Edouard Limonov (1943-2020): mort d’un provocateur aux mille vies

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SOURCE : Marianne

Grand et prolifique écrivain russe, politicien atypique et provocateur, Edouard Limonov est décédé le 17 mars à Moscou à 77 ans. Mélange d’ascèse et d’immodestie, maîtrisant parfaitement le français, l’anglais et l’ukrainien, l’ex-dissident et émigré était amoureux de la Russie, tout en suivant passionnément l’actualité mondiale.

Né Edouard Savenkov, voici 77 ans à Djerzinsk (non loin de Nijny Novgorod), élevé dans une banlieue ouvrière de Kharkov, en Ukraine, l’écrivain et homme politique russe Edouard Limonov est mort ce mardi 17 mars à Moscou, « des complications qui ont suivi deux opérations oncologiques», selon le site russe Svoboda.. Plutôt chétif, mince et la mise soignée, coiffé de cheveux blancs à la mèche rebelle, il était surnommé « Grand père » par ses admirateurs, nombreux parmi les jeunes.

Mélange insolite d’ascèse et d’immodestie, Limonov, autodidacte auteur de plus de 80 livres, était vraiment atypique. Il avait annoncé le 13 mars sur Facebook qu’il venait de signer un contrat avec l’éditeur russe Individuum, pour publier un nouveau livre, intitulé Le vieux voyage et « déjà écrit », selon lui. Parmi ses derniers posts, la défense du « pauvre Harvey Weinstein, condamné à 23 ans de prison », et la chronique énamourée des gilets jaunes en France, chaque samedi. Sans oublier le rejet définitif des affirmations de l’écrivain Zakhar Prilépine, auto-proclamé cofondateur, en 1996, de l’antenne de Nijny Novgorod du parti national-bolchévique. « C’est faux. L’antenne a été fondée en 1998, par quelqu’un d’autre », tranche Limonov, photo à l’appui, qui met également en doute la véracité des récits de Prilepine dans le Donbass.

“L’ÉTINCELLE DE DIEU”

Le 22 février, jour de son 77è anniversaire, Limonov écrit : « C’est beaucoup. Le corps se bloque parfois, mais «l’étincelle de Dieu» à l’intérieur est peut-être encore plus brillante ». Avant de se flatter d’avoir reçu les félicitations d’un conseiller du Président Poutine pour les affaires culturelles, Vladimir Tolstoï, et de l’ultranationaliste Vladimir Jirinovsky.

Ecrivain réputé dans son pays, Limonov y était aussi considéré comme un original voire un provocateur, depuis qu’il avait fondé, en 1994 avec l’idéologue d’extrême droite Alexandre Douguine,le très radical parti national-bolchévique, à la fois révolutionnaire et ultra-nationaliste, bientôt interdit par les autorités russes. Sa gloire culmina au début des années 2000, lorsqu’il fit un séjour en prison pour une tentative de soulèvement armé au Kazakhstan.

Mais c’est grâce à la biographie que lui consacrée en 2011 Emmanuel Carrère, couronnée par le prix Renaudot, qu’il est devenu mondialement célèbre. Ravi de cette publicité, Limonov a pourtant toujours affirmé n’avoir jamais lu l’ouvrage. En Russie, sa « traduction » a eu un succès limité, étant donné que le livre est pour l’essentiel constitué d’extraits de son œuvre.

FRANÇAIS D’ADOPTION

Pour autant, il est somme toute logique que cette biographie soit née en France, qui plus est sous la plume du fils de la très russophile Hélène Carrère-d’Encausse : l’ex-voyou de Kharkov, devenu poète puis dissident à Moscou, a émigré en 1974 aux Etats-Unis, où il a écrit le cultissime et autobiographique Le Poète russe préfère les grands nègres (en russe, “C’est moi Edictchka”), avant de s’installer en France en 1980. Là, lié à Jean-Edern Allier, à Marc-Edouard Nabe et Patrick Besson, il deviendra un pilier de l’Idiot international, avant de se voir accorder la nationalité française en 1986. Il s’égarera un moment en Bosnie, aux côtés de criminels de guerre grand-serbes, avant de rentrer dans son pays défendre la cause de le Grande Russie.

Nous avions rencontré ce parfait francophone à Moscou, en 2005, à l’époque où l’opposition, de gauche à droite, s’était unie contre Vladimir Poutine.

Après les élections contestées de 2011, et les grandes manifestations de rue durement réprimées qui les ont suivi, Limonov avait cru son heure arrivée : ilavait renoncé à sa nationalité française, pour se présenter à la présidentielle de 2012, comme candidat de l’opposition unifiée. Mais l’opposition ne l’avait pas suivi, et sa candidature n’avait pas été enregistrée, comme c’est souvent le cas des opposants au Kremlin. Depuis lors, son étoile avait pâli. C’est pourtant lui qui a conçu plusieurs idées d’actions citoyennes de protestation : ainsi la celle de la « stratégie 31 », en référence à l’article 31 de la Constitution, portant sur la liberté de réunion, prévoyant d’aller manifester les 31 du mois.

PRO ANNEXION DE LA CRIMÉE

Désormais plutôt isolé au sein de l’opposition démocratique, Limonov fut l’un des seuls en son sein à s’être réjoui de l’annexion de la Crimée en 2014. Sans pour autant cesser ses critiques à l’égard de Poutine, dont il fustigeait l’anti-démocratisme et l’ultralibéralisme. Loin de l’applaudir pour la Crimée, il lui reprochait de ne pas avoir envahi le Donbass et une partie du Kazakhstan, « où vivent pourtant 4 millions de Russes ». Se disant visionnaire, il revendique d’avoir été le premier à réclamer le retour de la Crimée à la Russie et reproche au régime poutinien de lui voler la paternité de ses idées.

Son soutien à l’annexion de la Crimée lui a pourtant permis de revenir à la télévision publique russe et même d’avoir une chronique dans les Izvestia très pro-Poutine. Interviewé par le blogger très populaire Youri Doud en août 2018, qui l’asticote sur ses relations avec le pouvoir poutinien, Limonov se défend d’être manipulé et se dit convaincu de devoir continuer son combat. Interrogé sur la mort, il se dit convaincu que son décès lui vaudra un deuil national…


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