Face à une précarité galopante, des organisations appellent à la grève des loyers

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SOURCE : Reporterre

Face à une précarité galopante, des organisations appellent à la grève des loyers

Chômage technique, perte d’emploi ou d’activité… Certains ont vu leurs revenus baisser, voire disparaître, durant la pandémie. « Si le gouvernement ne fait rien, des Français risquent d’être massivement mis à la rue dans quelques mois », alerte Droit au logement. L’association appelle à un « moratoire sur les loyers ».

Se nourrir ou payer son loyer ? Entre les deux, Marion [*] a dû choisir. « J’ai renoncé à payer mon appartement », souffle-t-elle.

En mars, cette Strasbourgeoise d’une trentaine d’années était censée quitter son logement et entamer un CDD de plusieurs mois comme saisonnière dans un élevage ovin. « L’employeur, situé dans une autre région, avait peur que je lui transmette le coronavirus. Il m’a demandé de rester en Alsace », regrette la bergère. Le contrat n’était pas signé et, quand il est tombé à l’eau, Marion n’a bénéficié d’aucune aide. Elle s’est retrouvée seule dans un appartement que ses colocataires avaient déjà quitté, à devoir assumer entièrement « un loyer supérieur à mon RSA ». Plongée dans une « grande anxiété », elle a immédiatement prévenu son propriétaire et cherché un compromis. « Il souhaitait mettre en place des paiements échelonnés qui m’auraient mis dans une position intenable pour de longs mois, alors j’ai refusé. Il a menacé d’appeler les huissiers. Sans coronavirus, jamais je n’aurais été dans cette situation », assure-t-elle.

Comme Marion, de nombreux ménages précaires sont durement frappés par la crise de Covid-19. Chômage technique, perte d’emploi définitive, perte d’activité partielle ou totale… Certains ont vu leurs revenus baisser, voire disparaître. Les dépenses quotidienne en eau, électricité ou même alimentation ont enflé avec le confinement.

Dans une note sur la baisse des revenus liée à la crise sanitaire, l’économiste Pierre Concialdi estime de 2,5 à 2,8 millions le nombre de ménages d’actifs locataires ou accédants durement frappés par la récession actuelle, « soit six à sept millions de personnes ». Sans compter les populations étudiantes dans la nécessité de travailler, les ménages retraités dont les ressources dépendent en partie des revenus d’autres membres du ménage ou les populations invisibles des statistiques, comme les sans domiciles ou les personnes vivant dans des abris de fortune.

« Cette crise, c’est la double peine pour les moins riches : ils sont souvent confinés dans des logements insalubres et surpeuplés, et en plus ils ont moins de ressources financières pour les payer », alerte Jean-Baptiste Eyraud, fondateur de l’association Droit au logement (DAL) :

Les locataires ont reçu leur quittance fin mars et beaucoup n’ont pas d’autre choix que de suspendre le loyer pour se nourrir et se soigner. Si le gouvernement ne fait rien, des Français risquent de passer à la moulinette, d’être massivement expulsés et mis à la rue dans quelques mois, comme on l’a vu aux États-Unis et en Espagne après la crise de 2008. »

Les locataires solidaires invités à suspendre le paiement de leur loyer au moins jusqu’au 11 mai

C’est pourquoi, depuis le début de la crise sanitaire, différentes organisations et bailleurs sociaux ont demandé au gouvernement un moratoire sur les loyers, c’est-à-dire la suspension de l’obligation de payer le loyer pour tout ou partie des locataires et l’arrêt de toute sanction à l’encontre de ceux qui l’ont suspendu par nécessité ou par solidarité.

L’association Droit au logement, associée à d’autres mouvements associatifs et syndicaux [1], lance ce vendredi 17 avril une action collective de solidarité « avec les locataires et les accédants à la propriété de leur habitation qui n’ont pas pu régler leur échéance en mars ou ne pourront pas en avril puis en mai ».

L’association Droit au logement, associée à d’autres mouvements, a lancé une action collective de solidarité.

Les locataires solidaires sont invités à suspendre le paiement de leur loyer au moins jusqu’au 11 mai, tout « en mettant l’argent de côté pour rembourser à la fin de la crise sanitaire ou lorsque le gouvernement aura prononcé un moratoire des loyers ou des locataires en difficulté »« Les locataires risquent, au pire, de recevoir un commandement de payer délivré par un huissier, dont le coût varie de 100 à 200 euros, dans la plupart des cas pas avant le début du deuxième mois impayé », précise Jean-Baptiste Eyraud. L’appel, signé par Jean-Luc Mélenchon (LFI), Philippe Poutou (NPA), Julien Bayou et Esther Benbassa (EELV), est disponible sur la plateforme Loyers suspendus.

Les organisations demandent notamment la mise en place d’un fond de deux milliards d’euros « minimum » pour faire face aux impayés de loyers, le maintien « sans conditions » de l’APL (aide personnalisée au logement) en cas d’impayé et la suspension de la clause résolutoire — qui permet la résiliation d’un bail si l’obligation contractuelle d’une des parties n’est pas respecté. Elles souhaitent aussi une mobilisation des services sociaux et des tribunaux d’instance pour prononcer l’exonération partielle ou totale du loyer en fonction des revenus des ménages. Des mesures équivalentes sont attendues pour les accédants à la propriété en difficulté.

Droit au logement souhaite également que l’État et les bailleurs s’accordent sur « l’abandon de toutes poursuites contre les locataires défaillants, un examen de leur situation et l’indemnisation des bailleurs par l’État à hauteur du montant des loyers impayés ».

Benoît Martin, de l’Union départementale CGT Paris, espère une action « la plus collective possible pour protéger les gens qui vont suspendre leurs loyers. Pour construire un rapport de force face aux bailleurs, il ne faudra pas être trop dispersés, pour ne pas se faire écraser ».

« Le confinement pour les pauvres, c’est un carnage. Les enfants sont énervés, les familles sont sous pression… »

Fanny, 43 ans, fait partie des locataires solidaires. « J’ai suspendu mon loyer ce mois-ci », dit fièrement cette militante associative. Elle-même vit dans un immeuble « mal entretenu », une « passoire thermique » située dans le quartier des Templiers à Coulommiers (Seine-et-Marne). Au début du confinement, mauvaise surprise : elle a été obligée de dépenser « une petite fortune » pour se débarrasser de punaises de lit« Mon canapé était infesté, j’ai dû le jeter et en bricoler un autre avec une palette… Le système D, ça me connaît », ajoute-t-elle.

Aujourd’hui, elle se réjouit, malgré tout, d’être en mesure de payer son loyer, « car ça n’a pas toujours été le cas », mais tient à participer au mouvement en solidarité, notamment pour ses voisins : « Beaucoup sont en intérim et leurs missions se sont arrêtées, d’autres font des petits boulots au noir, comme le ménage, et n’ont plus rien. Des restaurateurs voient leur boîte crever sans avoir de réserve de trésorerie… Le confinement pour les pauvres, c’est un carnage. Les enfants sont énervés, les familles sont sous pression, dans l’immeuble ça gueule dans tous les sens. »

Banderole affichée dans le 20e arrondissement parisie : « Revenu = 0, Loyer = 0 ».

« Il est temps de faire bouger les choses car, pour le moment, excepté le report de la trêve hivernale des expulsions de deux mois et le report de l’amputation des APL, le gouvernement n’a rien prévu pour les habitants », déplore Jean-Baptiste Eyraud. Le 31 mars dernier, néanmoins, le ministère du Logement a annoncé que le Fonds de solidarité pour le logement (FSL), doté de 350 millions d’euros et géré par les départements, pourrait être utilisé « pour éviter les défauts de paiement pendant la période de confinement ». Le 15 avril, le gouvernement a aussi prévu une aide pour quatre millions de foyers, à hauteur de 150 euros par famille bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) ou de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), à laquelle s’ajouteront 100 euros par enfant.

Des mesures « insuffisantes »« une aumône » pour Jean-Baptiste Eyraud : « Les mesures prises par nos voisins européens démontrent que le gouvernement peut faire beaucoup plus. » En Allemagne, un moratoire des loyers pour une période de trois mois a été instauré pour les locataires en difficulté, avec un délai de paiement s’étendant jusqu’à septembre 2022. Le paiement des prêts immobiliers est suspendu dans toute l’Espagne, les locataires suisses peuvent suspendre sans sanction leur loyer pendant trois mois et, à Lisbonne et à Barcelone, les maires ont gelé le paiement des loyers dans leur parc HLM jusqu’en juin.

Un tag appelant au gel des loyers, à Paris.

Le 17 mars dernier, déjà, la Confédération nationale du logement (CNLavait réclamé la suspension des loyers des particuliers. Le ministre chargé de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, avait balayé cette idée. « Suspendre les loyers des particuliers aurait mis en difficulté certains propriétaires », a-t-il dit dans un entretien accordé au Figaro.

« Si le gouvernement ignore la détresse des habitants, il est plus sensible à celle des entreprises », observe Jean-Baptiste Eyraud. La loi sur l’état d’urgence sanitaire a en effet prévu la possibilité d’un moratoire des loyers et des factures d’énergie pour les professionnels et les PME en difficulté, mais pas pour les habitations. « Les grands bailleurs peuvent et doivent faire plus pour [les commerçants] qui ne peuvent pas payer leur loyer »a répété le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, mercredi 15 avril. « Qu’il en soit de même pour les ménages, pour éviter une vague d’expulsions à partir de cet été ! » exhorte Jean-Baptiste Eyraud.


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