AVANT-PROPOS : les articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » ne représentent pas les positions de notre tendance, mais sont publiés à titre d’information ou pour nourrir les débats d’actualités.
SOURCE : JDD
Des employeurs font signer des décharges en responsabilité à leurs salariés, en cas de contamination au travail, afin d’éviter les poursuites judiciaires. Des pratiques illégales.
Bien sûr, il y a d’abord la peur de contaminer le personnel et de voir leur santé se dégrader. Mais aussi, celle du juge qui pourrait les condamner pour ne pas avoir pris les mesures de protection suffisantes. Car les employeurs ont une obligation de résultat en matière de santé au travail, c’est-à-dire qu’ils doivent tout faire pour assurer la sécurité de leurs salariés. Il ne s’agit pas simplement de diminuer le risque, mais de l’empêcher. Or, face au Covid-19, les moyens (masques, gel hydroalcoolique, gants) à la disposition des entreprises manquent. Du coup, certaines sociétés peu regardantes n’hésitent pas à faire signer des décharges de responsabilité à leurs salariés en cas d’exposition au coronavirus.
Un engagement “à n’exercer aucun recours”
La plupart ont dû reprendre leur activité faute de pouvoir être couvertes par le chômage partiel. Bâtiment ou petites sociétés industrielles, elles demandent donc à leur personnel de revenir travailler et à s’engager à ne pas les poursuivre en justice si jamais ils attrapent le virus sur leur lieu de travail. “J’atteste venir exercer mon activité professionnelle de mon propre chef et m’engage à n’exercer aucun recours contre la société XX en cas de contamination par le Covid-19”, est-il ainsi demandé aux salariés, dans une attestation que nous nous sommes procurée.
Dans un autre document émanant d’une autre structure, le salarié a deux options : soit il “reprend le travail en toutes connaissances de causes et des dangers encourus concernant le Covid-19 et ne se retournera pas au cas ou il/elle serait infecté par ce dernier dans l’exercice de ses fonctions et appliquera scrupuleusement les consignes d’hygiène et de gestes barrière (…).” Soit il pose des jours de congés ou des congés sans solde. Un choix limité…
“Les salariés se retrouvent plongés dans une double angoisse : celle d’aller travailler en étant pas suffisamment protégés. Et celle de perdre leur emploi s’ils ne signent pas ces documents”, observe Quentin Leyrat d’une union locale CGT dans l’Aveyron. Certains sont apprentis et peu au fait de leurs droits. D’autres ont des familles à faire vivre. “Ils n’ont pas le pouvoir de refuser”, regrette le syndicaliste par ailleurs défenseur prud’homal.
Des pratiques illégales selon une avocate
Pour Déborah David, avocate associée au cabinet De Gaulle Fleurance & Associés, ces pratiques sont illégales. “La signature de ce type d’attestation ne pourra en aucun cas exonérer les employeurs de leur responsabilité si ceux-ci ne prennent pas les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de leurs salariés”, explique-elle. Ce que le ministère du Travail a d’ailleurs rappelé dans une note diffusée le 25 mars sur son site internet. Qui plus est, “le salarié ne peut renoncer à exercer une action judiciaire contre son employeur que dans le cadre d’une transaction et en contrepartie du versement d’une somme indemnitaire”, poursuit l’avocate.
Même signées sur l’honneur, ces attestations n’empêchent donc pas les poursuites. S’il est démontré que la contamination s’est produite dans le cadre professionnel, le salarié peut être couvert au titre des accidents du travail. Il peut également porter plainte contre l’employeur pour faute inexcusable afin d’obtenir une réparation intégrale des dommages subis, notamment si son état de santé s’est fortement dégradé. A lui de prouver le lien de causalité (exposition au travail et maladie). A l’entreprise de prouver qu’elle a tout fait pour éviter les risques de propagation. Faute de quoi, sa responsabilité sera engagée. Dans un arrêt du 18 février de la Cour d’appel de Grenoble et qui vient juste d’être publié, la direction d’une maison de retraite a ainsi été condamnée après qu’une soignante ait été contaminée par une personne âgée atteinte de tuberculose. Les juges ont estimé que l’entreprise avait tardé à réagir et à protéger les personnels.
Face aux risques de contentieux, les organisations patronales réclament au ministère du Travail un assouplissement de la législation. Elles souhaiteraient que l’obligation en matière de santé au travail devienne une obligation de moyens le temps de l’épidémie. “Certains préfèrent finir au tribunal de commerce plutôt qu’au tribunal correctionnel!, tempête un responsable patronal. Il faut sécuriser les chefs d’entreprise qui n’ont pas les moyens de se prémunir face au virus.” Vu le contexte et alors qu’il a adopté de nombreuses dérogations au code du travail, le gouvernement ne semble pas prêt à faire disparaître cette épée de Damoclès juridique…