Pour prévenir toute pénurie, nationaliser sous contrôle ouvrier le secteur alimentaire

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SOURCE : Révolution permanente

Ces derniers jours, les scènes de panique se sont multipliées dans les grands magasins, entraînant des ruptures de stock temporaires sur de nombreux produits. Si pour l’instant la pénurie n’est pas de mise, un tel scénario n’est pas à exclure si la crise s’éternise. Comment s’y préparer ?

Dès l’annonce du confinement, les scènes se sont multipliées dans les grandes surfaces : des clients qui se ruent sur les produits de première nécessité et des rayons qui se vident très rapidement. Si la situation est revenue à la normale depuis quelques jours et que le gouvernement et les grands distributeurs assurent qu’il n’y a pas de risque de pénurie, les choses pourraient bien changer si la situation venait à s’aggraver. La vague de panique du début de confinement donne une idée de ce qui pourrait venir en cas d’aggravation probable de la crise mais aussi des solutions qu’il faudrait y apporter.

Quand la grande distribution fait des profits sur la crise

La grande distribution a fait des affaires avec la crise du coronavirus. Entre le 9 et le 15 mars, selon le cabinet d’études Nielsen, le chiffre d’affaires des grandes enseignes a bondi de 38%, générant un surplus de 700 millions d’euros comparé au mois de mars 2019. Le dimanche 15 mars, l’augmentation des ventes a même été de 108%, signe de la ruée massive sur les magasins peu avant l’allocution de Macron qui annonçait le confinement.

Si cette hausse s’explique en grande partie par la volonté de faire des stocks en prévision de la crise, cette croissance du chiffre d’affaires est également due au report de la consommation alimentaire venue d’autres secteurs vers celui de la grande distribution, comme celui de la restauration collective ou du petit commerce. Ce n’est donc pas une hausse seulement conjoncturelle qui sera rattrapée par la suite mais une flambée de la grande distribution qui va être durable. En d’autres termes, les supermarchés font leur beurre sur la crise au détriment de la santé et des finances des travailleurs et des classes populaires de ce pays.

En effet, les patrons de la grande distribution n’ont quasiment rien fait pour endiguer la vague de panique, et ont préféré profiter à plein du boom, que ce soit en termes de gestion de stock ou de mesures de protection. Si certains ont reproché aux clients de vider aux stocks sans penser aux autres, ce sont bien les patrons des grandes enseignes qui ont laissé écouler les stocks pour être sûrs de vendre au maximum. Du côté des mesures sanitaires, le constat est le même. Si le gouvernement a interdit la présence de plus de 100 clients au même instant dans les magasins –une mesure depuis levée- les mesures de sécurité ont été réduites au minimum et encore aujourd’hui, l’équipement des caissières et pour les clients pour éviter la propagation du virus est plus que minimum. Plusieurs syndicats ont dénoncé les pressions exercées sur les salariés pour venir travailler et certaines études estiment que 10% à 25% des employés de la grande distribution seraient absents quotidiennement.

La chaîne alimentaire pourrait bien être déstabilisée

Depuis mardi, la situation dans les supermarchés est revenue quasiment à la normale, même si le chiffre d’affaires reste encore supérieur à la normale en raison du confinement. De plus, le gouvernement et les grandes distributions écartent officiellement tout risque de pénurie, annonçant des stocks (hors produits frais) d’au moins 30 jours. Mais si la situation venait à s’éterniser, ce qui semble de plus en plus probable, les problèmes pourraient s’accumuler et venir menacer la sécurité alimentaire.

D’abord, du côté des producteurs, la situation est de plus en plus inquiétante car les travailleurs saisonniers, venus à 50% de l’étranger, sont bloqués aux frontières. Cette situation vient mettre en lumière de manière brutale comment repose la sécurité alimentaire dans un pays impérialiste comme la France, sur la surexploitation de travailleurs pauvres venus d’autres pays, mais aussi la fragilité de ce système. Depuis plusieurs jours, les ministères du Travail et de l’Agriculture planchent sur des pistes de sortie de crise prévoyant des conditions encore plus brutales pour les travailleurs : réquisition de main d’œuvre vacante, incitations financières en échange d’une extension vertigineuse du temps de travail à travers des mesures d’exception ou encore l’assouplissement des règles de circulation aux frontières.

Second point, la crise du coronavirus a entraîné une transformation importante des modes de consommation. Enfermée chez elle –quand elle n’est pas forcée à travailler- une bonne part de la population se dirige vers la consommation de denrées non périssables achetées en grandes surfaces, ce qui menace de faire s’effondrer une partie de la chaîne alimentaire. Sur certains marchés, comme celui des petits producteurs et du poisson, la dépendance à la restauration collective ou au petit commerce est en train de faire plonger la demande. Un phénomène déjà observé en Italie où certains grossistes ont vu plonger leur chiffre d’affaires de 30 ou 50%. Outre les conséquences sociales désastreuses, cette déstabilisation pourrait bien entraîner un effet domino et menacer la chaîne alimentaire à terme, y compris dans un pays comme la France. C’est l’inquiétude de nombreux experts du secteur.

Enfin, pour noircir encore le tableau, le point qui suscite l’inquiétude la plus immédiate est celui des transports. En effet, ces derniers jours, de nombreux chauffeurs routiers ont exercé leur droit de retrait. Ils dénoncent l’absence de matériel de protection mais aussi la fermeture des sanitaires et des douches sur les stations-service avec la baisse de fréquentation des autoroutes. « Les grosses sociétés d’autoroutes se gavent sur notre dos et ont décidé de fermer tout ce qui est sanitaires, douches. Comment voulez-vous qu’on bosse ? […] On demande juste de pouvoir se laver et manger […] S’ils n’ouvrent pas leurs portes, on va arrêter » expliquait ainsi mercredi matin Cédric, un routier, sur RMC.

Alors que le gouvernement prépare l’opinion publique à une poursuite du confinement, et se refuse à prendre les mesures nécessaires pour empêcher la propagation du virus, les difficultés qui s’accumulent sur le terrain de la production et de la logistique pourraient ouvrir le scénario d’une crise alimentaire, illustrant à sa manière l’incapacité du système capitaliste à s’adapter en temps de crise.

Exproprier les grands groupes alimentaires pour garantir la production alimentaire

Face à ce scénario, les mesures d’expropriation, de contrôle ouvrier et de planification sont la seule réponse possible. En effet, pour garantir la production alimentaire sur le long terme, et empêcher les mesures brutales que le gouvernement prévoit contre les travailleurs, il faudrait exproprier les grands groupes alimentaires et réorganiser l’ensemble de la chaîne productive sous le contrôle des travailleurs. C’est le seul moyen de garantir une production adaptée à la demande, de reconvertir les secteurs qui connaissent une baisse de leurs chiffres d’affaires, d’éviter que des travailleurs soient licenciés, et d’empêcher tous les phénomènes spéculatifs qui interviendrait nécessairement en cas de crise alimentaire. Une aide aux petits producteurs est également impérative pour qu’ils n’assument pas seuls les coûts de la crise, par exemple en garantissant des prix garantis financés par de lourds impôts sur les grands propriétaires fonciers et la grande distribution qui leur offrent déjà en temps normal des prix ridicules.

Ce scénario est loin d’être une fiction, dans de nombreux pays semi-coloniaux qui ne disposent pas d’une chaîne alimentaire sécurisée, c’est même une réalité quotidienne. Et ils seront d’ailleurs les premiers à payer les conséquences de la crise qui vient en raison de leur forte dépendance au marché économique mondial. Dans de nombreux pays africains, alors que le virus commence à se propager rapidement, les produits alimentaires ont déjà connu une très forte inflation. Sur les marchés de Douala, au Cameroun, le seau de macabo, un tubercule très consommé, est passé de 5.000 à 8.000 francs CFA.

Dans les transports, ces mesures permettraient également de faire face aux problèmes. Il faut d’urgence exproprier les entreprises autoroutières qui ferment scandaleusement leurs installations sanitaires. Il faut dans le même temps réorienter les transports de marchandises essentielles vers le transport ferré, d’autant plus que le transport de voyageurs est au plus bas. Cela permettrait également de mettre sur pied une planification écologique plus que jamais nécessaire face aux dégâts meurtriers que provoque ce système capitaliste sur la nature.

Contre les spéculateurs, mettre en place un contrôle des prix par les travailleurs et la population

C’est le lot de toute crise et de toute pénurie dans le système capitaliste : les spéculateurs, qui jouent déjà sur le cours des matières premières pour faire exploser leurs profits, se déchaineraient en cas de crise alimentaire. Cette probabilité d’un scénario inflationniste est confirmée par plusieurs spécialistes, dont Philippe Crevel, macro-économiste, spécialiste de la question des retraites et président du Cercle de l’Epargne. « Nous n’en sommes qu’aux débuts de la crise sanitaire, il est encore difficile de dire ce à quoi pourrait ressembler l’après. Une chose est sûre : certains paradoxes favorisent, dans une certaine mesure, l’inflation. Pour certains produits, au moins », estime en effet le chercheur, qui poursuit : « Les prix des biens de consommation courante, comme les denrées alimentaires par exemple, sont évidements susceptibles d’augmenter ».

La seule manière d’empêcher ce phénomène, ce serait de mettre dès maintenant en place un contrôle des prix basé sur le coût de la production réelle, garantissant des revenus pour les producteurs qui leur permettent de vivre convenablement, et mettant fin aux profits scandaleux de la grande distribution, encore plus odieux en ces temps de crise. Dans les supermarchés, il faut donner le contrôle aux salariés qui pourront mettre en place le contrôle des prix en lien avec la population, des conditions sanitaires décentes et, si besoin est, un rationnement de la vente pour empêcher que les rayons se vident. Cela permettrait également d’éviter les phénomènes de panique en instaurant un contrôle transparent et démocratique de la production qui puisse rassurer la population et assurer la sécurité alimentaire.


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