« Après le Covid-19, la volonté populaire devra être mise au premier plan », par Romain Dureau

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SOURCE : QG

Alors que nous entrons dans une crise de longue durée, il est plus que jamais important de préparer un « Jour d’après » qui tirera toutes les leçons du désastre. Romain Dureau, agroéconomiste et cofondateur de « Urgence transformation agricole et alimentaire » a lu pour QG les récentes contributions au débat de l’ancien ministre Arnaud Montebourg et de l’écologiste Corinne Morel Darleux

Les effets du coronavirus sur le fonctionnement de nos sociétés et de nos économies ont tout d’une crise majeure. D’une crise sanitaire – amenant l’Etat à contraindre le fonctionnement de nos quotidiens – découlera une crise économique dont les conséquences commencent à peine à être perçues tant l’issue de cette période de confinement est encore incertaine. On évoque désormais au minimum la mi-mai. Pour beaucoup, cette crise est le révélateur des fragilités structurelles de nos économies, liées aux choix politiques néolibéraux opérés depuis plusieurs dizaines d’années. Le défi de cette période, pour nous citoyennes et citoyens, est comme le disait Jaurès en 1903 dans son discours d’Albi : « de ménager à notre regard, à notre esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des perspectives plus étendues ». Le monde d’après se pense et se construit dès maintenant. Pour nourrir mes réflexions, j’ai lu, avec grand intérêt, les interventions récentes de Corinne Morel Darleux sur le site Mediapart, et d’Arnaud Montebourg dans les quotidiens Le Figaro et Libération. En voici une lecture croisée.

Un constat commun : l’échec de la mondialisation

L’interview d’Arnaud Montebourg, ancien ministre du Redressement productif socialiste, dans Le Figaro est ainsi titrée : « La mondialisation est terminée ». Son constat est assez clair : « Les événements épidémiologiques et sanitaires du Covid-19 montrent l’excessive et dangereuse intrication des chaînes mondialisées de production industrielles et humaines. » Et sa conclusion, pour le moins explicite : « La mondialisation est terminée. Il faudra donc avec nos propres ressources reconstruire notre indépendance économique, technologique et productive ». Car au-delà de toute considération idéologique, force est de constater que dans cette période de crise, notre pays s’est retrouvé privé à la fois de ses stocks, et de ses industries permettant de produire masques de protection, tests de dépistage, médicaments, respirateurs ou encore bouteilles d’oxygène. La situation, dans ce contexte, ne pouvait que s’aggraver, et c’est, il faut bien le dire, fortement dû à un manque d’anticipation et de longueur de vue des gouvernements successifs. « Cette situation vient malheureusement valider plusieurs constats, notamment sur l’inconséquence que représentent la mondialisation des flux de marchandises et le fait d’avoir cantonné petit à petit certains pays à la production de biens dits immatériels. Nous nous retrouvons ainsi complètement dépendants pour certains biens de première nécessité, médicaux notamment » confirme Corinne Morel Darleux, coordinatrice des assises pour l’écosocialisme au Parti de gauche. Le pouvoir faire la chasse aux « donneurs de leçons ». Les détracteurs de la mondialisation et de la perte d’indépendance productive n’ont pourtant pas attendu le coronavirus pour se faire entendre. Et le coronavirus n’est pas le premier évènement à remettre fortement en cause la mondialisation économique et financière.

La catastrophe était latente et n’attendait qu’un révélateur pour exploser. C’est précisément de là que vient le scandale : d’après Corinne Morel Darleux, « nous savions ces fragilités, nous connaissions ces risques. Mais nous n’avions pas les leviers. » Il n’est pas de trop, dans la période, de pointer la responsabilité des pouvoirs publics. Appeler un jour à tousser dans son coude, le lendemain à aller au théâtre, le surlendemain à aller voter pour les municipales, pour enfin acter le confinement total du pays quelques jours plus tard. Le gouvernement a beau jeu désormais de renvoyer sans cesse à la « responsabilité individuelle » si chère aux libéraux. « La catastrophe que nous traversons est surtout révélatrice de la faillite de la technostructure financière et médicale qui a pris le pouvoir ces dernières années » pointe Arnaud Montebourg, manière de dénoncer l’abdication des dirigeants politiques. Corinne Morel Darleux comme Arnaud Montebourg regrettent ainsi qu’un temps pourtant précieux ait été perdu, depuis des années. Notre avenir, notre sécurité, notre santé, nos emplois ont été sacrifiés sur l’hôtel de la sainte concurrence : « que de temps perdu, d’usines fermées, de brevets, de salariés et de savoir-faire abandonnés qu’on aurait pu conserver », déplore Arnaud Montebourg, pointant également la responsabilité de l’Union Européenne et des politiques d’austérité imposées aux pays européens, dont les services publics et les salaires les plus bas ont été victime. « Tout le monde va devoir réviser ses précis de catéchisme européen » prévient-il, arguant finalement que si l’UE ne change pas radicalement de logiciel, elle sera balayée par les peuples. Ce processus de dislocation de l’UE est en réalité déjà bien avancé ; à titre personnel, je le crois déjà irrémédiable. L’Union économique et monétaire est agonisante, tuée dans l’œuf par la logique de mise en concurrence généralisée des peuples et des économies. Le projet européen est mort, place à l’Europe des projets !

Les (ir)responsables politiques actuels et passés sont donc comptables des complications que connaît notre pays, et de la situation économique à venir difficile, notamment pour les plus faibles : La pandémie « agit également comme un révélateur des inégalités sociales. Les périodes de crise nous rappellent violemment que non, on n’est pas tous dans le même bateau, que ce soit en termes de responsabilité ou de vulnérabilité », rappelle Corinne Morel Darleux. Ce sont les premiers de corvée qui, tous les matins, continuent de se lever pour aller travailler. Soignants, agriculteurs, éboueurs, caissiers… : les invisibles et les méprisés du capitalisme, soudain, reviennent en pleine lumière. Les jobs les moins gratifiés sont ceux qui, pourtant, sont les plus indispensables. Ceux-là continuent d’aller travailler, risquant, évidemment, d’être contaminés à leur tour. Ceux qui aux yeux d’Emmanuel Macron « ne sont rien » comptent pour beaucoup, et cela fait des années que l’on dit qu’ils sont mal payés et qu’ils travaillent dans de mauvaises conditions. Il aura fallu attendre le désastre pour avoir des discours larmoyants de la part du Président ou du Premier Ministre. C’est à en hurler de colère.

Ne pas attendre pour construire « le monde d’après »

Ce que nous traversons actuellement est communément appelé « crise ».  Une crise est basiquement une « rupture d’équilibre ». En écologie, une crise – à l’image de la crise Crétacé-Tertiaire, par exemple – marque le passage d’un équilibre à l’autre, et donc un changement dans la structure et la composition des écosystèmes. C’est finalement un mécanisme, certes douloureux, d’adaptation à une perturbation. Ce qui est formidable avec le capitalisme, c’est qu’il parvient encore à survivre aux nombreuses perturbations qui lui sont structurelles et qu’il crée lui-même. C’est ainsi que, comme le fait remarquer Corinne Morel Darleux, « après la crise financière en 2008, rien n’a été fait pour réduire la spéculation et ramener le secteur financier à une activité plus proche de l’économie réelle. » Evidemment, il y a eu des pots cassés, suite au sauvetage des banques grâce une masse importante d’argent public : nos hôpitaux, par exemple, saccagés par l’austérité budgétaire et la logique de privatisation.

Ce qui nous renvoie au Covid-19. Personne ne pouvait à coup sûr et précisément prévoir l’expansion d’un tel virus, mais ce que nous pouvons clairement affirmer, c’est que toutes les conditions de sa propagation étaient réunies. Et que tous les outils de prévention et de réaction ont été mis à mal par les politiques libérales. Il ne s’agit donc pas d’être capable de prévoir les crises, mais d’être suffisamment conséquent et soucieux de l’intérêt général pour les anticiper, et limiter leur impact sur la vie réelle. Toute cela montre qu’il est important de voir loin, de voir grand, et de penser, dès maintenant, le monde d’après. Celui qui nous fera envie, celui qui servira l’intérêt général du plus grand nombre, aujourd’hui et demain.

Réussirons-nous, collectivement, à faire émerger de cette période si particulière de nouvelles manières de faire, de nouvelles solidarités, un nouveau paradigme ? « J’espère que cette période va permettre de développer des îlots de résistance et d’alternatives. On va en avoir besoin pour retrouver de la puissance d’agir et préfigurer un « après » qui vise aussi une sortie par le haut du système, et pas simplement un retour à la normale » nous dit Corinne Morel Darleux. Une telle inversion de vapeur est-elle cependant possible ? La société est-elle majoritairement prête à s’engager dans un large processus de remise en cause du capitalisme, et de ce qu’il implique pour nos choix de vie quotidienne ? Répondre à cette question peut conduire, c’est certain, à une forme assez cruelle de pessimisme.

Des combats quotidiens sont menés, par les salariés et leurs syndicats, mais aussi par les associations. Je pense notamment au combat des ex-salariés de l’usine Luxfer de Gerzat (63), que le groupe britannique a décidé de fermer en mai 2019 et que le gouvernement refuse de nationaliser, alors même qu’il s’agit de la dernière usine française et européenne, hors Royaume-Uni, à fabriquer des bouteilles de gaz pour contenir de l’oxygène médical. Sans parler du sort de ses 136 salariés et de leur savoir-faire unique au monde. Le gouvernement se cache derrière son dogmatisme pour refuser cette nationalisation, comme sur d’autres dossiers antérieurement. Pour Arnaud Montebourg, « Les nationalisations sont tout simplement des outils naturels d’exercice de la souveraineté et de l’indépendance nationale », et en l’occurrence un moyen de retrouver, d’urgence, notre souveraineté sanitaire.

Reprendre la main

Face au dogmatisme du gouvernement, nous n’avons d’autre choix que de reprendre la main. « Le monde d’après » est à inventer et à construire : « nous sommes de plus en plus nombreux à ne pas souhaiter que le retour à la normale se fasse comme si de rien n’était » résume Corinne Morel Darleux. Pour cela, nous devons vite reprendre la main, retrouver cette « puissance d’agir ». Cela concerne d’abord chacun d’entre nous, individuellement. Le premier pas est de refuser, en soi-même, une fois le confinement levé, de reprendre sa routine et de vouloir tout oublier, comme après le réveil d’une nuit agitée. Il serait humain de souhaiter, après plusieurs semaines de confinement, profiter des beaux jours et de ses proches. Jusqu’à la prochaine catastrophe ? Cette capacité individuelle que nous pourrions développer de « faire un pas de côté » suppose une organisation collective qui ouvrira les possibles et rendra l’alternative accessible à tous. C’est ainsi que les circuits alternatifs de distribution alimentaire, par exemple, redoublent aujourd’hui d’effort et d’inventivité pour permettre aux confinés d’avoir accès à une alimentaire saine et indépendante de la grande distribution.

Rien ne peut être comme avant. Par respect pour ceux qui seront tombés pendant cette pandémie. En hommage à ceux qui auront tenu la tranchée, et devront continuer à le faire. « L’imaginaire individualiste de l’« Enrichissez-vous ! » et du « Devenez milliardaires ! » est étrillé par celui du « Entraidons-nous les uns les autres » ainsi que les odes quotidiennes à l’amour du service public perdu » résume Arnaud Montebourg. Au sortir de la crise – si sortie il y a, ne cédons pas à la simplicité du « voilà, c’est fini ». Cette crise laissera une plaie vivement ouverte, elle aura accentué la défiance du peuple vis-à-vis de ses dirigeants, elle aura laissé en ruine un certain nombre de chantiers qu’il faudra bien terminer ensemble un jour ou l’autre. Je pense évidemment à la lutte contre la casse des retraites par répartition ou les mobilisations pour le climat. Oui, beaucoup de choses sont et seront à reconstruire.

Corinne Morel Darleux nous invite à nous saisir de chaque espace pour faire vivre une autre société, et à ne surtout pas abandonner le combat après cette crise sanitaire. « Ne leur déléguons pas le soin de construire la suite ! Le coronavirus ne remet pas les compteurs à zéro, la pandémie ne doit pas servir à étouffer les luttes ni l’esprit critique. » Au sortir de la crise, c’est la volonté populaire qui devra être mise au premier plan, et non les calculs cyniques de politiciens en perdition et en quête de quelques parts de marché électoral. Nous le disons, avec mes amis du collectif « Les Constituants » : « c’est au peuple d’écrire la suite de l’Histoire. » C’est au peuple, aux citoyens, de dire quelle société devra émerger de cette crise qui aura ébranlé l’ensemble du capitalisme mondialisé, comme le feront d’autres crises, financières ou écologiques, dans les années à venir.

Arnaud Montebourg propose de s’appuyer sur l’Histoire de notre pays et de reconstruire « un Etat fort qui unifie et protège », sans pour autant refaire l’erreur d’un « technocratisme vertical » qui empêche tant d’initiatives et d’alternatives citoyennes d’advenir. « Cette reconstruction sera écologique dans la conscience mondiale car l’ancien monde anthropocène que nous avons accepté depuis 70 ans s’écroule dans ses fondements » précise-t-il, « le moment est venu de reconstruire activement notre indépendance, non pas seulement énergétique, mais également technologique et scientifique, alimentaire et agricole, numérique et industrielle. » Dans Libération, Arnaud Montebourg précise cette « reconstruction écologique » : « Le moins d’importations possible, une économie davantage tournée vers le marché intérieur continental avec des bons salaires et de meilleurs prix pour rémunérer ceux qui produisent ici. » Arnaud Montebourg semble actualiser très positivement son logiciel en matière d’écologie. Assumant l’enjeu indispensable de notre indépendance énergétique, il considère désormais que celle-ci, hier organisée autour du nucléaire, se construira « désormais » autour des énergies renouvelables. Parler ainsi du nucléaire au passé est une évolution positive : ira-t-il jusqu’à proposer, comme de nombreux mouvement écologistes et les scientifiques de NégaWatt ou du CLER, un plan de sortie du nucléaire ? En tout cas, recouvrir notre indépendance énergétique suppose de se sevrer d’une sur-dépendance au pétrole et à l’uranium, toutes deux des sources d’énergie importées, et qui pèsent fortement et négativement sur notre balance commerciale : le solde de notre balance commerciale énergétique est déficitaire de 50 milliards d’euros.

Révolution

« Le monde d’après », ce ne sera ni l’ancien monde, ni le nouveau monde. Ce sera notremonde. Celui du travail utile et libéré des contingences de la finance qui met notre santé et l’écosystème en danger. Celui où l’argent ne règne pas en maître sur les grandes décisions qui conditionnent notre avenir. Celui du bien commun et du bonheur collectif, de la joie pure d’être ensemble. Oui, le monde d’après a des allures révolutionnaires, et ce n’est pas un hasard. « Et désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la Civilisation, jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie » écrivait Victor Hugo.

Romain Dureau

Romain Dureau est agroéconomiste. Cofondateur de « Urgence Transformation Agricole et alimentaire » (Urgence TAA), il est membre du Collectif Les Constituants


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