« Quoi qu’il en coûte » x3. Macron contaminé par ses contradictions

Macron a donc pris la parole, jeudi 12 mars, 7 semaines après le déclenchement de l’épidémie en France. En se posant en tant que « père de la nation », en faisant des appels au bon sens de chaque citoyen.ne.s, en appelant à « l’union sacrée », il s’est présenté en tant que chef de guerre qui, en première ligne, veut montrer qu’il prend à la fois toutes ses responsabilités tout en ayant conscience de ses limites en tant qu’individu, démuni face à un ennemi si dangereux. En insistant sur les affects que réveillent une telle situation, Macron vient donc proposer une sorte de pacte national, mettant à contribution tout le monde, dans un élan d’empathie globale. En un mot, il appelle à faire peuple.

Des mesures bien trop tardives et gravement insuffisantes

Macron fait la leçon, mais le pays est gravement démuni face à l’épidémie par sa propre faute. Le premier cas est apparu en France le 24 janvier et le gouvernement n’a rien fait, à part conseiller aux gens les fameux gestes barrière, dont le fait de se laver fréquemment les mains avec du gel hydroalcoolique, rapidement en rupture de stock par ailleurs. Macron voulait coûte que coûte maintenir l’activité économique. Pourtant, l’expérience de la Chine et de l’Italie montre que pour endiguer l’épidémie il faut prendre le plus tôt possible des mesures de fermetures de tous les établissements scolaires et des mesures de confinement massives. La Grèce, avec 99 cas recensés, a immédiatement fermé toutes les écoles; en Autriche, comme à Madrid, tous les commerces seront fermés, à l’exception des commerces d’alimentation, des pharmacies, des tabacs et des kiosques à journaux. Macron porte donc la responsabilité de l’expansion déjà considérable de l’épidémie en France, avec une courbe qui suit celle de l’Italie avec 8 ou 9 jours de décalage.

Mais qu’en est-il des mesures concrètes décrétées par le gouvernement pour faire face à une pandémie qui ne va cesser de se développer ? Dans le discours, le peu d’éléments pratiques évoqués par Macron reposent majoritairement sur les individus et sur les sacrifices individuels : on en appelle à la solidarité, on demande à ceux-ci de ne pas sortir et à celles-ci de se proposer pour garder les enfants, on insiste sur la nécessité de « raison garder ». Depuis vendredi 13, les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits, mais les lieux de travail, hormis les écoles et les « espaces culturels », ne sont pas fermés. Et encore, ces fermetures sont des effets d’annonce : les directives des Rectorats visent à obliger les personnels de l’éducation nationale à se rendre lundi sur leur lieu de travail. De la même manière, les rames de métro et de RER blindées sont tout simplement ignorées, tout comme les wagons de train qui regroupent environ 100 personnes. Après l’effet d’annonce, il est donc temps de mettre en évidence que d’un côté, l’agenda gouvernemental reste celui de la nécessité de maintenir et développer l’économie et, de l’autre, de contenir la pandémie : deux agendas totalement contradictoires.

Des mesures d’urgences dans l’hôpital à décider dès maintenant.

Il est vrai que dans ce discours, Macron semble avoir pris conscience de l’importance de certains services publics, en particulier celui de la santé. Répétant ici et là « qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché » ou que « la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre État-providence, ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux », on pourrait presque se féliciter d’un virage à gauche d’un président tellement marqué à droite. Mais après plus d’un an et demi de lutte intensive dans le milieu hospitalier, de grèves particulièrement dures dans certains services, de démissions, de réduction de budget, etc, la pilule reste difficile à avaler. Lui-même, qui déclarait au début de son quinquennat à une infirmière « qu’il n’y a pas d’argent magique »1 se dit aujourd’hui prêt à tout faire pour combattre le virus, « quoi qu’il en coûte ». Dès lors, il doit d’abord répondre immédiatement aux revendications des services hospitaliers, c’est-à-dire  l’investissement immédiat de 4 milliards d’euros dans l’hôpital public, l’embauche de 40 000 infirmier.e.s, la hausse des salaires de 300€, le passage aux 32h. Mais de plus, considérant que « toutes les capacités hospitalières nationales ainsi que le maximum de médecins et de soignants seront mobilisés », il doit impérativement réquisitionner les hôpitaux et les cliniques privées, afin de les mettre au service de la population, et pas seulement de sa frange la plus riche qui a accès en priorité aux dépistages, aux soins et à l’accompagnement, ayant la possibilité de payer pour ça. Enfin, il faut réquisitionner les entreprises qui produisent le matériel médical, qu’il s’agisse de masques, d’appareils respiratoires, etc. Rien ne laisse penser qu’il le fera, mais prenons un pari (la côte est à 100 contre 1, c’est  « le moment de faire de bonnes affaires »2), dans la mesure où il a déclaré que « des biens et des services […] doivent être placés en dehors des lois du marché ».

« Le virus continue de se propager et est en train de s’accélérer »

Tou.te.s les spécialistes le disent et c’est en effet la réalité : la pandémie s’étend partout. Les mesures drastiques qui ont été prises en Italie et depuis dans la quasi totalité des pays européens peuvent se résumer en un mot : confinement. Il est évident que cette politique prête à réflexion et à interprétation, particulièrement à l’heure où l’État d’exception apparaît régulièrement comme un moyen d’intensification de contrôle social sur les populations3. Pour autant, dans la mesure où le COVID-19 est à la fois un virus à expansion rapide et a un taux de létalité non négligeable, il apparaît absolument nécessaire, pour le contenir au mieux puis l’endiguer, d’éviter au maximum les contacts entre individus. C’est dans ce sens qu’il faut considérer la fermeture des écoles, des collèges et lycées ainsi que des universités. Par ailleurs, cette fermeture est elle aussi une annonce vague et qui n’est pas, en pratique, suffisante. En effet, dans les ministères, les rectorats, et les directions d’université, si les établissements seront fermés aux étudiant.e.s, on souhaite quand même une continuité : il est demandé  que les agent.e.s, personnels, enseignant.e.s viennent tout de même lundi sur leur lieu de travail. Le confinement ne sera donc pas  totalement mis en place.

De même, c’est ici aussi qu’il faut comprendre l’annulation de rassemblements regroupant, il y a quelques semaines 5000 personnes, à 100 aujourd’hui. Le gouvernement, malgré toutes les critiques que nous pouvons lui porter, n’a politiquement aucunement intérêt à voir le virus dévaster une partie de la population – même si ce virus va majoritairement toucher, en plus des soignant.e.s, les personnes considérées comme inutiles par le capitalisme : celles qui sont âgées ou dont la santé est fragile, les précaires au sens large, mais aussi les exilé.e.s, déjà parqué.e.s dans des conditions atroces qu’imposent les Centres de Rétention Administrative ou les prisonnier.e.s, entassé.e.s à 3, 4 si ce n’est plus dans des cellules de 9 m2.

Ce que signifie pourtant la défiance quant à ce type de mesures, c’est bien le tournant autoritaire qu’a pris le gouvernement Macron depuis son accession au pouvoir : de la militarisation de masse de la police à l’usage récent du 49.3, les mesures drastiques nécessaires – et pour l’instant insuffisantes – à l’affrontement du virus ne peuvent manquer de faire écho à une privation de liberté toujours plus accentuée. Qu’il se présente donc en père de la Nation dans un moment aussi critique ne semble finalement tromper personne, et l’on se prépare plutôt à l’attendre au tournant. Car s’il y a bien des éléments qui ne cessent d’interroger ici et là, ce sont les mesures – ou plutôt l’absence de mesures, à l’heure actuelle – autour des centres de production, des centres logistiques où commerciaux ; autour des lieux économiques.

Des contradictions de la start-up nation.

Nous l’avons dit : même un adepte du néolibéralisme à outrance comme Macron peut, dans un moment de panique, estimer que les services publics ont finalement un intérêt. Même, dans un élan de lucidité, il en viendrait à considérer qu’il faudra « interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour ». C’est beau, mais ça n’engage à rien. À l’heure actuelle – et ça sera pareil dans un mois –, la priorité pour lui n’est pas là. Au contraire, elle est au maintien, autant que possible, de l’activité économique. C’est ici qu’il faut comprendre que ni les transports, ni les centres industriels, pas plus que les centres logistiques (comme La Poste, les ports et docks, etc) ne sont impactés par des fermetures. Au contraire, au prétexte que les transports sont indispensables pour, notamment, les soignant.e.s, Macron décide de les laisser fonctionner. Pourtant, si les rassemblements de plus de 100 personnes sont interdits, pourquoi les nœuds de fréquentation comme Gare du Nord à Paris, où 700.000 personnes évoluent chaque jour, restent ouvert ? La réponse reste simple : pour permettre aux travailleurs/euses, qui n’ont pas la possibilité de « télétravailler », de se rendre au charbon. Dans le BTP, les usines, les commerces et ailleurs, il faut continuer de travailler. Protéger la population s’avère donc particulièrement sélectif.

Les principales mesures concrètes sont encore pour le patronat

Surtout, parmi le peu de mesures concrètes avancées par Macron, les principales sont en direction du patronat : l’État volera au secours des entreprises impactées par le virus … ou non, car : « toutes les entreprises qui le souhaitent pourront reporter sans justification, sans formalité, sans pénalité le paiement des cotisations et impôts dus en mars ». Une exonération de cotisations, un vrai cadeau, plus puissant encore que le CICE qui demande – au moins pour la forme – une contrepartie en terme d’emplois. Mais la suite du cadeau est encore plus grande : « L’état prendra en charge l’indemnisation des salariés contraints à rester chez eux ». Dès lors, dès qu’une entreprise voudra se séparer de ses employé.e.s, au motif d’une baisse d’activité suite au virus par exemple, elle n’aura rien à débourser, laissant dès lors la porte ouverte à une multitude de fin de contrats illégaux rendus légaux. Il est évident que les salarié.e.s qui doivent rester chez elles/eux, notamment suite à la fermeture du lieu de travail, doivent conserver l’intégralité de leur salaire. Ce qui ne l’est pas, c’est que cela puisse permettre aux employeur de s’en séparer à moindre frais. De plus, si l’État prend en charge l’ensemble des salaires, il est évident qu’il y aura une répercussion directe une fois la crise passée, soit sur les impôts directs – et peu de chance que ce soit par un retour de l’ISF – soit par d’autres moyens, notamment autour des droits sociaux. Car si la crise sanitaire est un événement beaucoup trop grave et dangereux pour le laisser aux cyniques ou aux complotistes, il ne faut pas moins détacher son irruption du contexte social général que nous vivons en France.

Le programme politique de Macron est un programme néolibéral dur, dont l’objectif est la restauration et l’augmentation rapide des profits pour les capitalistes au sens large. Pour atteindre ces objectifs, les lignes sont déjà tracées : destruction minutieuse du code du travail (« Loi Travail XXL »), privatisation du service public (Réforme du rail), privatisation de l’université et de la recherche (Loi ORE, LPPR), destruction de l’assurance chômage, destruction du régime des retraites, destruction de l’enseignement public (Parcoursup, Réforme du bac). Mais ce n’est pas fini : les attaques à venir concernent de nouveau l’assurance chômage (avec une baisse énorme des allocations pour avril 2020 qui plongera dans la misère des centaines de millier de personnes), puis la sécurité sociale. Macron tape dans le cœur de « l’État providence » qu’il prétend pourtant chérir, « État providence » bien mis à mal par ailleurs par ses prédécesseurs. Qu’une chose soit sûre : nous sommes bien loin de l’État providence, et Macron s’attaque finalement à ce qu’il reste de services publics, tout simplement. Et crise sanitaire ou pas, cela restera sa politique, ce pour quoi il a été élu, ce pour quoi il maintiendra le cap. Ce n’est donc pas un discours se prétendant réparateur qui changera le fond de son idéal politique.

Disruption VS réalité

Finalement, il semble que Macron a disrupté son propre langage politique, en faisant côtoyer les termes « état providence », « modèle de société », « solidarité », « marché », « nation », « union sacrée » auxquels il ne nous avait pas habitué. C’est bien mais ça ne sert à rien. Les mesures qu’il a annoncées sont largement insuffisantes pour faire face à la menace que représente le virus. Immédiatement, des moyens considérables et rigoureux doivent être mis en place.

La crise sanitaire recoupe donc une crise politique qui met en évidence les catastrophes monumentales dont le capitalisme est responsable. L’urgence n’est certainement pas à l’union sacrée, mais à l’union de classe, pour faire face à l’ensemble d’un système, de ses représentants et de ses agents. Il est urgent de nous organiser, donc de nous rencontrer et de tracer en commun les axes qui pourront permettre de proposer en positif un modèle de société alternatif, qui sera rendu possible par la pratique. Par ailleurs, la situation que nous traversons met en évidence un élément : l’internationalisme est indispensable. Si chaque État prend des dispositions au fur et à mesure, nous voyons bien que c’est dû à la panique générale plutôt qu’à une politique coordonnée, réfléchie, mesurée. Cela montre à quel point le capitalisme ne réfléchi qu’à court terme, dans la logique du chacun pour soi, et ce malgré une interdépendance/mise en concurrence intrinsèque – et une dépendance imposée à la majeure partie des pays du Sud Global. Nous devons absolument construire, pérenniser et maintenir des liens internationaux, de classe, pour enfin briser cette domination qui nous mène droit vers la catastrophe

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