Julian Assange m’a appelé. Voici ce dont nous avons parlé | Par Yanis Varoufakis

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SOURCE : pressenza

La nuit dernière, Julian Assange m’a appelé. Voici ce dont nous avons parlé | Par Yanis Varoufakis
(Crédit image : actvism.org)

Hier soir (23 mars), juste après notre premier évènement sur DiEM25 TV, mon téléphone a sonné. C’était Julian. Depuis sa prison. Ce n’est pas la première fois qu’il m’honore en m’appelant sur le peu d’appels que la prison lui permet de passer. Comme à chaque fois, dès que je reconnais sa voix, un torrent d’émotions m’envahit. La culpabilité tout d’abord, à la pensée qu’une fois l’appel terminé, il restera là-bas, dans cet endroit sombre dans lequel il a été confiné suite à la décision qu’il a prise il y a des années, pour nous permettre de comprendre tout ce que les pouvoirs en place faisaient à notre place sans que nous en ayons connaissance ou que nous donnions notre accord. 

Julian voulait discuter des impacts du Covid-19 sur notre monde, et bien entendu sur son propre cas. Il m’a fait remarquer que le manifeste électoral de Jeremy Corbyn, que l’institution avait blâmé pour trop de radicalité, semblait maintenant excessivement modéré. Il s’est moqué de l’audace de ceux qui disaient aux Britanniques qu’il est irresponsable de dépenser quelques dizaines de milliards pour financer correctement le NHS et l’aide sociale pour tous, pour faire du haut-débit un service d’utilité publique, et pour nationaliser les réseaux ferroviaires pour qu’ils fonctionnent mieux. Ces mêmes personnes, alors même que les affaires et le capitalisme en général sont dans la tourmente, semblent avoir trouvé la planche à billets, et annoncent l’injection de milliards dans l’économie. Julian ne savait pas que Boris Johnson avait annoncé le 23 mars la nationalisation temporaire des réseaux ferroviaires, voyant que les propriétaires privés ne pourraient jamais fournir un service décent au beau milieu d’une urgence nationale. Comment aurait-il pu le savoir alors que les autorités pénitentiaires lui interdisent tout accès aux journaux, à internet, et même à BBC Radio 4 ?

Après quelques minutes de discussion sur les néolibéraux, aux prises avec quelques ARN que le système ne pourrait pas affronter sans abandonner toutes certitudes, nous avons parlé de ce que cela signifie pour l’avenir. Julian a indiqué, très judicieusement, que cette nouvelle étape de la crise nous montre clairement au moins que tout va, que désormais tout est possible. J’ai ajouté à cela que tout est possible, le meilleur comme le pire. Que cette pandémie nous aide à faire ressortir le bien ou le mal de la société, cela dépendra de nous, de la manière dont les progressistes parviennent à se réunir. Si nous ne faisons rien, comme en 2008, les banquiers, les escrocs, les oligarques et les néofascistes prouveront encore une fois qu’eux savent comment ne pas laisser une bonne crise se perdre. 

Allons-nous réussir ? Julian a émis un commentaire plein d’espoir : Au pire, les organisations transnationales comme WikiLeaks et DiEM25 disposent depuis longtemps d’outils digitaux rodés pour organiser des débats et campagnes en ligne. Nous sommes donc mieux préparés que d’autres. 

Puis nous avons parlé de son cas. Ses conditions de détention se détériorent. Avec l’arrêt des visites, son isolement s’aggrave. Ses avocats sont sur le point d’adresser un recours au tribunal pour une libération sous caution. A la prison de Belmarsh High Security, le Covid-19 représente un énorme risque pour la santé de Julian. Est-ce que le tribunal va lui octroyer une libération sous caution ? C’est peu probable. Est-ce que cette crise va aboutir à une extradition ? Nous sommes d’accord sur la réponse : probablement, mais probablement pas. Les services de sécurité nationale aux Etats-Unis et au Royaume-Uni ont bien d’autres soucis à régler, soucis qui ne faisaient pas partie de la situation il y a quelques semaines. 

Notre conversation a duré 10 minutes et 1 seconde. Le gardien de prison a mis fin à l’appel. Cet homme qui connaît les dangers et douleurs de l’isolement mieux que nous tous en est sorti pour me donner, nous donner, une leçon de 10 minutes sur comment ne rien lâcher pendant un confinement. 

Ne vous méprenez pas chers lecteurs : Julian se bat pour garder ses facultés, pour ne pas perdre la tête. Chaque jour, il se bat en solitaire contre les ténèbres et le désespoir. Lorsqu’il semble lucide, presque marrant au téléphone, c’est parce qu’il a travaillé pendant 20 heures à anticiper le moment où il pourrait communiquer sa version de l’histoire et ses pensées au monde extérieur. Personne ne devrait avoir à vivre ça.

Maintenant que nous sommes tous confinés, la situation difficile de Julian, ainsi que ses perspectives, doit nous faire réfléchir et nous amener à découvrir le pouvoir et la solidarité en nous, nécessaires à assurer que cette crise n’est pas un gâchis. Il ne faut pas que les pouvoirs en place, ineptes et corrompus, soient encore une fois les bénéficiaires de cette crise.

YANIS VAROUFAKIS & DiEM25

Yanis Varoufakis est professeur de Théorie Économique à l’Université d’Athènes, ancien ministre des finances grec et fondateur du Mouvement Démocratie en Europe 2025 (DiEM25). Varoufakis est également auteur de plusieurs ouvrages sur la crise de la dette européenne, le déséquilibre financier dans le monde et la théorie des jeux.

DiEM25 est un mouvement démocrate pan-européen, multinational, qui adresse les problèmes économiques et sociaux auxquels l’Europe fait face aujourd’hui. C’est une alternative aux politiques d’austérité qui divisent le continent et alimentent la montée des « nationalistes internationaux ».

L’article original a été publié sur DiEM25.org le 24 mars 2020. 

Traduction de l’anglais, Frédérique Drouet


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