Article initialement publié sur le site du NPA.
Rémi Grumel est membre du groupe de travail économique du NPA.
C’est désormais incontestable : la pandémie mondiale du Covid-19 prend aussi la forme d’une crise majeure dans l’histoire du capitalisme.
L’année 2020 connaîtra la première contraction de la production mondiale depuis 1945. En effet, contrairement à la crise de 2007-2008, les pays « émergents » comme la Chine, le Brésil ou l’Afrique du Sud connaissent eux aussi une récession importante, et n’amortiront pas le choc. Aux États-Unis comme en Chine, le chômage explose à des niveaux historiques. Les prévisions de croissance n’en finissent plus d’être revues à la baisse, atteignant aujourd’hui – 8 % en France.
Le coronavirus, le déclencheur de la crise…
Depuis à peu près deux ans, une crise économique importante était attendue, y compris par des institutions internationales comme le Fonds monétaire international (FMI). La question était : quand et par quel bout allait-elle éclater ? Les mesures de confinement prises par les différents gouvernements ont entraîné un arrêt brutal d’activité dans beaucoup de secteurs d’industrie et de services, et des problèmes d’approvisionnement pour les entreprises qui continuaient à tourner. Une bonne partie de la vente au détail a été stoppée, faisant également chuter la demande malgré le spectaculaire boom des ventes en ligne d’Amazon. Les économistes libéraux parlent alors d’un « choc exogène » qui serait la cause principale de la crise. Or ce choc intervient au moment où toutes les conditions étaient réunies pour une grande crise. Il est donc un déclencheur et un amplificateur de la crise, il lui donne son rythme, mais il n’en est pas la cause sous-jacente.
… fait éclater les contradictions d’un capitalisme en panne de profitabilité
Comme l’a montré récemment François Chesnais, la crise de 2007-2008 n’a pas joué son « rôle » de purge violente de capitaux excédentaires : des surcapacités de production se sont maintenues et accrues, par exemple dans l’industrie automobile et dans la sidérurgie, deux secteurs centraux, au passage, pour l’économie chinoise. Dans d’autres secteurs comme celui du pétrole, la surproduction était généralisée. Les gouvernements et banques centrales ont sauvé les grandes entreprises, et les taux de profit ne se sont donc pas significativement rehaussés après la crise, faute de dévalorisation importante du capital. Il s’est ouvert alors l’une des plus longues phases historiques de stagnation de croissance.
La « suraccumulation de capital » est directement liée à cette panne de profitabilité : les investissements productifs sont faiblement rentabilisés, ce qui condamne toute hausse significative de l’investissement à être financée par l’endettement. Cet endettement a atteint des niveaux encore plus élevés en 2019 qu’au pic de 2007. Il a été encouragé par les politiques monétaires qui ont très fortement facilité le crédit. Ces derniers mois, ces contradictions se sont exacerbées et étaient devenues insoutenables, et les marchés boursiers où la spéculation avait repris bon train depuis 2012 atteignaient des sommets. La croissance et le commerce international ralentissaient, et le Japon et la France étaient déjà entrés discrètement en récession au dernier trimestre 2019. Pour toutes ces raisons, les faillites risquent d’être nombreuses, et le scénario en « V » (récession puis rapide reprise) souvent avancé par les économistes libéraux n’est pas crédible. Nous nous dirigeons plutôt vers une forte récession, suivie d’une longue dépression (un scénario en « L »). La directrice générale du FMI Kristalina Georgieva a d’ailleurs récemment affirmé anticiper « les pires retombées économiques depuis la Grande Dépression » de 1929 !
Il n’y a plus de troisième voie !
Nous n’avons donc pas ici affaire à une crise du « modèle néolibéral » qui devrait laisser place à une autre méthode de gestion du capitalisme, mais à une crise du capitalisme tout court qui se trouve dans une impasse historique. La faible profitabilité du capital et l’intensité de la concurrence entre les multinationales sur le marché mondial ont supprimé les conditions de possibilité d’un nouveau New Deal : même dans les pays impérialistes, les différentes classes dirigeantes nationales ne peuvent pas redistribuer la richesse sans accroître la crise et mettre en jeu leur place dans l’ordre mondial. Elles seront donc prêtes à préserver à tout prix leurs intérêts et mater les potentielles grèves et mouvements qui pourraient advenir. Il n’y a donc pas de troisième voie : socialisme ou barbarie. Il faut choisir, car le capitalisme ne s’effondrera pas comme un fruit mûr, il va nous falloir l’arracher, ce fruit !