleurs dont l’activité est suspendue.

2) le respect des garanties de sécurité pour toutes les travailleuses et tous les travailleurs des secteurs dans lesquels l’arrêt de l’activité n’est pas possible ; avec cela, la distribution par l’état du matériel de protection adéquat (masques, gel désinfectant, etc.)

3) La garantie de la continuité d’un revenu pour toutes les travailleuses et les travailleurs empêchés dans le déroulement de leurs propres activités à cause des mesures extraordinaires en cours, comme le confinement à la maison, si positif à l’infection. Nous demandons donc un revenu de quarantaine à maintenir pour toute la durée de la crise.

4)  le changement des normes qui imposent aux travailleuses et aux travailleurs d’être responsable de la suspension ou de la réduction de l’activité de l’entreprise par la prise de congés maladies, de congés parentales (et seulement à 30 %…) ou des vacances. Sans compter sur le concret risque de licenciement de la part des entreprises, rendues plus agressives par l’introduction du Job’s Act. Ces droits sont des droits inaliénables des travailleuses et des travailleurs, et donc sujet à leur exclusive disponibilité !

5) La suspension, jusqu’à la fin de la crise sanitaire, de tous les payements échelonnés vis à vis des banques et des différentes institutions financières (emprunts, crédits, etc.) mais aussi du recouvrement des loyers aux sociétés immobilières.

6)  Des dispositions urgentes d’amnistie. La situation des prisons est depuis longtemps explosive, et les conditions de vie des détenus, qui sont par ailleurs dans la majorité des cas derrière les barreaux pour des infractions/délits mineurs, sont maintenant encore plus insupportables. Le risque de contracter l’infection dans des zones surpeuplés et insalubres, et l’incroyable brimade qui consiste à interdire aux détenus de rencontrer leurs familles, a déchaîné la révolte et avec elle, des détenus sont morts dans les geôles de Modène, dans des circonstances encore peu claires. Dans tous les cas, nous voulons la traduction de la peine en une peine à domicile pour réduire concrètement le risque d’infection et donner aux détenus la possibilité de vivre avec leurs proches.

7) Un blocage des expulsions et le retour des migrants expulsés qui, dans cette situation, n’ont pas les conditions pour une effective action de recours en justice, et, les services de l’immigration des préfectures de police ayant été fermés, ils n’ont pas pu obtenir la possibilité du renouvellement du permis de séjour. La libération immédiate de toutes les personnes détenues dans les centres de permanence pour le rapatriement ; où le risque de contracter l’infection est très haut.

Nos vies valent plus que leurs profits !

Sinistra anticapitalista, le 10 mars

Nadia De Mond


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