Question posée par T.C le 22/03/2020

Bonjour,

Les habitués du point quotidien de Jérôme Salomon sur l’évolution du Covid-19 auront remarqué un changement de présentation du bilan de l’épidémie en France depuis vendredi. Il est désormais précisé que le nombre de décès concerne uniquement les morts du Covid-19 survenues dans les hôpitaux. Il y a trois jours, le directeur général de la Santé déclarait ainsi : «Nous déplorons 450 décès en milieu hospitalier.» Même chose lors du point presse de dimanche : «On déplore 674 décès en milieu hospitalier.» Et si Olivier Véran a fait état hier de «860 personnes décédées», sans plus de précisions, la page de Santé publique France dressant le bilan du Covid-19 à la date du 23 mars, mentionne bien que cette statistique est produite «à partir des données remontées quotidiennement des hôpitaux SI-VIC (suivi des victimes, NDLR)» Une mention qui, là encore, ne figure que depuis quelques jours sur le site de cette agence nationale dépendant du ministre de la Santé.

De fait, contrairement à ce que le bilan quotidien pouvait suggérer jusqu’alors, le décompte funèbre livré chaque soir par le directeur général de la Santé ou son ministre de tutelle n’est pas exhaustif, les décès survenus à domicile ou dans les Ehpad n’étant pas comptabilisés.

Vingt morts dans l’Ephad de Cornimont (Vosges)

Dans quelle mesure cet angle mort statistique minimise-t-il le bilan réel de l’épidémie ? Et comment se justifie-t-il? La question se pose de plus en plus, à mesure que les décès potentiellement liés au Covid-19 remontent des Ephad. L’Agence régionale de santé (ARS) du Grand Est et la préfecture des Vosges ont annoncé hier la mort de vingt résidents d’un Ehpad de Cornimont (Vosges) «en lien possible avec le Covid-19», depuis le début de l’épidémie. A Thise (Doubs), près de Besançon, quinze résidents d’un Ehpad sont décédés depuis le dépistage des premiers cas le 5 mars. «Vingt-cinq résidents sur 70 ont de la fièvre et sont confinés dans leur chambre selon le maire», rapporte France 3 Bourgogne Franche Comté. A Saint-Dizier (Haute-Marne), ce serait treize personnes qui seraient mortes, selon un le média local PTV.

Dans Le XIIarrondissement de Paris, l’Ehpad Rothschild compterait une cinquantaine de cas confirmés et aurait déploré cinq décès. A Mauguio (Hérault), près de Montpellier, la presse locale faisait également état de cinq décès depuis le 10 mars, ainsi que d’une cinquantaine de cas suspects parmi les résidents. Dans l’Aisne, la presse faisait part d’un décès à l’Ehpad de la Mèche d’argent, à Coucy-le-château.

Les principales fédérations du secteur (Fédération hospitalière de France, Fehap, Synerpa, AD-PA…) avaient adressé vendredi à Olivier Véran un courrier alarmiste, expliquant que l’épidémie «pourrait se traduire par plus de 100 000 décès dans l’éventualité d’une généralisation que nous n’osons imaginer» mais «qui n’est cependant pas exclue, en l’état actuel de notre organisation».

Pourquoi ne pas comptabiliser ces décès ? Interrogée par CheckNews, la direction générale de la Santé (DGS) ne nous a pas répondu. L’agence régionale de santé (ARS) francilienne invoque, elle, des difficultés techniques. «Il est très compliqué de compter les décès en temps réel, même ceux survenus en milieu hospitalier. Le système n’est pas fait pour ça. Actuellement, des gens passent leur temps à essayer de stabiliser les données, parce que la crise du Covid-19 impose une communication quotidienne». Dans le cas des Ephad, les choses sont encore plus complexes, explique la même source : «ces établissements ne sont pas reliés au système qui permet de faire le lien avec les hôpitaux, ce qui complique les remontées d’informations. Par ailleurs, certaines personnes vivant dans des Ephad sont hospitalisées quand elles sont malades, quand d’autres demeurent sur place.»

Un décompte des décès lié au Covid-19 en Ephad serait également rendu incertain par le fait que les patients ne sont pas systématiquement testés. A Thise, un responsable de l’établissement où ont eu lieu les quinze décès a ainsi déclaré à l’AFP : «C’est difficile de savoir si ces décès sont liés [à l’épidémie] car, comme partout en France, on ne dépiste plus systématiquement les nouveaux cas.» Ce que confirme, toujours à l’AFP, Olivier Obrecht, directeur général adjoint de l’agence régionale de santé Bourgogne Franche-Comté. «Les deux premiers cas sont testés, et à partir du moment où la présence du Covid-19 est confirmée, on ne fait plus de tests». L’ARS d’Ile-de-France, contactée par CheckNews, indique que cette limitation des tests aux seuls premiers cas correspond à une «doctrine nationale»Le Guide méthodologique de la Phase épidémique Covid-19, sur le site du ministère de la Santé, précise en effet : «concernant les prélèvements biologiques, seuls les premiers patients résidant dans une structure d’hébergement collectif (EPHAD, structures de regroupement de personnes fragiles en situation de handicap, structures accueillant des personnes sans domicile, etc.) avec un tableau clinique évocateur de Covid-19 font l’objet d’un prélèvement. À partir du second cas confirmé, toute personne présentant un état symptomatique identique ou proche (état grippal, rhinopharyngite) est alors présumé infectée par le virus.»

Quelle signification accorder, dès lors, au bilan quotidien des victimes du Covid-19, présenté à l’unité, mais tronqué d’une part importante des victimes? «L’indicateur des seuls décès en milieu hospitalier a du sens, parce qu’il permet de saisir l’évolution de l’épidémie, d’un jour à l’autre, même si en valeur absolue, il est de fait incomplet», défend un responsable d’une ARS.

«La vérité dans quelques mois, une fois l’épidémie terminée»

Vendredi dernier, Jérôme Salomon avait expliqué que le dispositif de surveillance qui se met en place via les médecins de ville, pourrait permettre d’avoir des éléments statistiques sur cette mortalité hors milieu hospitalier. «Nous aurons aussi des données de surveillance de la mortalité en ville, parce qu’il peut y avoir des décès à domicile ou dans des établissements, et pas dans le milieu hospitalier».

Olivier Obrecht, directeur général adjoint de l’ARS Bourgogne Franche-Comté, expliquait il y a quelques jours qu’une estimation du bilan global ne pourrait être faite en temps réel. Interrogé à propos des morts de l’Ephad de Thise (Doubs) non comptabilisés parmi les victimes du Covid-19, le responsable régional répondait : « Santé Publique France a commencé une surveillance syndromique, comme on le fait pour la grippe, à partir d’un nombre de décès attendus dans une population donnée, sur un temps donné. C’est le surplus par rapport à ces estimations qui donnera la vérité sur le nombre de décès pendant la période d’épidémie Covid-19, dans quelques mois, une fois l’épidémie terminée.»

Cordialement.

Cédric Mathiot