Aucune efficacité de la Chloroquine contre le Covid19 d’après un nouvel essai chinois

AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.

SOURCE : Les crises

Prologue

Les temps sont difficiles. Nous traversons une crise inédite et angoissante. Nous sommes en effet confrontés à un virus dont nous ne saisissons pas encore toutes les caractéristiques, et qui ôte chaque jour la vie à des centaines de personnes.

Sur Les-Crises, nous essayons de contribuer modestement, à notre échelle, de manière bénévole et désintéressée, au débat public. Nous rassemblons tous les articles de presse qui nous semblent indispensables à la bonne compréhension de cette crise, nous passons des heures à brasser les données statistiques afin de rendre l’information la plus accessible possible.

Si les nouvelles rapportées sont alarmantes ou pessimistes, il n’en va pas de notre volonté. Nous sommes profondément tristes de ce qui se passe en ce moment, comme tout un chacun, et espérons rapporter des informations plus optimistes les prochains jours. À titre d’exemple, des dizaines de traitements contre le Covid-19 sont en cours de tests, et nous allons bientôt vous en proposer une présentation. Toute la recherche mondiale est concentrée sur ce Coronavirus, l’espoir est loin d’être perdu.

En d’autres termes, nous ne souhaitons pas vous dire ce que vous avez envie d’entendre (c’est le rôle des politiciens…) mais ce qui nous semble indispensable à savoir pour vous aider à forger une opinion éclairée.

La fièvre de la « course à la Chloroquine » suscite une intense polémique en France, ce qui ne semble pas être le cas dans le reste du monde, bien que le sujet ait été très investi également par les Républicains aux États Unis ou encore, le président Brésilien, Bolsonaro. Conséquence : la chloroquine s’est échappée de son sujet initial, à savoir la médecine, pour à présent noircir les papiers d’opinions politiques et d’experts autoproclamés.

C’est une erreur. Quoi qu’on en dise, c’est au corps médical de trancher cette question – ce qui suppose un consensus de la communauté scientifique -, et il me déplaît d’avoir finalement à parler de Didier Raoult et « son médicament », dans la mesure où notre position est la suivante : nous ne savons pas si la chloroquine est efficace, mais c’est une mauvaise idée de se précipiter dans l’émotion vers un médicament qui n’a pas été testé dans des conditions normales contre le Covid19.

Sans rigueur scientifique ni recul critique, on peut imaginer une surenchère de solutions miracles :

« — si, si, Robert, prends du pentasulfate de potassium à 200 mg, je l’ai vu passer sur Twitter — ah non, René, moi, j’écoute Les Républicains et je prends de la quinistase de sulfamine 800 mg chaque matin — Bonjour ! Vous connaissez le carbonate de bromure ? »

Cependant, nous recevons tous les jours des centaines de messages qui nous exhortent de parler de Didier Raoult, notre silence étant de facto interprété comme une position à charge, pour ne pas dire, une agression !

Nous allons donc vous montrer dans cet article et les prochains, les éléments qui continuent à alimenter notre prudence face à la revendication d’administration généralisée de la Chloroquine, en attendant que la science tranche.

Bonne lecture !

Le nouvel essai chinois sur la chloroquine (du 26 février)

Le Docteur Jun CHEN est médecin et Directeur adjoint du Département des maladies infectieuses et immunitaires à l’Université Fudan de Shanghai, en Chine. C’est en quelque sorte un des jeunes Raoult chinois.

Son équipe a réalisé un essai d’hydroxy-chloroquine sur 30 malades du Covid-19 en Chine, n’étant pas atteints de forme sévère. Elle a été soumise à publication le 26 février et acceptée le 6 mars. Elle est disponible ici (anglais et chinois) :

Nous vous en avons traduit la synthèse, que nous vous commentons :

Étude pilote portant sur l’hydroxy-chloroquine dans le traitement des patients atteints de la forme commune de la maladie associée au coronavirus 19 (COVID-19) [soumise le 29 février, publiée le 6 mars]

CHEN Jun, LIU Danping, LIU Li, LIU Ping, XU Qingnian, XIA Lu, LING Yun, HUANG Dan, SONG Shuli, ZHANG Dandan, QIAN Zhiping, LI Tao, SHEN Yinzhong, LU Hongzhou

Département des maladies infectieuses et immunitaires, Centre clinique de santé publique de Shanghai, Université Fudan, Shanghai 201508, Chine

Résumé

Objectif : Évaluer l’efficacité et l‘innocuité de l’hydroxychloroquine (HCQ) dans le traitement des patients atteints d’une maladie de au coronavirus 19 sous sa forme commune (COVID-19).

Méthodologie : Nous avons recruté au Centre clinique de santé publique de Shanghai, de manière prospective 30 patients n’ayant jamais été traités et atteints d’un COVID-19 confirmé, et ayant signé leur consentement éclairé. Les patients ont été randomisés 1:1 dans le groupe HCQ et dans le groupe témoin. Les patients du groupe HCQ ont reçu 400 mg de HCQ par jour pendant 5 jours en plus des traitements conventionnels, tandis que ceux du groupe de contrôle n’ont reçu qu’un traitement conventionnel. Le principal critère d’évaluation était le taux de conversion négatif de l’acide nucléique du COVID-19 dans le prélèvement respiratoire pharyngé au 7e jour après la randomisation. Cette étude a été approuvée par le comité d’éthique du centre clinique de santé publique de Shanghai et enregistrée en ligne (NCT04261517).

OB : donc l’essai porte sur 30 malades – ce qui est petit, il faut donc être très prudent au niveau des conclusions. 15 reçoivent leur traitement plus de l’hydroxy-chloroquine (HCQ), et 15 simplement leur traitement.

Résultats : Un patient du groupe HCQ a développé une forme sévère pendant le traitement.

OB : pas de chance, un des patients sous chloroquine a gravement empiré ; et aucun dans le groupe sans chloroquine. La chloroquine a-t-elle empiré la santé du malade, ou est-ce du hasard ? On ne peut le savoir à ce stade, ce sont 2 hypothèses désormais.

Au jour 7, l’acide nucléique du COVID-19 était absent dans les prélèvements pharyngés dans 13 des cas (86,7 %) dans le groupe HCQ, et 14 des cas (93,3 %) dans le groupe témoin (P>0,05).

OB : c’est assez simple : au bout d’une semaine :

  • 13 malades traités à la chloroquine sur 15 n’ont plus de virus dans la gorge ;
  • mais 14 malades non traités à la chloroquine sur 15 n’ont plus le virus dans la gorge.

Le bilan est donc celui-ci :

  • 15 patients traités à la chloroquine au bout d’une semaine : 13 sans virus, 1 malade, 1 aggravé
  • 15 patients sans chloroquine au bout d’une semaine : 14 sans virus, 1 malade

On ne peut pas aller trop loin dans les conclusions vu la taille de l’échantillon, mais, ici, on peut au moins en conclure que 1/ la chloroquine ne semble pas miraculeuse 2/ il faut vérifier dans des tests plus larges si elle n’aggrave pas le Covid-19. Et rien de plus.

La durée médiane entre la date d’hospitalisation et la conversion négative de l’acide nucléique viral a été de 4 (1-9) jours dans le groupe HCQ, ce qui est comparable à celle du groupe témoin 2 (1-4) jours, (U=83,5, P>0,05)].

OB : la chloroquine n’a, ici, pas eu d’effet notable sur le virus ou réduit la durée d’hospitalisation

Le temps médian pour arriver à la normalisation de la température corporelle dans le groupe HCQ a été de 1 (0-2) après l’hospitalisation, ce qui est également comparable à celui du groupe de contrôle 1 (0-3)].

OB : la chloroquine n’a, ici, pas accéléré la baisse de la température

La progression radiologique a été mise en évidence sur les images tomodensitométriques dans 5 cas (33,3%) du groupe HCQ et 7 cas (46,7%) du groupe témoin, et tous les patients ont montré une amélioration lors de l’examen de suivi. Quatre cas (26,7%) du groupe HCQ et 3 cas (20%) du groupe de contrôle ont eu une diarrhée transitoire et une fonction hépatique anormale (P>0,05).

OB : la chloroquine n’a, ici, pas d’effet notable sur ces autres critères

Conclusions : Le pronostic pour les patients ayant le COVID-19 sous sa forme commune est bon. Une étude sur un échantillon plus large est nécessaire pour étudier les effets de la HCQ dans le traitement du COVID-19. Les recherches ultérieures devraient pousser plus avant l’analyse et bien prendre en compte la fiabilité des expériences, notamment par [NdT : une plus grande] taille de l‘échantillon.

Commentaire du Docteur Chen

Afin de vous donner une bonne information, nous avons contacté le docteur Chen pour qu’il réagisse à la situation du débat public en France que nous lui avons décrite. Voici sa réponse :

« Nous n’avons observé aucune tendance bénéfique de l’hydroxy-chloroquine dans le traitement du Covid-19. Mais cela ne signifie pas non plus que cela aggraverait la maladie. Notre étude était limitée par sa petite taille d’échantillon [30 malades].

Mais nous pouvons constater dans cet essai que l’hydroxy-chloroquine n’est pas un médicament « magique » – dans l’hypothèse où il aurait bien un effet antiviral. Je sais qu’il y a des ECR [Etudes Comparatives Randomisées = essais cliniques de qualité] en cours sur l’hydroxy-chloroquine. Mais, je ne connais aucun résultat positif de ces études par communication personnelle.

En fait l’hydroxy-chloroquine n’a jamais été efficace dans aucune des maladies virales, malgré son activité antivirale in vitro.

De plus, son problème est qu’elle a un effet néfaste dans le traitement de certaines maladies virales, aggravant notamment le VIH et les infections par le virus du Chikungunya.

Par conséquent, je recommande fortement d’attendre que les ECR [essais cliniques] soient effectués avant d’utiliser cette substance comme prophylaxie ou comme médicament thérapeutique. » [Jun CHEN, interview Les-crises.fr, 25 mars 2020]

Conclusion

On ne peut tirer de solides conclusions de tels essais. Mais on peut à tout le moins dire qu’il faut rester très prudent par rapport à la chloroquine, tant au niveau de son efficacité que de ses effets négatifs.

L’expérience de Didier Raoult, sur des bases assez similaires, a abouti à des conclusions assez différentes, ce qui interpelle compte tenu de la simplicité du protocole. Celle-ci sera l’objet du prochain article à paraître sur Les-Crises – nous vous y présenterons le détail.

Notons également que Didier Raoult n’a pas mentionné cette étude contredisant sa thèse alors que celle-ci a été pré-publiée 20 jours avant la sienne, et qu’il se rapporte pourtant très souvent aux travaux des scientifiques chinois pour justifier ses positions.

« Les Chinois, qui sont ceux qui vont le plus vite, qui sont le plus pragmatiques, […] ont fait du repositionning. […] Je considère les Chinois comme les meilleures équipes de virologie au monde. […] J’espère que les Chinois nous donneront très rapidement les résultats d’une première étude sur l’efficacité de la chloroquine sur les coronavirus. » (sources ici et )

En l’état, le point commun entre ces deux essais aux conclusions contradictoires est qu’ils ont été opérés sur des échantillons bien trop faibles en nombre, en sorte qu’aucun avis définitif ne peut en résulter. C’est pourquoi d’autres essais plus fiables sont en cours – espérons que leurs résultats puissent démontrer l’efficacité de la Chloroquine.

Merci de votre fidélité.

Olivier Berruyer

Edit : je note que Bloomberg vient également d’en parler (en anglais).


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