Leur guerre et la nôtre…

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SOURCE : Convergences révolutionnaires

« Pour vous protéger et protéger les autres, restez chez vous ! », telle est la propagande officielle. Mais les mêmes qui nous répètent ces consignes, voire injonctions au risque désormais d’amendes lourdes, incitent pourtant le gros des travailleurs, ceux qui n’ont pas accès au télétravail et/ou n’ont pas d’autre échappatoire (garde d’enfants ou raisons médicales), à aller tous les jours au « taf », y retrouver des dizaines, des centaines voire des milliers d’autres, s’y frotter dans les vestiaires, sur des chantiers ou sur des chaînes. Pour des services, productions ou activités qui ne sont en rien vitales. Et en ce début de semaine où le nombre de victimes grimpe dangereusement, où il est question de renforcement du confinement, les pressions patronales sont pourtant de plus en plus patentes, appuyées par les ministres de l’économie et du travail, qui poussent ainsi des millions de travailleuses et travailleurs… à ne pas rester chez eux, à ne pas se protéger ni protéger les autres !

Bruno Le Maire a salué le « courage d’aller au travail » de celles et ceux qui assuraient ainsi la bonne marche de l’économie (et il ne parlait pas des hospitaliers) ; Muriel Pénicaud a dénoncé les patrons du BTP, selon elle trop timides à exposer des salariés au risque. Ce ne sont pas les costards-cravates qu’on voit dans les bus, les trains de banlieue ou sur leurs scooters et vélos (ni seulement des soignants ou d’autres qui se déplaceraient avec une raison d’intérêt général) : ce sont les travailleuses et travailleurs des boîtes de nettoyage, de l’industrie et du bâtiment, les livreurs… le gros des « prolos ». D’un côté le gouvernement mobilise 100 000 policiers pour traquer ceux qui promènent leur chien, font un brin de jogging ou cherchent à respirer trois secondes hors de leur HLM de cité, car il ne faudrait pas croiser davantage que cinq personnes par jour ; de l’autre il oblige des hommes et des femmes à continuer à se rassembler par centaines de milliers, au total, sur des lieux de travail. Où est l’erreur ?

Beaucoup de travailleurs se sont aussitôt regimbés, spontanément ou à l’initiative de militants locaux, ont imposé ou bataillé pour imposer leur droit de retrait. Une nouvelle forme de grève, en réalité. En particulier à La Poste mais aussi dans les transports, dans l’industrie, sur des chantiers. Malgré des conditions nouvelles et quasi-surréalistes d’échange d’informations par des réseaux virtuels, une lutte est entamée, se coordonne et se fait connaître… une lutte de classe qui – illico presto – riposte à la guerre que Macron a déclarée au monde du travail.

« La vague est là. Nous devons faire face à l’urgence sanitaire, protéger les plus faibles, nos aînés, et ensuite notre système de santé lui-même. » (Premier mensonge d’Emmanuel Macron au Journal du Dimanche, le 22 mars 2020).

Le mot « guerre » avait été prononcé sept fois par Macron dans un premier discours. Il le répète le 22 mars dans une interview donnée au Journal du Dimanche, « c’est la guerre » et il précise « elle va durer »… « la vague est là ». Oui, près de 700 morts en France, plus de 5000 en Italie, et une situation en France qu’on nous promet similaire à celle de l’Italie dans 15 jours à trois semaines. Par ailleurs un milliard d’infectés dans le monde, et une pandémie qui gagne des pays où l’état sanitaire est bien pire qu’en Europe… Macron nous alerte, c’est pourtant en toute connaissance de cause que lui et les siens ont choisi de ne pas anticiper, de ne pas prévenir, parce que non conforme à leur politique de sauvegarde des profits ; en toute conscience qu’ils privilégient « l’urgence économique » à « l’urgence sanitaire ».

Une grande partie des questions et interrogations que se pose pêle-mêle une population angoissée, témoigne précisément de la politique criminelle menée en haut lieu. Pour arrêter le virus, ne faudrait-il avoir davantage de lits dans les hôpitaux, davantage de places en services de réanimation, davantage de tests de dépistage, davantage de masques de protection, davantage de sérieux dans les mesures « barrières » et de confinement (entre autres l’interdiction de toute activité commerciale, industrielle ou bancaire non indispensable à la gestion sanitaire de la crise) ? Ces questions envahissent les conversations et débats sur les plateaux de télés, écrans d’ordinateurs et téléphones portables, réseaux sociaux et vidéoconférences. Et ce qui est au cœur du débat sur la question, c’est bien l’impéritie de ceux qui nous gouvernent.

Car à coup sûr, il n’aurait pas fallu fermer 13 631 lits dans les seuls hôpitaux publics ces six dernières années. Il n’aurait pas fallu qu’en France – un des pays les plus riches du monde – on ait seulement 7000 places d’accueil en réanimation dans les hôpitaux publics, dont seulement 2000 disponibles selon les chiffres donnés par le directeur général de la santé Jérôme Salomon, mardi dernier, quand 1122 patients atteints du Covid-19 étaient déjà en réanimation à cette date. Il n’aurait pas fallu se trouver en pénurie de masques et dans cette situation risible d’un ministre de la santé tout juste capable d’avouer qu’il en a « commandé » 250 millions… en nombre suffisant ou pas, mais qui ne sont pas arrivés, de toute façon ! Il n’aurait pas fallu être dans l’incapacité de tester sérieusement la population malade par simple manque de moyens – matériels et réactifs ! Il n’aurait pas fallu mettre l’hôpital sous la loi de la rentabilité capitaliste alors qu’une société civilisée devrait mobiliser des moyens infinis au service d’une santé publique, gratuite pour toutes et tous.

Qui plus est, de la part des Macron et & qui osent aujourd’hui nous alerter, il n’aurait pas fallu rester sourds aux alertes du milieu des soignants, à des années de protestation – par des grèves et dans la rue – du personnel hospitalier, toutes catégories confondues. L’impréparation à la pandémie de Covid-19, qui succède pourtant à de nombreuses autres pandémies qui ont inquiété les autorités médicales et scientifiques, est le résultat d’un choix de gouvernance, au strict service d’intérêts capitalistes juteux et égoïstes, choix qui a été celui de tous les gouvernements précédents, dits de gauche comme de droite.

Derrière l’affolement qui semble s’être emparé y compris des hautes sphères gouvernementales et patronales, qui ont soufflé le froid et le chaud, donné des ordres et des contre-ordres, asséné des vérités et des mensonges appuyés sur des avis aussi « autorisés » que discordants (certes ce virus était jusque-là inconnu ou mal connu au bataillon), il se cache bel et bien une politique de classe. Tandis que l’écrasante majorité de la population a les yeux fixés sur le nombre exponentiel de victimes et sur les 39° du thermomètre, eux prennent la température de leur économie au cul de leur système que sont les bourses mondiales.

« Nous allons affronter une crise financière sans précédent, une crise de l’économie réelle. Nous ne sommes pas au bout de ce que cette économie va nous faire vivre. » (Suite des propos et mensonges d’Emmanuel Macron au JDD, le 22 mars)

Après les pleurnicheries et mensonges sur la crise sanitaire, Macron en arrive vite au vif du sujet, aux intérêts de ses amis riches et possédants. Sur le thème « pas de panique, l’Etat paiera ». Et d’esquisser aussitôt les grandes lignes d’un plan d’urgence économique, c’est-à-dire de sauvegarde des intérêts patronaux, soumis au parlement quelques jours après sa première intervention.

On a donc assisté, le jeudi 19 mars, à une première séance inédite où tous les parlementaires (572 sur 572, pas un ne manquant à l’appel, du RN au PCF en passant par la FI au grand complet – de Clémentine Autain à François Ruffin en passant par Eric Coquerel !) ont voté au gouvernement le pouvoir spécial d’arroser largement le patronat (345 milliards aux entreprises), avec les deniers publics que le pouvoir refuse aux hôpitaux. Quelques jours plus tard, sous couvert d’« urgence sanitaire » (santé des profits ?), une large majorité s’exprimait au parlement en faveur de la légalisation de mesures d’exception déjà prises, à la fois pour limiter drastiquement les libertés de circulation et rassemblement, à la fois pour permettre au patronat de déroger au code du travail en matière de congés, de durée du travail et d’emploi/chômage partiel (cette fois sans les voix du PC et de la FI, qui n’ont contesté qu’à la marge mais admis le principe d’une nécessaire union sacrée face au virus).

La police est donc autorisée à verbaliser, à traquer les jeunes des cités qui se retrouvent à trois dans la rue, mais pas à sanctionner le patron d’Amazon qui en parque des centaines voire milliers dans ses hangars – pour profits juteux ; ni aucun des patrons de toutes les entreprises qui gardent à ce jour l’entière liberté de continuer à confiner les salariés entre leurs murs. Les amendes commencent à rapporter du fric – 135 euros à la première semonce, 1500 à la deuxième en quinze jours, ensuite 3750 ! Hallucinant, des gardes à vue – pour « non confinement » ! – sont déjà tombées sur des jeunes de banlieue, précisément là où il est insupportable de rester à plusieurs dans quelques mètres carrés – pas comme dans les villas du Cap d’Antibes ! La ministre de la Justice, Nicole Belloubet – ministre de la Justice – avait même prévu une mesure de prison à la deuxième sortie, mais elle s’est fait retoquer ! Et des maires parmi les plus zélés ont déjà ordonné des mesures de couvre feu entre 22h et 5h du matin, histoire de créer un « électrochoc ». Avec sirène pour en donner le signal, à 22 heures à Arras le samedi 21 au soir !

Guerre de classe, oui ! Sans parler de la liberté donnée aux patrons d’obliger les travailleurs à prendre dans l’actuelle période de confinement une partie de leurs congés, de leur voler tout ou partie de leurs RTT, d’allonger leur temps journalier de travail… et de recourir au chômage partiel, qui leur est complètement payé par l’Etat alors que les salariés n’en sont dédommagés qu’à hauteur de 84 % du salaire net. Ces mesures dites « sanitaires » seraient prises pour deux mois… Ne pourraient-elles pas devenir durables, représenter un vrai danger ? Cela inquiète, mais qu’à cela ne tienne, les dirigeants des confédérations syndicales, CGT, FO, CFDT, CFE-CGC et CFTC, ont signé un communiqué commun avec le Medef, pour participer au grand mensonge de « l’union nationale ». Ce qui, fort heureusement, révulse des militants et militantes d’unions départementales et locales, des militants d’entreprises, qui ont déjà dénoncé cette indigne collaboration de classe.

A noter aussi que la BCE (Banque centrale européenne) est venue à la rescousse des Etats européens, à commencer par les plus gros qui ont des multinationales à arroser, pour leur permettre d’honorer les aides qu’ils ont promises à ces entreprises : 750 milliards d’euros injectés dans le système, qui s’ajouteraient à des mesures précédentes portant à un total de plus de 1000 milliards d’euros le pactole destiné aux Etats… Oh, pardon, aux grands de l’industrie et de la finance. A noter que par exemple en France, l’Etat n’envisage d’allouer que 2 milliards au financement d’urgence des hôpitaux en crise.

Oui, Macron et ses amis bourgeois de tous les pays se sentent menacés par le grippage de leur machine économique, prise au piège de l’expansion d’une pandémie que leur propre système n’a pas les moyens d’arrêter – parce qu’il repose sur des intérêts capitalistes privés ne permettant pas d’arbitrer en faveur d’intérêts sociaux généraux.

Sur les lieux de travail, réels ou virtuels, la situation est pour le moins agitée.

La plupart des cadres et ingénieurs sont en télétravail, tandis que les ouvriers et employés continuent de s’activer sur le terrain des usines et des chantiers. Des entreprises, dont d’importantes, ont commencé par fermer leurs portes, moins par volonté de protéger du virus que par appât de leurs propres gains, menacés par les manques de pièces de rechange et autres fournitures. Le chômage partiel était plus rentable ! Quelques jours après, les mêmes ou d’autres, de tailles variables, choisissaient soit de persévérer dans le chômage partiel, le licenciement des intérimaires et des précaires, soit au contraire d’inciter à venir ou revenir au boulot contre la promesse d’une prime de 1000 euros (ou moins !). C’est ainsi que les patrons de Carrefour et Auchan ont pu se poser – sur grand écran à la télé – en bienfaiteurs de l’humanité, quasiment en banques alimentaires mondiales sans lesquelles nous n’aurions rien à bouffer ! Mais néanmoins payantes, et gageons que les prix vont monter. Les caissières – derrière leurs plexiglas de fortune – étaient érigées par leurs patrons (qui oublie de dire combien il les paie et pour quelles conditions de boulot !) en héroïnes au même titre que les soignantes.

C’est donc bel et bien une guerre, mais tout entière dirigée contre les classes populaires, et contre les plus pauvres des pauvres : celles et ceux pour qui la vie confinée à la maison est la plus intolérable ; celles et ceux dont la vie au boulot et les trajets pour s’y rendre sont les plus dangereux ; celles et ceux dont les gamins vont le plus difficilement – ou pas du tout – suivre un enseignement à distance, malgré les efforts d’enseignants ; celles et ceux, parmi les plus âgés, qui vont succomber à la maladie. Sans oublier tous les sans abri et ceux dont on évacue manu militari les campements, comme à Calais encore tout récemment, sans réelle solution d’hébergement. Toutes celles et ceux qui déjà sont les plus vulnérables, socialement et économiquement, dans cette société.

Présenter la facture… sans attendre

Oui, il y a eux et nous. Leur guerre et la nôtre.

Nos sites et nos réseaux sociaux, comme bien d’autres, se font l’écho d’une multitude de réactions de colère qui marquent le monde du travail depuis une semaine. Une fourmilière virtuelle ! Les réactions ne sont pas restées confinées, leur vitesse de circulation à elle seule mesure l’intensité du climat. Demandes de télétravail, droits de retrait, congés maladie, débrayages ont largement dépassé les simples réflexes de défense. En se généralisant quasi immédiatement, de La Poste aux sociétés de transports, d’Amazon aux routiers, des chantiers de bâtiment à des usines PSA ou Airbus, les réactions se sont multipliées, et parce qu’elles se sont généralisées, elles ont pris un tour politique. Elles confirment et renforcent la détestation de Macron qui domine dans les couches populaires, qui s’était déjà largement exprimée dans les mouvements sociaux de ces derniers mois et années, chez les Gilets jaunes comme chez tous les travailleurs plus récemment en grève : une détestation que le coronavirus semble en passe d’exciter.

Un neurochirurgien du CHU de Besançon – cité par Le Monde des 21 et 22 mars -, affirmait que « La crise va être profonde, et la confiance va se briser entre la population et le gouvernement. La population s’en souviendra. » Un infirmier de Lens, cité dans le même article, était plus explicite : « Pour l’instant, on se tait, on fait les bons petits soldats, on va au charbon. Mais on présentera la facture à la fin. » Il semblerait que la facture n’attend pas la fin pour être établie, à défaut encore d’être présentée. Des armes pour des réactions plus amples dès que les conditions de mobilisation seront plus favorables, se fourbissent dès maintenant. Mais plus profondément, cette situation qui est imposée à toutes et tous et pue la ségrégation de classe, fait fleurir une multitude d’idées sur la société telle qu’elle est et telle qu’elle devrait et pourrait être ; sur la façon dont, avec l’aide des moyens scientifiques et techniques disponibles, ceux qui produisent les richesses pourraient contrôler eux-mêmes la production, la vie de la planète, tellement mieux que ce capitalisme qu’un virus invisible semble aujourd’hui mettre sur le flan !

Le confinement imposé aux uns, le non-confinement imposé aux autres, tout insupportables qu’ils soient, donnent des idées.

Michelle Verdier


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