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SOURCE : Arguments pour la lutte sociale
Dès le début de la montée à l’horizon du coronavirus, nous avons estimé que la pandémie était un phénomène à prendre au sérieux, mais non pas isolément. Nous assistons à l’effondrement du marché mondial, engendrant en surface un krach boursier, combiné à la pandémie. Les réactions des États capitalistes, à de rares exceptions près qui demanderaient une analyse spécifique (Corée du Nord et Taïwan), sont organisées autour du « confinement ».
A l’heure où sont écrites ces lignes, nous sommes 2 milliards d’êtres humains confinés – mais dans des pays comme la Colombie « amie de l’oncle Sam » ou le Venezuela « anti-impérialiste », qui « confinent » autant l’un que l’autre, il est permis de se demander en quoi cela peut bien consister vu que la population est majoritairement composée de pauvres vivant dans des taudis ou dans des conditions précaires découlant des crises récentes – nul doute qu’armée et paramilitaires ne tuent au nom du « confinement » à Bogota comme à Caracas …
Laissant un instant de côté ici la question, qui doit faire débat, des vertus anti-épidémiologiques du confinement et de ses modalités, nous pouvons dire que l’« entrée en confinement » a un côté « mobilisation générale » visant à tétaniser la population, toutefois d’autant plus active sur les réseaux et dans les solidarités locales et de quartiers.
De l’Argentine à la Nouvelle-Zélande en passant par New York, Seattle, Los Angeles, Chicago, Londres aujourd’hui (après Dublin, Édimbourg et Cardiff), et sans doute bientôt Moscou, quoi qu’en dise Poutine qui truque les chiffres et voudrait faire son référendum truqué en avril pour être de fait président à vie, le rideau tombe : confinement !
Sauf en Afrique (en dehors du Ruanda, de petite taille), et en Inde (1), où le nombre de cas officiels demeure étrangement faible, alors que les nouvelles qui parviennent par exemple du Burkina Faso font état d’une épidémie galopante. Selon Colette Braekman, journaliste belge, spécialiste de l’Afrique centrale, « Le Congo s’inquiète, le Ruanda mobilise et le Burundi s’en remet à Dieu ». 554 cas officiels en Afrique du Sud aujourd’hui. On doit frémir à la pensée de ce qui menace sur ce continent, notamment parmi les séropositifs.
A l’échelle mondiale, la récession ne fait aucun doute. Mais la répartition des pertes va faire l’objet d’une lutte féroce entre chaque couche du capital appuyée sur leurs États, tous visant en même temps à faire payer la population, le prolétariat. Des éléments de déconnexion entre l’Asie orientale, l’Europe et l’Amérique, y compris dans les courbes boursières, s’accumulent. Dans les prochaines semaines, le plus probable est la combinaison entre deux phénomènes : la déferlante épidémique sur les États-Unis et la reprise chinoise.
La chute des dominos a commencé quand la Chine, semblant surréagir, a coupé les chaînes internationales de production dans l’automobile, l’informatique, les industries mécaniques, à l’échelle de toute l’Asie orientale et sud-orientale. La Chine semblait alors s’enfoncer dans un marasme profond qui prolongeait à la fois la « guerre commerciale » de Trump et la crise sociale latente polarisée (mais non pas résumée) par la question de Hong-Kong. Sauf que le spectre de l’effondrement chinois a fait plonger les bourses du monde entier et n’a pas peu contribué à la panique (à ne pas confondre avec les vraies mesures sanitaires !) devant ce démon, le « coronavirus » ou « Covid 19 », facteur exogène venant précipiter une crise majeure du mode de production capitaliste en tant que système mondial.
Exogène ? Pas vraiment, si l’on saisit le fait que ce virus, comme d’autres, naît de l’interaction humaine avec les écosystèmes. C’est donc bien la crise bioclimatique globale qui interfère avec les cycles boursiers eux-mêmes : cette interférence signifie que nous entrons dans le grand basculement, qui pose partout et à l’échelle mondiale la question : qui dirige ? Quelle classe ? Le capital ou la majorité de l’humanité ?
La concomitance entre la reprise chinoise et l’effondrement nord-américain qui se profile pourrait être un choc en retour signant la nécessité objective, du point de vue du capital, d’un centrage politico-financier sur le nouveau foyer n°1 de production de plus-value : la Chine. De tels « centrages » se sont toujours faits dans la douleur à travers des crises : pour les États-Unis ce fut la crise de 1929 qui établit la réalité du centrage capitaliste et financier mondial à New York. La crise de 2020 combine des traits de 2008 (dont elle est la réplique attendue et annoncée, sauf que la forme en était imprévue !) et de 1929 (la marche à la dislocation du marché mondial, de la division internationale du travail), mais sous la surdétermination de la crise biologique globale. Pendant au moins quelques semaines, la production étatsunienne va s’effondrer pendant que la Chine va reprendre ses marques.
Aux États-Unis, cet effondrement va se produire juste après que l’espoir de Sanders gagnant les primaires démocrates ait été cassé. Quand notre camarade Dan La Botz est venu nous voir en février, nous avons été un tantinet sceptique devant sa volonté de nous détourner de tout enthousiasme excessif sur les grèves aux États-Unis, qui nous semblent bien être en train de remonter, mais ses propos sur le déroulement probable des primaires démocrates nous ont semblé frapper au coin du bon sens : infoutu de réaliser l’« impeachment » de Trump, l’appareil démocrate saurait stopper Sanders. Les choses se sont passées comme il nous l’avait annoncé. Mais comme nous le disait, lors de cette même réunion, Celi Folch, coordinateur de la campagne Bernie sur Paris, si ce n’est pas Bernie, disent les jeunes militants américains, alors ce sera « vest » (en référence aux gilets jaunes de France).
Oui, ce sera cela : mais dans des formes que nous ne pouvons encore qu’envisager, car cela arrivera en relation à la crise globale qui s’accélère. D’autant que si Sanders est écarté (sauf s’il maintient une candidature indépendante) pendant que Trump plonge, l’issue « Biden » ne fera qu’ouvrir un nouveau moment pathétique à Washington …
Les pronostics sont toujours imprudents. Tout du moins, peut-on écarter certains pronostics : le passage pacifique à un centrage du capital mondial sur la Chine, qui se dessine avec latence et insistance dans la chute actuelle de tous les dominos mondiaux, ne va pas se faire dans la tranquillité, pas plus que, s’il se fait, il ne peut déboucher sur une nouvelle jeunesse, une nouvelle « expansion des forces productives », une nouvelle « onde longue expansive » ou autres choses de ce genre. Non, le mode de production capitaliste ne trouvera pas d’équilibre, parce que le déséquilibre est le fondement de l’accumulation (et réciproquement), mais plus encore parce qu’il lui est impossible de réaliser une transition vers une phase, sinon équilibrée, du moins proportionnée, d’accumulation, sans des destructions gigantesques qui pourraient l’interdire complètement au lieu de l’assurer.
Les propos qui précèdent sont trop rapides, ils visent à nourrir la réflexion. Il est essentiel que tous ceux qui réfléchissent du point de vue du prolétariat ne se confinent pas mentalement : pas d’enfermement dans le cadre national – vous avez remarqué comme on ne parle plus que de la France dans les grands médias alors que la crise est mondiale et que la France n’en est qu’un objet ? -, et pas d’explication mécanique du genre « le coronavirus a forcé les États à confiner, ce qui a paralysé l’économie ». La causalité réelle n’est pas celle-là, elle est celle de la crise combinée du mode de production à tous les niveaux : biologique, social, politique, géopolitique, économique, moral.
24-03-2020.
(1) On apprend ce mardi 24 mars que Narendra Modi a annoncé le confinement de l’Inde à partir de demain. Nous serions donc plus de trois milliards dans cette situation. Mais l’on peut avoir tous les doutes sur l’Inde. Une chose est sûre : le confinement est ici l’arme de la répression de masse …