Les capitalistes ne complotent pas, ils profitent

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SOURCE : Anticapitalisme et révolution

Les idées et théories complotistes suscitent un intérêt de plus en plus important dans les milieux populaires, dans notre classe. Il est de moins en moins rare, quand on discute avec des travailleurs ou des jeunes, que ces derniers reprennent à leur compte ces théories. Ce phénomène s’exacerbe en cette période de crise sanitaire d’ampleur. 
L’idée de cet article n’est pas de démythifier toutes ces théories et thèses complotistes mais plutôt de comprendre d’où elles viennent afin de les combattre au mieux.
Le point central repose sur l’idée que « tout le monde est manipulé », qu’on nous ment, que rien n’est vrai, que derrière le fonctionnement du monde et les informations médiatiques, un groupe (les illuminati, les reptiliens, les juifs, des extra-terrestres, ou dans une version moins délirantes les oligarques etc.) tire les ficelles et manipule l’opinion.
Il n’y a là rien de nouveau. Au Moyen-âge, on faisait porter la responsabilité de la peste sur les juifs ; on peut penser également à la théorie du complot juif rependu pendant l’entièreté des XIXème et XXème siècles.
Aujourd’hui, internet permet une circulation mondialement accélérée de ces théories, via des milliers de sites, vidéos et conférences en tout genre. Et ce principalement depuis le 11 septembre 2001 (attentat autour duquel 25% des Français considèrent qu’il y a une zone d’ombre ou un complot). Les attentats seraient une manipulation des services secrets américains, ou organisé par les juifs et qu’il n’y en aurait eu aucun dans les tours ce jour. De même en France après les attentats de 2015, pour lesquels 18% des français pensent qu’il existe une zone d’ombre ou un complot.
Ajoutons également qu’avec la multiplication des moyens de retouche technologiques internet est envahi de photos, vidéos « prouvant » que les juifs ont organisé l’attaque contre Charlie Hebdo, que l’espèce humaine n’est jamais allée sur la Lune, que la Terre est plate, etc. On peut également penser aux Chemtrails (théorie selon laquelle les traînées d’avions déverseraient des produits chimiques servant à contrôler le climat, ou à stériliser les populations), au Projet Haarp (un projet américain de radio-émetteur à haute fréquence utilisant un réseau massif d’antennes qui permettrait de contrôler, de dérégler, de manipuler le climat), ou au fait que la CIA aurait provoqué l’ouragan Irma, etc. La liste est interminable.
Défiance contre la classe dirigeante 
Les décalages, ente les discours des gouvernements prétendant œuvrer pour le bien commun, et la réalité sociale entretiennent une méfiance légitime, une défiance générale à l’égard de la classe politique et les doutes quant à l’indépendance des médias (dont la quasi-totalité sont la propriété de grand groupes privés, et les liens entre les multinationales et le gouvernement ne sont plus à démontrer). On distingue là la base de ces théories : l’essentiel de l’organisation de la société capitaliste est fait dans l’ombre, dans le secret, loin des projecteurs et des rouages « démocratiques ». La gestion de la société par les capitalistes et leurs États constitue le terreau de ces thèses.
D’ailleurs, critiquer les théories complotistes ce n’est pas nier qu’il existe des complots, des évènements ou politiques sciemment cachés au grand public. Dans l’histoire des complots, des plans secrets ont existé : l’assassinat de César en -44, les agissements de la France au Rwanda, ou les mensonges autour d’armes de destruction massive pour justifier la guerre en Irak, etc.
L’économie et la diplomatie capitaliste reposent sur le secret. C’est pour cette raison qu’en 1917, Trotsky pensait que sa tâche prioritaire de Commissaire du Peuple aux Affaires étrangères consistait à publier les traités et de fermer boutique. C’est également pour cela que nous exigeons par exemple la levée du secret des affaires.
En résumé, le complotisme constitue une mauvaise réponse, une réponse réactionnaire, à des questions légitimes.
Symptôme de l’influence des idées réactionnaires 
Les théories complotistes traduisent le développement des idées réactionnaires, qu’elles viennent notamment de l’extrême droite classique ou du fondamentalisme religieux.
C’est évident pour toutes celles tournant autour du « complot juif » (idée à laquelle adhèrerait 31% des français). On peut également penser aux débats autour du groupe de Bilderberg (un groupe de personnalités de la diplomatie, des affaires, de la politique et des médias américains et européens, se réunissant une fois par an, et actuellement dirigé par Henri de La Croix de Castrie, l’actuel PDG d’AXA), ou à la « finance juive » des Rothschild, ou enfin la « communauté organisée » dont parle Soral (instrumentalisant ainsi le conflit israélo-palestinien). Mais cela remonte même au début du XXème siècle avec le « Protocole des sages de Sion », qui était un faux document révélant un soi-disant plan de conquête des juifs, rédigé en secret par la police tsariste pour dévier la contestation naissante du prolétariat russe. En 1919, Lénine écrit d’ailleurs que parmi les juifs il y a des travailleurs et qu’ils en forment la majorité, ce procédé permet d’aveugler les travailleurs et de détourner leur attention du véritable ennemi du peuple : le capital.
L’origine réactionnaire est également évidente dans le cas du « complot communiste » brandi par McCarthy dans les années 50 en pleine guerre froide, pour justifier une répression des militants. C’est aussi le cas des théories de la Terre plate (prétendant que la Nasa truque ses photos) dont l’origine se trouve dans l’extrême droite religieuse américaine. Ici, nous sommes davantage confrontés à la théorie du « grand remplacement » selon laquelle « par l’immigration, la civilisation arabo-musulmane est en train de conquérir l’Europe et notre identité », thèse raciste masquant complètement la responsabilité de l’impérialisme dans les flux migratoires.
Mais le caractère réactionnaire de certaines autres théories est moins évident bien que réel.
La théorie autour des illuminatis, une secte plus ou moins calviniste régnant sur la destinée mondiale (que 20% des français pensent vrai). Les partisans de cette théorie cherchent d’ailleurs constamment les symboles de cette domination, et en premier lieu le triangle : que cela soit la pyramide sur les billets de 1$, l’album The Dark Side of the Moon de Pink Floyd, la pyramide du Louvre… Le triangle est partout, les illuminatis aussi.
L’histoire est éclairante à ce sujet. La Société des Illuminés est une société secrète, fondée en 1776, influencée par la philosophie des Lumières et les idées de la bourgeoisie révolutionnaire, dont le but était de libérer le monde de toute religion établie. Elle a atteint jusqu’à 2500 membres avant d’être dissoute en 1787. Mais ce sont des écrivains contre-révolutionnaires, comme John Robinson, ou le jésuite Augustin Barruel, qui défendent l’idée que cette société n’aurait pas été dissoute et qu’elle aurait organisé dans l’ombre la Révolution française. Leur objectif était clair : montrer que les masses pauvres, qui avaient été au premier plan des événements révolutionnaires n’avaient été que les pantins stupides et ignorants manipulé par une société secrète, et non des citoyens conscients de la nécessité de changer et de renverser la société féodale.
Ces théories sont remises au goût du jour après la vague révolutionnaire de 1917, puis dans les années 1950, principalement par William Carr. Ce dirigeant d’une ligue anticommuniste au Canada explique dans Pawns in the Game que les illuminatis fomentent des révoltes communistes. Il s’appuie sur une lettre d’un franc-maçon américain, nommé Pike, qui décrirait les projets des sociétés secrètes pour le XXème siècle : la révolution de 1917, le fascisme et les guerres mondiales pour finalement créer l’état d’Israël en Palestine.
Au final, on retrouve toujours la même vision : les masses n’interviennent jamais consciemment dans les événements, mais sont manipulées par d’occultes manipulateurs décidant tout par avance. Si l’on suit cette logique, vouloir changer la société est vain.
Un mode de pensée en développement 
Ces thèses n’ont pour pas encore été brandis par des partis politiques, si l’on met à part Asselineau et son idée de complot européen. Pour autant, en France, l’idée de l’existence d’un « complot juif » et d’une domination par des banquiers et journaliste juifs se développe, se repend, que cela soit dans des milieu influencés par le RN ou par les islamistes.
De nombreuses idées anti-scientifiques se développent également comme celles défendues par les courant hostile aux vaccins, les « anti-vax ». Leurs théories dangereuses se basent notamment sur l’idée que les laboratoires pharmaceutiques créeraient les épidémies pour vendre des vaccins, ou que les vaccins seraient inutiles ou dangereux. Cette théorie se base sur de rares cas d’autisme, sur des effets secondaires (propres à tous types de médicaments) et sur la logique des profits qui commande les grands groupes pharmaceutiques les poussant à agir contre l’intérêt général. Après les commandes de milliers de vaccins, contre la grippe H1N1, par Roseline Bachelot (ministre particulièrement liée à l’industrie pharmaceutique), les complotistes avaient d’ailleurs préféré se baser sur la composition du vaccin plutôt que de placer le débat sur les liens entre le gouvernement de Sarkozy et l’industrie pharmaceutique.
L’adhésion globale à ces thèses conspirationnistes est un des formes que prend la baisse de la conscience de classe, voir la résignation dans le monde du travail et la jeunesse. Cette fatalité pouvant aller jusqu’à l’affirmation selon laquelle « ils dirigent le monde, ils ont déjà gagné ».
Du moins, des instigateurs de ces thèses vont jusqu’à dire que « la domination mondiale des forces surnaturelles est trop avancée, s’accrocher au monde matériel n’a aucun intérêt. Que l’essentiel est spirituel. » Proposant même une extrême platitude comme « pratiquer une consommation intelligente, boycotter les marques qui utilisent des OGM, pratiquer une citoyenneté active. Ce sont les quelques règles simples pour faire reculer Lucifer. » Puisque comme chacun le sait le sait, Lucifer est actionnaire des sociétés utilisant les OGM.
Tout cela marque un recul des idées progressistes et donne de fausses explications du monde. C’est une nouvelle forme d’opium du peuple. Nous devons y opposer la conscience politique et de développement de la conscience de classe.
Développer la conscience de classe et la combativité de notre camp 
Il n’existe pas de corrélation entre complotisme et combativité. Par exemple dans le mouvement des Gilets jaunes, malgré une combativité intense, l’absence de repères de classe était criant en particulier au début du mouvement, et le complotisme présent. Le gouvernement et la bourgeoisie ont d’ailleurs voulu résumer le mouvement à cela. Cette étiquette s’appose facilement sur toute personne qui cherche le lien entre les différents acteurs du système sans disposer de toutes les clés pour comprendre la société. Voir comment le gouvernement a instrumentalisé les attentats, ou tous les mensonges qu’il manie pour justifier sa politique, renforcent grandement les idées complotistes.
L’étiquette est utilisée par la classe dominante pour décrédibiliser un mouvement ou dompter un corps social agité. On peut penser à Bolsonaro disant du réchauffement climatique qu’il s’agit d’un complot marxiste, justifiant ainsi sa politique ultra-réactionnaire. C’est une crainte de la bourgeoisie de voir les classes populaires se mettre en mouvement contre la réaction.
La réalité sous nos yeux est déjà suffisamment terne : la police est partout ; les managers et petits chefs constamment derrière nous ; chaque patron a sa page web, un nom, une adresse ; les chefs d’états sont sur toutes les chaînes ; le réveil sonne pour nous appeler au travail… Il n’y a aucun complot derriere l’exploitation économique, mais un rapport fondé sur la propriété privée. Celui qui possède les moyens de production n’a pas besoin de se dissimuler. Et celui qui travaille, s’il veut s’émanciper, n’a pas besoin de savoir si son patron est juif, catholique, de la planète mars, ou du club d’échec de Chaponval.
Nous devons nous donner les moyens de combattre ces idées par la réappropriation, des sciences par exemple concernant les vaccins, ou pour lutter contre les théories réactionnaires concernant l’écologie. Une société sous le contrôle des travailleurs permettrait d’avoir un contrôle total sur les entreprises pharmaceutiques, décidant quoi produire et comment, ne permettant ainsi plus de soupçons quant à la prise de décision.
Seule, l’argumentation contre telle ou telle théorie conspirationniste aussi utile soit elle ne suffira pas à faire globalement reculer ces idées. Notre pratique militante quotidienne est inséparable du combat contre les idées réactionnaires : nous saisir de toute occasion pour construire la lutte, collective, pour modifier par l’action commune le rapport de force. C’est ainsi que nous pouvons participer à redonner confiance dans les forces de notre classe pour contester le pouvoir de la bourgeoisie et imposer notre contrôle total sur l’économie et la société.
Barth.
 
L’atelier sur le complotisme au camps d’été de la Tendance pour une
Internationale Révolutionnaire
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