JP Divès: Avec le Covid, l’Union européenne à nouveau sur la sellette

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SOURCE : Révolution permanente

Comme lors des crises précédentes, la « construction européenne » capitaliste exhibe toutes ses limites et, au-delà, son visage si peu sympathique…

Le 9 avril, après des jours et semaines d’âpres négociations, les ministres de l’Economie, de l’Union européenne ont annoncé un plan de soutien financier aux Etats membres d’un montant de 540 milliards d’euros.

540 milliards sur les 1500 jugés nécessaires

La somme peut paraître élevée, mais la Banque centrale européenne (BCE) avait estimé peu avant que 1500 milliards étaient nécessaires. C’est par ailleurs infiniment moins que ce que les Etats membres ont déjà engagé, chacun pour leur propre compte (1100 milliards, ainsi, pour la seule Allemagne fédérale – soit le tiers de son PIB). En outre, il ne s’agit pas de subventions mais de prêts, qui devront donc être remboursés. Dans le détail, 100 milliards de prêts seront disponibles pour aider à l’indemnisation du chômage partiel (à travers un organisme spécifique, nouvellement créé), 200 milliards (via la Banque européenne d’investissement) pourront soulager la trésorerie des petites entreprises, tandis que 240 milliards (sur les 410 milliards dont dispose le MES, Mécanisme européen de stabilité mis en place après la crise de l’euro) seront placés à la disposition des Etats. Les conditions d’attribution et de remboursement restent cependant imprécises.

Et surtout, le sujet des « eurobonds » ou « coronabonds » (des obligations qui seraient émises en commun par l’ensemble des Etats de la zone euro) a été laissé de côté, jusqu’au conseil des chefs d’Etat et de gouvernement qui doit débuter le 23 avril et que nombre de commentateurs prévoient agité voire explosif.

Exit les « coronabonds »

C’est le 25 mars que neuf chefs d’Etat ou de gouvernement (Belgique, Etat espagnol, France, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Portugal et Slovénie), reprenant une idée lancée dix jours plus tôt par des responsables italiens et espagnols, ont adressé une lettre au président du Conseil européen, Charles Michel, pour proposer officiellement la création de ces obligations communes. Jusqu’à présent, chaque pays membre de la zone euro émet ses propres emprunts d’Etat, à des taux qui varient par conséquent en fonction du « risque-pays » évalué par les agences de notation financière. Si les taux d’intérêt sont aujourd’hui peu élevés, et parfois même négatifs, il est à prévoir qu’ils remonteront dans une situation de très grave récession, voire – dans le pire des cas – de dépression économique longue, qui verrait le « besoin d’argent » des Etats croître au regard de l’argent disponible. Dans le même temps, le « spread » ou différentiel des taux d’intérêt s’accroîtra entre, d’un côté, les pays les plus riches et forts, de l’autre ceux qui seront considérés comme les plus fragiles et donc risqués.

La mise en place d’euro-obligations dont le taux d’intérêt serait, par définition, le même pour toutes les parties prenantes, et qui bénéficierait en outre d’une forme de garantie de la BCE, constituerait un geste de solidarité, élémentaire mais salutaire, permettant de ne laisser aucun Etat sur le bord de la route, dans de la crise actuelle comme dans la reprise d’activité espérée. Il n’empêche, les dirigeants d’une série d’Etats du nord de l’Europe, Allemagne et Pays-Bas en tête, s’y sont immédiatement et fermement opposés. Dès le 23 mars, le ministre des Finances allemand, Peter Altmaier, avait déclaré sur un ton solennel qu’il « déconseillait à quiconque de reparler » d’euro-obligations. Si certaines justifications politiques ou idéologiques ont pu être avancées (par exemple, que ce serait un pas vers une Europe fédérale et donc une perte de souveraineté des Etats), la vraie raison est bien plus pragmatique : pas question de payer pour les autres en prenant le risque d’alourdir, si peu que ce soit, la dette de son propre Etat.

Le retour des « PIGS » ?

En 2008, des économistes néolibéraux avaient inventé l’acronyme fort peu sympathique de PIGS (renvoyant au terme « cochons », en anglais) pour désigner les pays européens (Portugal, Italie, Grèce et Etat espagnol-« Spain », en anglais) réputés dispendieux et mal gérés, qui auraient représenté en conséquence une menace pour la stabilité de l’Union et celle de ses Etats plus rigoureux. Dans les années qui ont suivi, face aux conséquences de la crise économique et financière, ainsi qu’à ses répercussions sur l’euro, l’Union européenne et la sinistre « troïka » (Commission, BCE, FMI) avaient imposé des plans d’austérité drastiques qui avaient frappé très durement – et durablement – les travailleurs de l’Etat espagnol et du Portugal, en plongeant ceux de Grèce dans un abîme de régression sociale et de misère.

Dans le même esprit que les inventeurs des « PIGS », le 26 mars, le ministre néerlandais des finances, Wopke Hoekstra, a cru bon de proposer que la Commission européenne ouvre une enquête afin de déterminer les raisons pour lesquelles certains Etats membres, notamment dans le sud de l’Europe, affirment ne pas disposer de marges budgétaires pour affronter les conséquences de la crise sanitaire. Ces déclarations ont immédiatement soulevé un tollé et le lendemain, le premier ministre portugais, António Costa, a peu diplomatiquement qualifié l’attitude du ministre néerlandais de « répugnante » (en insistant : « et c’est exactement le mot qui convient – répugnante »).

Hoekstra s’est ensuite mollement excusé, en affirmant regretter son « manque d’empathie ». Jacques Delors, 94 ans, social-démocrate partisan de la rigueur dès le début des années 1980 et peu enclin aux largesses budgétaires, président de la Commission européenne de 1984 à 1994, dans la période considérée par beaucoup comme « l’âge d’or de la construction européenne », est sorti de sa retraite pour alerter d’un « danger mortel » pour l’Union.

Les bons conseils et les craintes de Jacques Delors

Le malaise persiste. En Italie notamment, premier pays européen durement frappé par la pandémie, le ressentiment croît face à l’attitude globale de l’Union européenne et, plus précisément, son abandon au plus fort de la crise – les gouvernements allemand et français, notamment, avaient refusé de prêter l’aide médicale demandée, abandonnant ce rôle à… la Chine et la Russie. C’est à un tel point qu’Ursula von der Leyen, l’actuelle présidente (allemande et membre du parti de Merkel) de la Commission européenne, a jugé nécessaire de présenter, le 16 avril, des excuses formelles à l’Italie : « Une pandémie aussi rapide et d’une telle ampleur ne peut être vaincue sans la vérité. Oui, il est vrai que personne n’y était vraiment préparé. Il est vrai également que trop peu ont réagi à temps lorsque l’Italie avait besoin d’aide au tout début. Et oui, pour ces raisons, il est juste que l’Europe dans son ensemble présente ses excuses les plus sincères. »

Nous verrons bien ce qui sortira du sommet européen du 23 avril. Mais sans prendre trop de risques, on peut se lancer dans un pronostic : soit il n’en sortira rien, soit, dans le meilleur des cas, ce seront des mesurettes – peut-être des mini ou micro « coronabonds », soumis à une multitude de conditions et clauses résolutoires ?

Parce que les dirigeants et dirigeants de l’Union craignent ce qui pourrait se produire après la pandémie et, pour certains, ont déjà senti le vent du boulet, Macron et d’autres chefs d’Etat et de gouvernement européens se livrent à des déclarations démagogiques sur « le monde d’après ». Soyons certains d’une chose : si les classes ouvrières et les secteurs populaires ne se soulèvent pas contre leur monde d’aujourd’hui, non seulement ils paieront le prix de la crise mais ensuite, tout reprendra pour l’essentiel comme avant, business as usual, dans chaque pays comme au niveau européen.

Les révoltes populaires et les mobilisations sociales qui embrasaient tous les continents avant le coronavirus permettent cependant d’envisager la matérialisation de l’autre possibilité : que lorsque les travailleuses et les travailleurs d’Europe et d’ailleurs iront réoccuper leurs lieux de travail dans des conditions de sécurité suffisantes, s’approche le temps du grand règlement des comptes.


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